Une boîte à outil pour contrer les discriminations systémiques qui ont franchi les murs de l’École, et parfois émanent d’elle, ainsi se veut l’ouvrage « Entrer en pédagogie antiraciste », publié aux éditions Shed Publishing en septembre dernier. « J’ai eu envie de mener ce projet après avoir entendu parler des stages de formation antiracistes conduits par SUD Éducation 93 dès 2017 », explique Lydia Amarouche, la fondatrice de Shed. « Je connaissais plusieurs personnes qui y avaient contribué. On en avait beaucoup entendu parler suite aux attaques du ministre de l’Éducation d’alors, Jean-Michel Blanquer », précise-t-elle.

Ces stages avaient en effet déclenché une tempête médiatique, au point d’aboutir à deux plaintes du ministre lui-même. Celui-ci contestait la notion de « racisme d’État » et la non-mixité de certains ateliers – plaintes toutes deux classées sans suite. « S’exprimer depuis l’institution, par les voix de personnels racisés, c’était une première, d’où la violence du backlash (retour de bâton, ndlr). Je me suis dit qu’il fallait au contraire faire quelque chose de toute cette expérience », conclut l’éditrice.

Au sommaire : techniques d’enseignement et propositions émancipatrices provenant des interventions de parents d’élèves, de professeurs, de personnels d’accompagnement spécifique des élèves, de chercheurs… Avec pour objectif principal de visibiliser et de combattre la question du racisme institutionnel à l’école.

On a voulu mettre en valeur l’engagement de ces personnels de l’éducation qui pensent une école plus ouverte

Un manuel indispensable aussi pour « montrer comment, dès les premières années de la vie, ça peut broyer des enfants et détruire des trajectoires », affirme l’éditrice. « On a aussi voulu mettre en valeur l’engagement de ces personnels de l’éducation qui pensent une école plus ouverte, malgré leur marge de manœuvre réduite », appuie Laura Boullic, coéditrice du recueil.

Les dynamiques racistes électrisent la société et se retrouvent invariablement dans les contenus pédagogiques ainsi que dans les rapports entre les familles et l’institution.  Pour les éditrices, il est dès lors urgent que les professionnels se saisissent eux-mêmes, à grande échelle, de ces questions. Ethnocentrisme occidental des références scientifiques, historiques et artistiques, sévérité accrue envers les enfants racisés, islamophobie… Le livre dénonce les multiples facettes du racisme des salles de classe.

L’école est productrice de discriminations raciales et sociales

Et leurs effets néfastes sur les jeunes de tous âges, malgré les prétentions égalitaristes de l’institution parfois perçues comme vaines. « La sociologie de l’éducation le montre : l’école est productrice de discriminations raciales et sociales », tient à préciser Lydia. « Le discours égalitaire et méritocratique ne marche pas, on l’a compris depuis plusieurs générations. »

Rétablir le lien avec les parents des quartiers

« Il arrive souvent que les enfants évoquent spontanément le racisme avec moi, ils ont ces préoccupations dès l’école primaire », assure Karim Bettayeb, enseignant en Seine-Saint-Denis qui intervient dans « Entrer en pédagogie antiraciste ». « Des élèves m’ont demandé pourquoi ils n’étaient qu’entre Noirs et Arabes, et pourquoi la majorité des professeurs était composée de Blancs, par exemple. » Question épineuse qui ne refroidit toutefois pas le professeur des écoles, eux y voit au contraire un sujet à saisir. « On ne peut pas trouver quoi leur répondre en quelques phrases. Il y a tout un contexte à expliquer. Je me suis dit que c’était un travail à mener sur l’année, en profondeur. »

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Dans le chapitre consacré à son expérience, Karim Bettayeb décrit les techniques mises en places pour déconstruire les mécanismes discriminatoires qui contaminent les salles de classes. Il propose de s’appuyer dans un premier temps sur les parents des élèves des quartiers populaires. « Ces derniers sont souvent exclus de l’école, particulièrement ceux qui ne maîtrisent pas bien la langue française » analyse-t-il. « La relation avec les parents des quartiers reste encore assez raciste et coloniale. Je me suis dit qu’il était important de valoriser le savoir et les expériences des parents. »

L’enseignant crée alors des goûters lors desquels des familles sont invitées en classe pour partager leur histoire. Avec pour influence le pédagogue Paolo Freire « qui dit qu’on est tous ignorants sur des choses et sachants sur d’autres ». L’impact positif sur les élèves, objectif premier de l’exercice, est indéniable. « Leurs enfants se sentent alors valorisés, plus particulièrement ceux qui ont des difficultés ou des soucis de confiance en eux. D’autres en apprennent beaucoup sur leurs parents, sur leurs parcours migratoires ou leurs expériences coloniales. »

Redonner confiance aux enfants

Élargir l’horizon des possibles des enfants, bien au-delà de ce qui leur est montré au quotidien, est une autre des ambitions de Karim Bettayeb, qui convoque sa propre expérience. « En grandissant, tous les métiers valorisés autour de moi semblaient occupés par des Blancs, confie-t-il. J’avais du mal à m’identifier. » Un problème qui se répercute dans les livres d’école.

Il est primordial de mettre en avant des personnes racisées qui réussissent

« La sociologue Sonia Mejri, qui travaille sur la représentativité des personnes racisées dans les manuels scolaires, a conclu que les rôles sociaux qui leur y sont attribués sont moins ‘nobles’ que ceux des représentations blanches. » Un biais duquel l’enseignant est déterminé à protéger ses élèves. « Il est primordial de mettre en avant des personnes racisées qui réussissent dans ces métiers, des architectes, scientifiques, historiens, archéologues… Pour leur rappeler que c’est possible pour eux aussi. »

Leur proposer un avenir qui leur ressemble donc, à travers des photographies affichées en classe, des références étudiées lors des cours, mais aussi par des rencontres. Un atelier avec l’autrice Laura Nsafou en est un exemple parlant. Outre la personne de l’autrice comme exemple dans lequel les élèves peuvent se retrouver, son livre « Comme un million de papillons noirs » racontant l’histoire d’une petite fille noire qui n’aime pas ses cheveux à cause des moqueries dont ils font l’objet, a résonné de manière concrète dans l’estime de certaines enfants.

Au retour des vacances, une jeune élève de CM1 revient en classe métamorphosée. « Elle qui venait parfois avec des perruques de cheveux lisses qu’elle empruntait à sa mère, arborait une coupe afro. Elle m’a remercié en me disant que c’était ‘la dame de la dernière fois’ qui lui avait donné envie de porter ses cheveux au naturel », raconte l’enseignant. « Le travail d’auteurs et autrices sur ces questions et le relais de celui-ci par les enseignants, les médiathèques permettent d’avoir un vrai impact sur la confiance en soi des élèves. »

C’est un acte d’amour de leur part, pour leurs élèves

Lydia Amarouche résume la raison d’être du livre en un mot, souvent absent des questionnements autour de la pédagogie, et qui pourtant en est une composante indéniable. « Les personnels de l’éducation qui interviennent dans ce livre cherchent à donner les clés aux jeunes pour reconnaître et combattre les structures de domination qu’ils trouveront sur leur chemin », explique-t-elle. « C’est un acte d’amour de leur part, pour leurs élèves. »

Ramdan Bezine

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