L’Europe reçoit 8 % des réfugiés du monde, dont 270 000 Syriens. Toutefois, neuf réfugiés sur dix sont reçus par les pays en développement. Hors Europe, donc. Il n’empêche que l’actualité orchestre la peur des esprits. Et si, parmi tous ces gens, se cachaient des djihadistes motivés à commettre des attentats sur le sol européen ? La question mérite d’être posée.
Différentes voix expertes en la matière la jouent « franco », réponses sur table. D’après leurs analyses, les personnes quittant l’Irak et la Syrie, pour la majorité quasi absolue, sont des victimes d’une part, de l’État syrien et, d’autre part, du jeune califat islamique autoproclamé. Pour un nombre d’entre eux, le radicalisme islamiste véhiculé par Daech est une plaie de la société. Tandis que d’autres partent après avoir subi l’oppression commise par Bachar el-Assad, à la tête du gouvernement syrien. Ces faits sont, par ailleurs, mis en lumière quotidiennement par l’éclairage médiatique. Aucune estimation de djihadistes infiltrés dans le flux migratoire n’existe à ce jour.
En Belgique, les enquêtes individuelles approfondies menées par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGVS) en collaboration avec les services de la Sûreté de l’État belge, sont un facteur de dissuasion pour les éventuels combattants de Daech. En effet, les personnes dépositaires d’une demande d’asile sont conduites dans une procédure minutieuse. En substance, empreintes digitales, interviews minutieuses sur le parcours individuel, enquêtes appuyées par des experts sont prévues pour chaque arrivant. Cette méthodologie dissuaderait les potentiels djihadistes à pénétrer le sol européen dans l’intention de commettre des attentats.
Dans une interview accordée au média Buzzfeed, un contrebandier sous le couvert de l’anonymat faisait la promotion de l’État islamique et de sa capacité d’être une menace internationale : « Nous avons importé clandestinement 4.000 combattants en Europe. On profite de la générosité des pays développés de l’ouest de l’Europe pour infiltrer des combattants parmi les réfugiés ». Difficile d’affirmer la crédibilité de ses propos sachant que le groupe représente environ 30 000 combattants. L’objectif premier de Daech est de consolider les territoires conquis en Syrie et en Irak et de continuer son expansion territoriale. On imagine donc mal le groupe envoyer plus de 12 % de son effectif alors que celui-ci est sujet à des affrontements de toutes parts sur les territoires de l’Irak et de Syrie. Cette sortie médiatique ressemble davantage à une énième propagande pour semer la peur au sein de la société occidentale dont les représentants ont donné l’aval — une année auparavant — pour la mise en œuvre d’une coalition internationale contre Daech.
Départ en Syrie, un aller sans retour ?
Pour apporter un autre angle sur cette question des terroristes cachés parmi les réfugiés, il semble exister une explication plus profonde : celle de l’idéologie de l’État islamique, acteur le plus menaçant du conflit au Moyen-Orient. D’obédience salafiste djihadiste, avec une vision apocalyptique du monde en prime, Daech réduit le monde à deux territoires : terres d’islam (dâr al-Islâm) et de mécréance (dâr al-Kufr). Naturellement, la terre d’islam représente le califat autoproclamé le 29 juin 2014. Depuis, différentes zones contrôlées par des adeptes de l’État islamique sont considérées comme étant des terres bénies sur lesquelles un djihad au nom d’Allah est obligatoire. Il s’agit notamment des provinces en Libye, en Égypte au sein desquelles des groupes armés ayant prêté allégeance au califat mènent des combats.
La terre de mécréance, quant à elle, représente tout le reste du monde, États arabes y compris, qui n’est pas régi par la charia version Daech. Selon la doctrine du groupuscule, l’Occident, surtout, représente la plus grande menace pour l’intégrité d’un musulman. Hormis le combat armé, l’un des concepts centraux de l’État islamique se nomme la hijra, c’est-à-dire l’émigration. En décembre 2014, dans leur premier numéro du magazine en français – nommé non sans hasard Dâr al-Islâm – Daech énonce sa ligne directrice : « C’est pour cela que ce magazine se nomme Dâr al-Islâm, pour se rappeler cet immense bienfait qu’est celui de vivre sous la loi d’Allâh, au milieu des croyants. Et pour rappeler à ceux qui n’ont pas accompli l’obligation d’émigrer de la terre de mécréance et de guerre vers celle de l’Islâm qu’ils sont en immense danger dans ce monde et dans l’autre* ».
En d’autres termes, l’État islamique appelle chaque musulman du monde à migrer vers le califat pour y vivre jusqu’à la fin de leurs jours. Suite à l’intervention de la coalition internationale par des frappes aériennes débutées le 8 août 2014 en Irak et le 23 septembre en Syrie, l’État islamique a ensuite appelé la communauté musulmane à prêter allégeance au calife Abou Bakr al-Baghdadi et à commettre toute forme d’opération armée en Occident. Par ailleurs, Daech a justifié les actions d’Amedy Coulibaly dans l’Hyper Casher par cette rhétorique. Cependant, même si l’organisation incite les musulmans européens à passer à l’action, à aucun moment Daech n’invite ses troupes déjà présentes au sein du califat à venir en Europe. Au contraire, l’organisation tente de grossir son bataillon en Syrie et en Irak avec sa doctrine basée sur l’émigration. Dans cette perspective, aucune directive n’a été émise jusqu’à présent pour infiltrer les réfugiés et demander l’asile en Europe avec l’intention de perpétrer des attaques.
Alors, comment cela se fait-il que des personnes ayant séjourné en Syrie aient commis des attentats en Europe ses dernières années ? On pense directement à Mehdi Nemmouche, le tueur présumé du Musée juif de Belgique en 2014. Il est soupçonné d’avoir séjourné en Syrie durant une année et dernièrement, Ayoub El Khazzani, suspect numéro un de l’attaque déjouée du Thalys. Deux éléments émergent de ce questionnement. D’une part, jusqu’à preuve du contraire, ces deux individus doivent être considérés comme des loups solitaires puisqu’aucune instruction du pouvoir central de Daech – avant les attaques — n’a été manifestée. Comme mentionnée plus haut, la venue en Syrie des émigrés occidentaux est un point de non-retour. L’émigration prônée par Daech n’est ni camp d’entrainement ni lieu de radicalisation. D’autre part, tous les individus passés par la Syrie et revenus en Occident sont des citoyens européens. C’est également le cas d’Ibrahim Boudina, 15 mois en Syrie, arrêté à Mandelieu en France, courant 2014. Il est soupçonné d’avoir préparé un attentat en France.
Il n’est pas exclu que des attaques soient organisées en Europe par des membres de Daech. Néanmoins, la piste d’infiltration des djihadistes par la voie de la demande d’asile semble être infondée à plusieurs égards. Il semblerait que les dernières déclarations, notamment du contrebandier anonyme, surfent sur la peur pour créer une fracture sociale. Ils poussent justement à des affrontements communautaires pour accroitre le flux des musulmans en partance vers le califat islamique.
Nikita Imambajev

Des terroristes parmi les réfugiés ?
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