[LES BÂTISSEURS] Une école de mode gratuite pour les jeunes de Seine-Saint-Denis va bientôt ouvrir ses portes à Saint-Ouen. Missions : repérer les talents, leur offrir une formation gratuite et une ouverture sur le monde du travail et valoriser les inspirations venues de la périphérie. La sélection est toujours en cours. À vos croquis !

À la tête de cette école, Nadine Gonzalez. Cette ancienne journaliste mode a monté un établissement au Brésil en 2013, pays dans lequel elle vivait depuis 2006, après que ses amis lui ont offert un billet d’avion pour ses 30 ans. Aujourd’hui, elle veut transposer la Casa Geração de la favela Vidigal, dans la banlieue de Rio, à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Et ouvrir ainsi une institution dédiée à la mode 100% gratuite pour les jeunes de 18 à 25 ans des zones prioritaires du 93, et ouverte à tous. Pour les autres habitants de Seine-Saint-Denis, il faudra compter 4 euros l’heure et pour les autres 6 euros.

Cette école sera à Saint-Ouen, où Nadine Gonzalez a décroché un hébergement gratuit au MOB hôtel, nouveau lieu de vie pas loin du marché aux puces, où s’enchaînent DJ sets, concerts, happenings, artistes en résidence, cinéma en plein air et marché bio. La future directrice de l’école est aujourd’hui en plein processus de sélection. « Tous ceux qui veulent révolutionner la mode sont les bienvenus, explique-t-elle. Des jeunes qui transpirent la mode, qui respirent la mode. Des jeunes en mode système D qui ne savent même pas qu’ils sont créatifs. De plus en plus de marques ont besoin de ça. Il y a des bureaux de recrutement dans la mode qui veulent s’associer à nous« . Mais débutants, s’abstenir, puisqu’il faut notamment transmettre un moodboard (planche d’inspiration), faire un croquis de plusieurs silhouettes que vous aimeriez habiller avec un texte de description (références de mode, détails de coupe, de tissus, de textures, de finitions et de couleurs).

Une collection collective présentée à la fashion week de Paris

Nadine Gonzalez veut réinventer la mode de demain avec ses futurs élèves, à travers un diplôme certifié (démarche en cours) et un autre diplôme reconnu par la profession. L’année démarre par une prépa d’une durée de deux mois, où 20 jeunes présélectionnés suivront workshops et interventions pour s’imprégner des valeurs de la Casa Geração 93. Certaines interventions seront accessibles à tous. Au programme, valorisation du potentiel créatif du 93 : « On va leur présenter des success stories, des créatifs qui ont réussi. Comme Youssouf de la Maison Château Rouge, qui a ses vitrines au Bon Marché« . Autre valeur de l’école à transmettre : une mode engagée et responsable : « On va leur apprendre à comprendre la mode différemment, et à la consommer différemment. On va leur parler de mode éthique. Pour la collection collective, on ne va rien acheter, on va tout récupérer, défaire des vêtements, les transformer« , raconte la modeuse, enthousiaste.

Tout au long de la formation, les élèves vont appliquer leurs cours sur une collection collective qui sera présentée pendant la fashion week de Paris. « Les écoles de mode, c’est souvent des projets individuels, se remémore Nadine, nous, c’est basé sur le collectif, sur l’échange, sur le partage, la collaboration« . Pour en être, il faudra repasser par la case sélection en décembre : nouvelle série d’entretiens individuels et collectifs pour sélectionner les 12 élèves parmi les 20, qui recevront un programme sur mesure et donc compatible avec une autre activité.

Création, image et savoir-faire

Dès janvier, place à la formation théorique, qui repose sur les trois pôles : Création (histoire de l’art et de la mode, analyse des tendances, processus créatif, couleur, etc.) ; Image, pour identifier leur cible, apprendre à communiquer sur leur portfolio, définir leur marque et leur stratégie commerciale (anthropologie de la mode, marketing digital, journalisme). Et enfin le pôle Savoir-faire avec les techniques de modélisme (sur patron) et moulage (sur mannequin), ainsi que les techniques artisanales et manuelles, comme la broderie. À l’école, ou à l’extérieur car de nombreuses visites d’ateliers, de fournisseurs, sont prévues : « On va travailler avec des associations de couturières comme Mode Estime, La Main Fine, précise l’ancienne journaliste mode, qui vont les accompagner sur leur processus créatif, les conseiller sur les finitions des tissus« .

TWINS FOR PEACE/Rio de Janeiro 2014-Paris 2016. Crédit : casageracao.com.br

Des projets spéciaux permettront également d’enrichir la collection collective. Mieux qu’un stage en entreprise, l’école travaillera en partenariat avec des professionnels de la mode, pour développer des produits, des capsules (petites collections). « Ça pourra être des ré-interprétations d’icône, comme le jogging, ou de motif, comme les fleurs. Là ils vont beaucoup circuler chez nos partenaires qui accordent des bourses aux élèves. C’est concret, ça va étoffer leur portfolio« .

À la Casa Geração de la favela Vidigal, les élèves brésiliens ont participé à la restauration d’un hôtel de luxe (déco, papiers, uniformes, rooftop, design des chaises longues, imprimés des parasols), la création de maillots de bain, ou encore la scénographie d’un festival. « Le directeur artistique de Puma est venu à la Casa Geração et en même temps qu’il a fait sa collection avec Rihanna, il a pris une de mes étudiantes pour faire une collection présentée et vendue l’année dernière à la fashion week de Paris« , se rappelle la Française.

Des collaborations avec les formations créatives de Seine-Saint-Denis

Attachée à la notion de territoire, Nadine Gonzalez souhaite que son école participe à la vie collective de l’écosystème 93. Elle souhaite lancer des partenariats avec d’autres écoles créatives : « On va travailler avec les étudiants de l’École de la Cité à Saint-Denis, pour faire du stylisme de cinéma. Et avec l’école Design Act à Saint-Ouen, on va travailler sur le thème vêtements et objets« . L’école souhaite également devenir un observatoire de la mode : « Les élèves vont identifier, avec des sociologues des bureaux de tendances, les influenceurs, les stylemakers sur leur territoire« .

Côté insertion professionnelle, les chiffres brésiliens font rêver : en 5 ans, 80 des 100 jeunes formés sont insérés sur le marché du travail et 8 marques lancées au Brésil. « Après la formation, c’est accompagnement pour monter leur marque, s’ils sont prêts, ou des stages ou emplois. Ils sortiront de l’école avec une formation professionnelle, un réseau, grâce aux intervenants qui travaillent dans le secteur. Luxe, sportswear, jeunes créateurs, ce sont 30 bénévoles qui croient au projet et qui adhèrent à l’idée. Et qui pensent vraiment que le potentiel créatif de la jeunesse de banlieue est énorme, qui pensent qu’elle est là, la nouvelle émergence des créateurs« .

Rouguyata SALL

Contact et formulaire d’inscription : https://www.casageracao.com.br/casa-gerao-93/ Du 28 août au 8 septembre : RDV possible pour présentation de la formation et accompagnement à la constitution du dossier.

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