Au collège Elsa Triolet de Saint-Denis, au matin d’une manifestation historique à Paris, une petite dizaine de salariés se réunit sur le piquet de grève. Le rendez-vous est à neuf heures. « Franchement, on comprend que les profs fassent grève. C’est normal, ils ont peur pour leur santé. Il y a beaucoup de cas covid », s’exclame Janna*, 13 ans, en classe de 4ème. Sur le parvis du collège, ses camarades acquiescent aussi, masques sur le nez.

Devant le grillage de l’entrée, la banderole « Elsa Triolet, Collège en lutte » est déjà prête pour la marche dans la capitale. Deux, trois parents saluent les profs plus ou moins longuement pour se montrer solidaires. Le nouveau protocole sanitaire a motivé un appel intersyndical qui dénonce une mauvaise gestion du covid à l’école et un ras-le-bol plus général.

Nous souhaitons aussi que les professeurs travaillent dans de meilleures conditions et qu’il y ait des remplaçants.

Élèves, parents et salariés doivent jongler entre PCR, auto-tests successifs en cas de Covid dans la classe et attestations. Dans ce collège de ZEP comme ailleurs dans le département, le manque de personnel, l’épidémie et le manque de moyens rendent la situation inextricable.

Le nouveau protocole de ce lundi, publié la veille pour le lendemain, est « inapplicable », tranche Maud Valegeas, professeure de français au collège et co-secrétaire fédérale de Sud Education. Après 2 ans de crise sanitaire qui accentuent l’accumulation des défaillances du système éducatif, la colère éclate, en toute solidarité entre parents et professeurs.

Profs et parents solidaires dans un ras-le-bol général

« C’est une grève historique, j’ai jamais vu ça. Même ceux qui n’en ont jamais fait vont venir à Paris », s’étonne Maud Valegeas. Sur le chemin, des collégiens d’Elsa Triolet, cahier de correspondance à la main, font demi-tour. A l’intérieur du grand bâtiment aux pierres oranges, seulement 6 professeurs sur 30 sont présents. Sur un peu plus de 550 élèves, une centaine sont à l’école ce matin. D’après le syndicat Snes-FSU, 62% des enseignants des collèges et lycées se sont déclarés grévistes.

« Avec d’autres parents, nous avons lancé un appel à un collège désert aujourd’hui. C’est une manière de soutenir le personnel de l’établissement. Nous sommes inquiets pour leur santé et nous souhaitons aussi qu’ils travaillent dans de meilleures conditions et qu’il y ait des professeurs remplaçants », explique Valérie, représentante élue des parents d’élèves.

On n’a qu’une demie infirmière pour plus de 500 élèves.

Clara*, 52 ans, est passée voir le petit ralliement. « Nous comprenons totalement cette grève. Je n’ai pas envoyé mon fils par solidarité et parce que j’ai pu le faire. Tous les parents ne peuvent pas venir ce matin car ils travaillent mais nous sommes vraiment derrière les enseignants », affirme la maman qui travaille à l’hôpital. « On sait que c’est compliqué entre le travail et les enfants. Voir le soutien, ça fait du bien », déclare Hugo*, professeur au collège.

Un protocole changé plusieurs fois et inapplicable face à une situation qui mêle manque de moyens et Covid

Les directives du gouvernement demandent un PCR, puis un auto-test à J+2 et J+4 pour les élèves cas-contacts avec une attestation à chaque fois. Sauf que les parents et les élèves n’arrivent pas toujours à suivre, sans compter la récente pénurie d’auto-tests ou les familles qui ne peuvent pas se les offrir. Le prix d’une boîte avec 5 autotests peut aller jusqu’à 10 euros en grandes surfaces. Un coût déjà conséquent depuis la rentrée pour les familles.

Des problématiques dont les salariés de l’éducation ont bien conscience et qui complexifient la situation et le suivi. « Le protocole s’applique différemment pour les élèves de plus et moins de 12 ans. Il faut gérer les situations diverses des sixièmes. Les règles varient aussi selon l’âge de l’élève et selon le statut vaccinal ça change aussi. Donc il faut avoir un dialogue avec les familles pour avoir les informations. Mais dans ces conditions, ce n’est pas possible », dénonce Maud Valegeas.

On ouvre des classes dans des situations pas viables. Si on a demandé un droit de retrait c’est pour des raisons de santé.

La semaine dernière, face à la situation alarmante, le personnel d’Elsa Triolet de Saint-Denis avait demandé à faire valoir son droit de retrait qui a été refusé. « On ouvre des classes dans des situations pas viables. Si on a demandé un droit de retrait c’est pour des raisons de santé, mais aussi de sécurité car il n’y a pas assez de personnel pour surveiller les enfants. Par exemple, on n’a qu’une demie infirmière pour plus de 500 élèves », explique Annie*, membre du personnel en grève. « En tant qu’enseignante je trouve ça vraiment terrible de voir des élèves privés du service public d’éducation parce qu’on n’a pas de vrai protocole sanitaire et ni de moyens pour,au moins, assurer un accueil », commente Maud Valegeas.

On s’est retrouvé avec une permanence de cent élèves. On les a mis dans la cour et dans le réfectoire où d’autres collégiens étaient en train de manger en même temps.

Depuis janvier, le nombre d’absents côté prof ou collégien a explosé et tout le monde se sent dépassé par le phénomène. « Un quart à un tiers des élèves ne sont pas venus. Mais nous n’arrivons pas à savoir s’ils sont contaminés ou s’il y a d’autres raisons, puisqu’il y a aussi des arrêts maladies des collègues qui gèrent les présences d’habitude. La communication des informations est donc très difficile. D’autant plus qu’on voit peu les parents, car il y a des difficultés sociales. De nombreux parents travaillent le soir, certains maîtrisent mal le français ou sont dans des situations de grande précarité », expose Maud Valegeas.

« C’est quand même une scène choquante quand on fait cours et que quelqu’un entre et dit aux élèves ‘vous êtes cas-contact, vous partez' », confie Hugo. Au collège, c’est comme on peut, il faut improviser. Tout le monde apprend ces précieuses informations sur le tas. L’équipe de la vie scolaire qui encadre les élèves tourne d’habitude entre huit à dix personnels.

On a attendu les capteurs de CO2, qui sont arrivés quand on a demandé notre droit de retrait.

Gilliane, 23 ans, est assistante pédagogique, elle était l’une des deux seules surveillantes présentes ce lundi. ‘Lundi on était deux. Mardi en une heure, j’ai reçu six appels d’absence pour le covid. On gère des tâches d’assistant d’éducation, ça ne me dérange pas en soi. Il faut s’adapter face à frénésie. On ne parle pas souvent du travail des pions, qui n’est pas considéré comme un métier par beaucoup de personnes. Mais c’ est vraiment important », raconte la jeune femme. Gilliane révèle également les difficultés à gérer les distanciations sociales. « On s’est retrouvé avec une permanence de cent élèves. Il fallait trouver une solution, on n’avait pas le choix avec nos moyens. On les a mis dans la cour et dans le réfectoire où d’autres collégiens étaient en train de manger en même temps », déplore-t-elle.

Des moyens et de la sécurité pour tous

Parents et personnels ont le même discours et les mêmes revendications. Le message général de cette mobilisation, n’est pas celui d’une « grève contre un virus » comme l’a déclaré  le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer. « On veut des moyens humains et matériels, des tests et un protocole efficace. On veut faire notre métier correctement », résume Hugo. Le matériel de prévention et de protection est aussi l’une des raisons de la colère.

« Tout le monde se renvoie la balle, l’Education nationale dit que c’est aux collectivités territoriales de fournir les masques. Personne ne promet rien mais tout le monde dit que ce serait bien qu’il y en est. Pas de purification d’air. On nous a donné 4 masques pour l’année en nous disant que c’est suffisant car ils sont lavables. On a attendu les capteurs de CO2, qui sont arrivés quand on a demandé notre droit de retrait. Il y en a deux, un à la cantine et l’autre dans la salle de physique-chimie, mais les trente autres salles n’en ont pas », regrette Maud Valegeas.

Et puis les annonces dans la presse de Jean Castex sidèrent, d’autant plus quand les publications officielles ne suivent pas. « Aucune information claire de la part de notre hiérarchie pour savoir ce qu’il faut faire. On ajuste la foire aux questions sur le site du gouvernement, mais c’est vraiment inapplicable », affirme la professeure. Face à la crise, les parents aussi bricolent comme ils peuvent.

De nombreux élèves ont vraiment peur de contaminer leurs familles. Il ne faut pas oublier qu’ici, certains vivent à plusieurs dans des petits logements. Il faut savoir les écouter.

Face à la crise, les parents aussi bricolent comme ils peuvent, sans directive concrète. Car la mauvaise gestion sanitaire ne réjouit ni les salariés, ni les familles, ni les enfants. « J’ai préféré retirer mes enfants de l’école à cause de ma situation. On récupère les devoirs sur Pronote ou chez les camarades. Je peux me permettre de le faire car je suis en arrêt maladie, mais de nombreux parents ne peuvent pas suivre », explique Valérie, mère de famille à la santé fragile.

« Ma fille est asmathique et fait des crises récurrentes. Elle porte même le masque à la maison. Elle a vraiment peur d’attraper le virus mais elle suit les cours. C’est très important que ce soit fait dans de bonnes conditions. Car les carences ne permettent pas à nos enfants de profiter à 100% de leurs capacités », avance Boubacar, éducateur de 55 ans venu sur le piquet de grève. « Ce sont les citoyens de demain. »

« Les cours ça se passe… Même si des profs sont absents. Moi je le vis bien, même si d’autres ont vraiment peur », relate Hadjer en troisième qui doit faire demi-tour car elle n’a finalement pas cours. « L’année dernière j’étais dans un autre collège et avec le covid on avait cours en distanciel. Ma première crainte c’est vraiment de refaire l’école à la maison. Il y a des problèmes de connexion, j’ai du mal à me connecter pour rendre les devoirs. Et puis, j’ai du mal à suivre, je préfère quand le professeur peut bien expliquer », ajoute la collégienne.

Quand je dis aux élèves de bien mettre leur masque, ils me répondent souvent qu’il vaut mieux fermer le collège.

Janna, entourée de ses amis, préfère le numérique. Ce qui ne séduit pas toute son assemblée. « Pour moi il faut fermer l’école. J’ai pas envie d’attraper le virus, et même si je l’attrape, bon… Mais c’est surtout que j’ai peur de contaminer ma famille ». Ce à quoi rebondit l’une de leur assistante pédagogique. « Quand je dis aux élèves de bien mettre leur masque, ils me répondent souvent qu’il vaut mieux fermer le collège. C’est pas parce que certains ont juste envie de sécher les cours qu’il ne faut pas écouter ce qu’ils ont à dire. De nombreux élèves ont vraiment peur de contaminer leurs familles. Il ne faut pas oublier qu’ici, certains vivent à plusieurs dans des petits logements. Il faut savoir les écouter », revendique Gilliane

Tandis que les grévistes s’apprêtent à rejoindre Paris pour unir leur voix, les collégiens continuent d’aller et venir à Elsa Triolet. Jean Castex a annoncé reçevoir une délégation du personnel de l’éducation nationale ce jeudi 13 janvier à la suite du mouvement social.

Les prénoms ont été modifiés à la demande des enseignants interrogés* 

Amina Lahmar

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