Le sujet divise, hérisse, passionne, cristallise les tensions, déchaîne pro et anti. La fin de vie, ou l’éternel débat. Dix ans après l’adoption de la loi Leonetti, l’Assemblée nationale se saisit à nouveau de cette question délicate. La proposition de loi portée par un député PS (Alain Claeys) et un député UMP (Jean Leonetti) se veut consensuelle, elle n’évoque ni « euthanasie » ni « suicide assisté ». L’ambiance est déjà tendue dans l’hémicycle. La guerre parlementaire s’annonce féroce. Les organisations religieuses sont aussi sur les dents : des représentants des principales religions en France ont lancé un appel « inquiet ».
Dans d’autres États européens, comme chez nos voisins belges et suisses, l’euthanasie ou le suicide assisté sont autorisés. Chaque année, plusieurs dizaines de Français (chiffre impossible à estimer exactement) se rendent dans ces pays pour mourir selon leur dernière volonté. Ce fut le choix de Jacqueline Lenglet. En Suisse, le suicide assiste est autorisé. Une personne atteinte d’une maladie incurable peut décider de mettre fin à ses jours, c’est elle qui effectue le geste décisif. L’époux de Jacqueline, Georges, a accepté de témoigner pour faire avancer le débat en France.
« Elle souhaitait en finir »
Jeudi 30 avril 2014. Il est 9h38. Jacqueline est morte. Paisiblement. À ses côtés, son mari Georges et sa fille Véronique. « Elle a appuyé sur le mécanisme létal sans la moindre hésitation et avec la volonté d’en finir rapidement. Elle attendait cela depuis 2 ans. On sait qu’elle a été soulagée. Elle est partie près de nous, sans souffrir, sereinement, à 9h38 », raconte son époux, écrasé de chagrin. Ce n’est pas le médecin qui donne la mort mais le malade qui met lui-même fin à sa vie.
Ancienne prof d’espagnol à Paris, Jacqueline souffrait de la maladie de Charcot, une maladie incurable qui paralyse progressivement les muscles. Elle ne pouvait ni se déplacer ni s’alimenter sans l’aide de ses proches. « Dès qu’elle a eu connaissance du diagnostic, elle m’a tout de suite dit qu’elle ne voulait pas se dégrader physiquement. Elle souhaitait en finir », explique Georges, ancien directeur d’une maison d’édition. Jacqueline espérait une euthanasie à Paris. Son mari reprend : « Avec le petit réseau parisien que nous avions et les quelques amis médecins dans notre entourage, nous pensions sincèrement avoir une porte de sortie correspondant à nos souhaits. Nous pensions que nos connaissances allaient nous rendre ce service. Certains nous en avaient fait la promesse. Mais quand le moment est venu, quand Jacqueline souhaitait partir, il n’y avait plus personne. » Lâcheté des médecins ? Hypocrisie du corps médical ? Face au mur de silence, impuissants, Jacqueline et Georges se retrouvent dans l’impasse. Une impasse qui durera deux ans.
Lors d’une réunion organisée par l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), ils font la rencontre d’Erika Presig, médecin suisse et présidente de l’association Life Circle. Cette dernière accueille à Bâle, sur les rives du Rhin, les personnes qui veulent « mourir dignement ». Ces personnes doivent être atteintes d’une maladie incurable et capables de discernement. « Erika s’est entretenue avec Jacqueline durant deux heures. Elle a fait plus en deux heures que tous les médecins en deux ans. Elle s’est occupée de tout », raconte Georges, reconnaissant.
L’ultime voyage
Jacqueline a choisi. Ce sera le 30 avril. Il a d’abord fallu parcourir 600 km en ambulance de Paris à Bâle, avec l’angoisse durant tout le trajet de se faire arrêter à la frontière suisse. L’ultime voyage pour Jacqueline. « 600 km c’est un peu long. La fin de vie pour ma femme était extrêmement pénible. Dans l’ambulance, elle était épuisée, mais soulagée. Heureuse même. »
La procédure suisse est strictement réglementée. Le malade doit dans un premier temps s’entretenir longuement avec un médecin psychiatre pour garantir qu’il est là de son plein gré, pleinement conscient. Georges raconte avec beaucoup d’émotion les tous derniers moments de Jacqueline : « J’ai passé la dernière soirée à ses côtés. Elle se sentait soulagée. » Le jour J, le médecin lui repose la question, toujours avec insistance : « Souhaitez-vous mourir ? Personne ne vous oblige ? ». L’entretien est filmé afin d’assurer aux autorités suisses que le malade n’agit pas sous la contrainte. « Jacqueline était détendue, souriante. Elle plaisantait avec l’anesthésiste. La dernière chose qu’elle a écrite, c’était ‘Je vais mourir’. » Georges ne regrette pas d’avoir aidé sa femme à mourir, il explique avoir accepté le choix douloureux de son épouse : « Je savais que cette décision était légitime. À sa place, j’aurais fait pareil. »
Comme Georges, 78 % des Français se déclarent en faveur de l’euthanasie selon un sondage datant de novembre 2014. La loi actuellement discutée à l’Assemblée se voulait consensuelle, mais l’équilibre peine à être trouvé entre les pro qui la juge « hypocrite » et les anti qui y voient une loi « dangereuse ».
Leïla Khouiel

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