Des balles ont transpercé leurs corps qui se sont écroulés sur l’asphalte. Il était 17 heures, samedi. Beaucoup rêvassaient d’ailleurs, à la fenêtre, quand les tirs les ont fait sursauter, quand des cris ont niqué leurs tympans. Ils ont eu peur. Certains ont protégé leurs enfants, tranquillement installés dans le canapé, pour éviter qu’une balle qui fuserait dans leur salon ne les atteigne. Fin d’après-midi meurtrière, digne d’un polar qui tient en haleine quand on le lit, mais qui vous révulse quand ça arrive dans la vraie vie.

L’info s’est propagée comme l’éclair sur le web. « Un direct » au 20 heures de France 2 montrait une voiture de police et ses gyrophares en alerte, en toile de fond. Le journaliste s’est gouré, annonçant le « meurtre d‘un adolescent, en juillet dernier, à la batte de base-ball ». A Saint-Ouen, il y a deux mois, un mec s’est fait abattre froidement, dans le quartier du vieux Saint-Ouen. Abattu par un imbécile qui voulait simplement « tirer pour impressionner ». Avec une arme, des vraies balles, comme aujourd’hui, et pas une batte. John était mort à l’hôpital, il était fier, il venait d’avoir son BEP au lycée et comptait s’inscrire en BTS.

Samedi, Selma*, 16 ans, a « vu la mort », face à elle. L’un des deux individus abattu est mort sous ses yeux. Selma, désarmée, désemparée. Elle habite dans le trop fameux quartier Arago, où la scène de guerre s’est déroulée. Elle n’a rien à dire, juste un « RIP » balancé sur Facebook. Un de ses premiers gestes après le drame. En effet, Facebook est aux aguets, depuis l‘instant même, on peut suivre le feuilleton comme des voyeurs dépassés par les événements. Les messages de « Paix » se suivent. Et puis l’hommage laisse place au trop-plein. Trop d’histoires qui tournent mal, trop de drames en si peu de temps, trop de vies envolées, trop de morts, trop de jeunes disparus, trop de coups de feu confisquant la vie. La Vie pour la Mort. « Et dire que Nicolas Sarkozy avait promis la sécurité, c’est raté », confie, elle aussi perdue, Marie*, 18 ans.

Elle n’est pas la seule à penser ainsi. Les élus défilent sur le lieu du crime, crient qu’ici « on manque de police ». Dans les mêmes quartiers que Sarkozy voulait, souvenez-vous, « nettoyer au Kärcher ». Il n’a rien fait de ce qu’il a clamé mais il faut dire qu’après ce « Kärcher » jugé offensant, on n’a rien fait non plus, dans les « quartiers », pour lui faciliter la tâche. La situation ne s’est donc pas améliorée. Au contraire, « il n’y avait jamais eu ce genre de problèmes, à Saint-Ouen », déplore une habitante d’un autre quartier, la quarantaine passée. Jamais, avant, on n’aurait pu imaginer des armes qui tirent. Des flingues qui tuent. Des tirs qui pètent aux pieds des cités.

On vous le donne en mille, tout ça pour des affaires de stup’. Et des règlements de comptes entre narcos qui trouvent les cages d’ascenseur preuves de l’efficacité du « retour sur investissement » pour leur business pourri. Nabiha Rezkalla est élue locale dans une autre ville touchée par ce commerce de la drogue, La Courneuve. Les nerfs à vif, elle tape du poing : « C’est à se demander si ça n’est pas dans l’intérêt de cet Etat de laisser passer ce commerce illicite, qui tourne à plein régime. Pour qu’on puisse camoufler le chômage et l’échec scolaire, qui vont grandissant dans nos cités ? Pourquoi la sécurité est tant négligée dans nos quartiers ? » Bah, c’est simple, on va expliquer et on va se répéter : parce qu’il n’y a plus de flics qui osent tournebouler et contrecarrer l’influence des caïds qui envahissent les bas des tours.

Jacqueline Rouillon est maire communiste de Saint-Ouen. « Menteuse », diront d’elle certains Audoniens. « Elle a dit que c’est une ville de non-droit depuis six mois seulement, c’est faux », juge Marguerite*. « Depuis bien plus longtemps la situation est insoutenable », soutient la dame.

Et pourtant, peu se posent la question de savoir d’où viennent les armes, d’où viennent les balles dont on entendait jusqu’alors le son transpercer nos écrans, mais qu’on entend maintenant, en mettant le nez à l’air. « C’est pas compliqué, des armes, il y en partout », tranche Marguerite*, la cinquantaine. « J’habite dans une cité et la dernière fois, des jeunes se sont battus pour un scooter cassé, l’un a promis de revenir avec un pétard pour descendre le mec », raconte l’habitante, désespérée par la situation.

Une maire dépassée, des habitants oppressés par les dealers qui gouvernent leurs pieds d’immeuble, des dealers qui s’entretuent, qui tirent. Des parents ont peur pour leurs mômes, peur d’une balle perdue à l’heure du goûter. Et des jeunes qui veulent fuir, partir d’ici. Qui veulent « déménager de l’autre côté du périph ». Qui n’en peuvent plus de cette ambiance, de cette peur au ventre et de ces corps gisants. Saint-Ouen est à nouveau le théâtre d’un triste drame. En espérant que le lourd rideau rouge se referme au plus vite et ne s’ouvre que pour une autre pièce, bien plus joyeuse…

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah.

*Les prénoms ont été modifiés.   

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