La mort d’une bonne action, c’est de la rapporter, disent les arabes. Tant pis, je vous raconte. Attendant mon cher RER E sur le quai de la Gare du Nord, un Noir m’aborde, baluchon sous le bras, en ces termes : « Saint-Lazare ? Please. » Ça sent le touriste paumé, et ça se comprend. Magenta, Haussmann Saint-Lazare, une mécanique complexe de dédales souterrains sans fin. Comment expliquer à cet égaré un itinéraire cohérent, avec mon anglais de fennec ? Allez ! Cet après-midi, bibi est d’excellente humeur : « Follow me, I going with You, mon bon monsieur » (suivez moi, je vous accompagne).

Quand je lui ai dit que je le mènerais à bond port, il m’a regardé comme si j’étais le messie. Il appelle deux amis restés sur le coté, qui m’observent maintenant comme des enfants le feraient devant papa Noël. Ils m’expliquent, tant bien que mal, que ça fait trois heures qu’ils tournent dans Paris, à chercher leur destination, et qu’au mieux on leur a dit sorry, mais que la plupart du temps, ça sonnait comme la pub pour le Parisien qui passe avant les films, au ciné, du genre, « Cassez-vous de là, bande de Maliens ! ». Mortifiés par l’accueil qui leur a été fait, qu’ils sont. Merde, les gars ! Ce n’est pas un rustre de la banlieue qui va vous apprendre à recevoir des invités ! Ils vont dire quoi, après, quand ils seront dans leur pays ? Ben ouais, ils vont dire les Français c’est des cons !

Alors que je les guide, je demande : « Where do You from ? » (d’où venez-vous ?). « Kenya », répondent-ils. Je ne rate pas l’occasion de balancer du bon gros cliché : « Do you went to Masaï Marra ? You run with the lion ? Barack Obama is your parents ? » Entre deux éclats de rire, j’obtiens mes réponses : oui, ils viennent du Masaï Marra. Oui ils courent, ce sont des coureurs de fond – en compétition, d’ailleurs, c’est pour ça qu’ils sont en France –, mais pas contre les lions. Non, Barack Obama n’est pas un de leurs parents ; lui, est originaire du sud.

Ils s’étonnent et sont ravis de savoir qu’un Français connaisse le Masaï Marra. Je leur explique, toujours dans un anglais bricolage, qu’en Algérie quand j’étais petit, la seule chose à faire c’était de regarder les reportages animaliers à la télé. Le parc naturel du Masaï Marra est pour le fan de documentaires que je suis, une sorte de Babylone ressuscitée.

Ces Kenyans sont de jeunes champions qui s’entraînent très dur toute l’année pour participer au prochain JO. Ils me racontent le bonheur qu’a été pour le Kenya l’élection de Barack Obama : « Tout le pays était en fête, tu aurais vu ça ! Un petit pays comme le nôtre qui donne un président aux USA, tu te rends compte ! »

En bon cicérone, je réponds à toutes leurs questions : « Pourquoi il fait froid ? » « It’s the winter » (c’est l’hiver). Pourquoi il y a autant de Noirs en France ? « Because French’s god like the diversity, he create Frenchs in every color » (le dieu des Français aime la diversité, il nous a crées de toutes les couleurs). « Your name Idir as the musicien ? » (Tu t’appelles Idir comme le chanteur). Là, j’ai pleuré de joie.

Au bout de vingt minutes dans le labyrinthe haussmannien, je les amène à leur quai en surface gare Saint-Lazare. Quatre stations, c’est tout droit, ils ne peuvent pas se tromper. Rien que pour les manifestations de reconnaissance qu’ils m’ont témoignées, ça valait le coup : « Thanks you very much ! You have the spirit of Africa ! » (Merci beaucoup, tu as en toi l’esprit de l’Afrique). S’ils savaient que les blagues sur les Noirs était mon péché mignon, et que d’habitude, je suis un gros crevard de Bondy, ils diraient peut-être pas ça…

Toujours est-il qu’on a mis du temps à se lâcher, le temps de leur apprendre deux-trois mots de français pour survivre (Où est la bouffe ? C’est quoi ton numéro ?) et d’échanger nos adresses. Voila ! Ça m’a pris vingt minutes, eux dans leur pays, ils vont dire les Français c’est des gens super et moi, maintenant, j’ai un pied à terre au Masaï Marra. Si on veut rester le premier pays touristique, bougez-vous le cul, les Parisiens ! On ne sera pas toujours là pour vous rattraper !

Idir Hocini

Idir Hocini

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