Elles sont des victimes collatérales de la barbarie des attentats. Celles qui n’osent pas trop parler de peur de faire trop de bruit. Celles qui restent terrées chez elles par peur des agressions et des réactions hostiles. Elles, ce sont ces Françaises de confession musulmane qui portent le voile. Témoignages.

Mounia* n’amène plus ses deux enfants à l’école. Pourtant, cette jeune maman d’une trentaine d’années, vivant à Sorgues dans le Vaucluse, avait l’habitude de les déposer et de les récupérer tous les jours. Jusqu’à ce lundi 16 novembre. Il est quasiment 16h30. Elle se rend à pied à l’école de ses enfants. Avec elle son bébé, dans la poussette. Le quartier qu’elle traverse est désert. Soudain, deux hommes déboulent en voiture, une Clio 2, elle s’en souvient très bien. Ils manquent de l’écraser. Elle est touchée par le rétroviseur. Ils s’arrêtent, descendent de leur véhicule et la bombardent de questions : « Pourquoi vous portez ça ? Pourquoi vous ne mettez pas un voile comme les autres ? »

Le « ça », fait référence à son jilbab, un vêtement ample, la recouvrant des cheveux jusqu’aux pieds, mais qui laisse son visage apparent. Puis, ils l’assènent : « Heureusement que vous avez la petite, faites gaffe à vous la prochaine fois ». Mounia, choquée, n’ose pas leur répondre. Ils remontent dans leur voiture, s’enfuient et la jeune femme, tétanisée, ne pense pas à prendre la plaque d’immatriculation. Plus tard, Mounia déposera plainte à la gendarmerie de Sorgues (84). À la maison, ses enfants, âgés de 8 et 5 ans ne comprennent pas ce qu’il se passe. Sa fille imagine que sa maman pleure à cause de sa mauvaise note. Mounia ne sort désormais plus de chez elle : « J’ai peur. Avant, j’allais chercher systématiquement mes enfants à l’école ; désormais, je demande à des amies d’aller les récupérer. À mes enfants, je leur dis que je suis fatiguée ou que je suis malade. J’ai peur de sortir, peur qu’on me surveille, peur de me faire agresser physiquement, car ces deux hommes connaissent mon visage maintenant ». Pour aller faire les courses, Mounia attend désormais le retour de son époux. « À chaque fois que je pars au travail le matin et que je la laisse à la maison, j’ai peur. Peur qu’il lui arrive quelque chose ».

À plusieurs centaines de kilomètres, près de Maubeuge, dans le Nord, Salima* est désormais sous traitement : somnifères et anxiolytiques. Le matin du mercredi 18 novembre, cette maman de 40 ans, portant le hijab, s’apprête à aller rendre visite à une amie. Elle quitte son domicile pour rejoindre sa voiture. À peine au volant, elle aperçoit un peu plus loin, un de ses voisins faisant des signes. Elle ne comprend pas vraiment, mais se dit qu’il a peut-être besoin d’aide.

Elle avance en voiture, s’arrête à son niveau et ouvre sa vitre.
Qu’est-ce qu’il se passe, monsieur ? Je peux vous aider ?
Pas besoin de me venir en aide. Dégage sale bougnoule ! Rentre chez toi ! C’est à cause de toi qu’il y a eu des attentats ! » Il persévère, violemment : « C’est à cause de toi, à cause de vous, bande de sales bougnoules ! Je vais te tuer, on va vous tuer ! Dégagez chez vous ! » Salima referme sa vitre. Elle descend de sa voiture.

« Vous vous rendez compte de ce que vous êtes en train de me dire ? », lui répond-elle. Dialogue impossible. Le voisin est à deux doigts de la frapper. Salima décide d’appeler son amie qui habite tout près. Elle aperçoit alors une voiture de police qui circule à quelques mètres à peine. Salima fait des grands signes, le véhicule arrive à leur niveau. À son bord, trois policiers : deux hommes et une femme. Par chance, les agents ont bien entendu les insultes racistes et islamophobes du voisin. Salima s’en va déposer plainte au commissariat. Les trois policiers témoignent. Salima est tétanisée et angoissée. « Nous sommes voisins depuis 13 ans. Nous n’avons jamais eu de problème avec lui, ni avec quiconque d’ailleurs. Depuis, j’ai très peur. Peur qu’il recommence avec moi, qu’il s’en prenne à mes trois enfants. Lorsque je sors, je suis obligée de passer devant chez lui, car nous habitons une rue à sens unique ».

Comme Mounia, Salima sort beaucoup moins, limitant ses déplacements au strict minimum. Comme Mounia, elle ne sort plus faire ses courses et attend que son mari rentre du travail pour y aller avec lui. « Je ne vais plus non plus chez mes voisines, n’amène plus mes enfants au cinéma, au stade… Mes parents m’appellent six, sept fois par jour pour être sûrs que je vais bien ». Salima a expliqué à ses trois enfants ce qui s’est produit : « Ils ont très bien vu que je n’étais pas bien. Le soir même, le petit dernier a fait des cauchemars. Ils ne sortent plus jouer devant la maison, comme ils avaient l’habitude de faire. Eux aussi ont peur ». Salima a de nouveau rendez-vous chez son médecin mercredi prochain. « Je ne mange pas beaucoup, je ne dors pas bien, j’ai toujours l’image de ce qui s’est produit et dès que je sors, je regarde sans cesse derrière moi si mon voisin n’est pas là ». Elle souhaite être orientée vers un psychologue : « J’en ai besoin. Je me sens seule ».

Nassira El Moaddem

(*Par respect de l’anonymat demandé par les témoins, les prénoms ont été modifiés)

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