Pour la quatrième fois, je me rends chez mon dentiste. Un homme ô combien charismatique, et éloquent. A sa façon… Comme la majorité des individus normalement constitués, je n’aime pas aller chez le dentiste. J’ai peur, je rêve de la roulette les nuits, et les jours, précédent mes visites chez lui. Et lorsque je me retrouve dans la salle d’attende, la sueur coule. Pourtant, il faut bien que je me fasse soigner. Je ne peux pas vivre indéfiniment avec mes caries.

M’y voilà donc. C’était au début de l’année. Je souris, cache mon anxiété. Je suis tellement bonne comédienne que le médecin me glisse : « Vous devez avoir l’habitude, vous êtes vraiment très détendue ! » Détendue ? Tu parles ! S’ensuivent d’interminables secondes, qui, je l’appréhendais, se transforment en inexorables minutes : grattage, ponçage, limage, torture intense. Le verdict tombe : trois caries à soigner rapidement. Quoi ? Mais je me lave les dents deux fois par jour, je ne comprends pas. C’est normal, me répond l’homme devenu VRP, votre dentifrice ne contient pas assez de fluor. Justement, sur mon bureau, vous trouverez celui qu’il vous faut ! Pour la somme modique de 16 euros 50, il est à vous.

Il me sourit, attend que je le remercie. « La prochaine fois, prenez une heure, on a du travail ! » Je sors, prends le rendez-vous, et regarde l’heure : ma séance chez le dentiste aura duré 11 minutes exactement. Les honoraires sont dûment comptabilisés, et gentiment reportés à la prochaine échéance.

La semaine d’après, rebelote. Cauchemars, sueurs, imagination débordante. Puis la visite. Sauf que cette fois, j’en ai pour une heure… Je m’installe, ouvre grand la bouche. Je crie des qu’il pose son doigt. Il décide de me faire une piqure d’anesthésie locale. Il me touche à nouveau, je crie encore. Je ne sais même pas s’il a rentré son doigt dans ma bouche. Cette fois, ça y est, ce n’est plus ma mâchoire mais toute la partie inférieure de mon visage qui est inerte. Le dentiste me met un pansement, il commencera le vrai travail au prochain rendez-vous. Je me rends en cours, et je ne peux pas parler pendant deux longs jours sans cracher partout.

Si je résume la situation, tout s’est plutôt bien passé jusque-là : pas de roulette, pas de douleurs. Mais ces rendez-vous qui n’en finissent pas, cet ouvrage sans cesse remis sur le métier, n’annoncent rien de bon. C’est un CDI qui m’attend, moi qui ne voulais qu’un CDD. Un problème, un rendez-vous, et c’est fini. A la prochaine fois, dans dix ans ! Ça serait trop beau. Le destin en a décidé autrement.

Troisième visite. J’ouvre la bouche, il me retire mon pansement, et m’en installe un autre. Quoi ? C’est pas la bonne. Il m’annonce qu’il faut que je revienne une autre fois, pour un rendez-vous d’une heure. Là, j’en ai ma claque. Deux rendez-vous prétendument d’une heure expédiés en moins de 15 minutes chrono, ça devient inadmissible. La rébellion s’agite dans ma tête alors que je voue au corps médical, et professoral, un respect inné. Je n’y connais rien en médecine dentaire, donc difficile de l’attaquer là-dessus. Mais je comprends que j’ai affaire à un docteur farceur, bien seul à rire de sa farce. Ce cher médecin est un manœuvrier : un patient, que dis-je ? un client, qu’on fait lambiner, une carie par-ci, une couronne par-là, et là une dent carrée. Etrange, la dent carrée ! Tout est prétexte à revenir s’asseoir, « pour une heure ».

Je mets fins à cette relation non désirée, et je change de dentiste. Deuxième médecin donc, et pas plus de chance qu’avec le premier. Il vient d’installer à mon père une couronne rectangulaire noire, qu’il faut retirer au plus vite car elle n’est plus aux normes, il paraît qu’elle détruit les dents de l’intérieur. Je cours, je fuis, les dentistes, basta !

Mais mes dents crient et me rappellent au principe de réalité. Le pansement dégringole, il faut agir. Vite. Je prends le pouls de la population au gré d’une virée sur Internet. Je me décide à monter à Paris. Un docteur à Paris ! Celui-là, me dis-je, n’agira pas en charlatan. Une expression tunisienne pour signifier une situation gênante parle de dents qui transpirent. Ces mots qui m’ont toujours paru loufoques, me sont plus familiers aujourd’hui. Mes pauvres dents, elles, savent tout…

Sarah Battikh

Sarah Battikh

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