« J’ai été dans une longue relation pendant 12 ans. Mon ex-compagnon ne voulait pas un enfant tout de suite. C’est surtout lui qui voulait attendre, moi j’en ai toujours désiré un. Quand on s’est séparé, j’ai envisagé la PMA en tant que femme célibataire comme un plan B. Je me disais toujours que j’allais rencontrer la bonne personne mais ça n’a jamais été le cas. J’ai repoussé ce projet jusqu’à mon trente-neuvième anniversaire. Mon horloge biologique tournait. Je me suis dit que si je ne me lançais pas maintenant, ça allait être trop tard », explique Eva Dupont d’Ohid, 43 ans, auteure du blog Icimamasolo. Cette cadre dans un groupe d’assurance n’a pas attendu 2019 pour commencer ce parcours du combattant qu’est la PMA. Dans l’Union européenne, neuf pays l’autorisent pour les femmes lesbiennes et les femmes célibataires. Eva Dupont d’Ohid a choisi une clinique espagnole pour sa proximité.
Après 4 stimulations ovariennes pour tomber enceinte, 2 fécondations in vitro, une fausse couche, 29 000 euros dépensés et 12 voyages entre Paris et Madrid, la quadragénaire reçoit enfin un test de grossesse positif le 6 septembre. A la fin du mois, elle apprend que 55 députés ont voté pour l’ouverture de la PMA à toutes les femmes et 17 contre. Pas de quoi la faire bondir de joie : « Les femmes n’ont pas attendu cette loi pour le faire à l’étranger. C’est une victoire sur le principe. Mais au niveau de la pratique, rien n’a évolué. En France, on doit attendre un an à deux pour un don de spermatozoïdes alors que dans les autres pays européens, il faut attendre seulement quelques mois. Je crains que les femmes ne continuent à aller en Espagne. La question de pénurie de gamètes et très importante. Il faudrait faire des campagnes de dons de sperme et réduire les listes d’attente. Surtout que les femmes s’y prennent de plus en plus tard pour avoir un bébé ».
Il faudrait protéger les femmes sur le plan professionnel
A y regarder les chiffres de l’INSEE sur l’année 2017, une femme a son premier enfant à 30,6 ans, c’est 5 ans de plus qu’il y a 40 ans. Ajoutée à cela, une autre restriction injuste pour Eva, la limite d’âge. En France, la procréation médicalement assistée (PMA) est remboursée jusqu’à 43 ans par la sécurité sociale pour les couples hétérosexuels infertiles. Et d’après l’article 1 de loi bioéthique, cette prise en charge « restera identique et sera étendue aux nouveaux publics éligibles ». « Je ne comprends pas cette mesure, on peut très bien porter un enfant jusqu’à au moins 45 ans sans problème de santé, pesta la future maman. J’ai maintenant 43 ans, je vais donc devoir continuer mes démarches en Espagne. »
Et pour ne pas compliqué les choses, Eva a dû affronter un parcours semé d’embûches avec notamment la perte de son emploi à cause de sa PMA. Car même si elle est ouverte à toutes, la loi bioéthique ne protège pas encore ces femmes sur le plan professionnel : « J’ai été licenciée pour insuffisance professionnelle après 2 ans de démarche. Lorsqu’on entame les stimulations ovariennes pour tomber enceinte, les traitements médicamenteux sont très lourds. J’ai dû faire plusieurs arrêts maladie. Il fallait également que je fasse des anesthésies générales en Espagne. Parfois, la clinique me donnait un rendez-vous seulement 48 heures à l’avance, donc on peut organiser le voyage qu’au dernier moment », confie-t-elle. Ses employeurs ne lui ont montré aucune empathie et ont jugé la situation incompatible avec son métier : « J’étais cadre dans un grand groupe financier. Dans une entreprise qui est très orientée résultat, c’était très compliqué à gérer. Il faudrait que les femmes qui se lancent dans une PMA aient les mêmes protections légales que les femmes enceintes. C’est-à-dire qu’elles ne puissent pas être licenciées pour insuffisance professionnelle ». Et cette péripétie a retardé sa PMA alors qu’elle jouait déjà contre la montre : « J’ai dû faire une pause d’un an et demi dans mes démarches. Je ne pouvais plus m’y consacrer pleinement parce que j’utilisais déjà mon énergie pour chercher un autre poste. J’avais une légère maladie gynécologique du nom d’adénomyose qui a eu le temps de se développer. Avec l’âge, nos chances de fertilité diminuent et les maladies s’aggravent. ». Et en effet, les femmes de 41 ans ont 11% de chance d’avoir un enfant par fécondation in vitro. Le pourcentage tombe à 5% de chance entre 43 et 44 ans, d’après l’étude JAMA réalisée au Royaume-Uni.
Une démarche réservée aux femmes cadres ?
Ces faibles chances d’enfanter sont notamment dues aux complications gynécologiques qui apparaissent avec l’âge. Ce qui a été le cas de Jeanne*, divorcée de 36 ans, atteinte d’endométriose et déjà maman d’une petite fille de 7 ans : « J’ai été diagnostiqué d’endométriose il y a deux ans avec la menace de ne plus jamais avoir d’enfant. Les médecins m’ont dit que je devais faire vite. Être mère, c’est toute ma vie. Au début, je me demandais si je n’allais pas demander à un ami qui pourrait me rendre ce service-là. Dans mon entourage, on me donnait des conseils bizarres comme coucher avec un mec rencontré en boîte et lui faire un enfant dans le dos. Mais je ne voulais pas d’histoire tordue, j’ai donc pris la décision de le faire toute seule ». Après de multiples rendez-vous téléphoniques et conférence Skype avec des médecins espagnols, Jeanne a demandé un criblage génétique.
Un examen supplémentaire qui minimise les risques de maladie en sélectionnant les « bons » gènes chez l’homme et chez la femme. Cela lui a coûté 700 euros en plus de tout ce qu’elle avait dépensé : « Je me disais que j’allais mettre 5 000 euros maximum et que je ferais seulement 3 essais mais avec tous les aller-retours en Espagne, ça dépasse déjà. Au moins, si ça ne fonctionne pas cette année, j’aurais une deuxième chance en France », désespère Jeanne, responsable qualité dans le BTP. L’assurance maladie française rembourse la fécondation in vitro en elle-même mais pas la conservation des gamètes ni les traitements liés aux stimulations ovariennes. Dans un avis de 2017, le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé évaluait le coût global moyen de trois cycles de traitement de fécondation in vitro à 20 000 euros par femme. La PMA n’est donc pas réservée à n’importe quelle bourse, il faut avoir les moyens financiers et le courage pour tenter l’aventure.
Plusieurs députés de la majorité avaient d’ailleurs pointé du doigt les risques de multiplications de familles monoparentales précaires. Mais quand on y regarde de plus près, les femmes qui se lancent dans la procédure sont souvent aisées financièrement : « Je pense que si je n’étais pas cadre, je ne le ferais peut-être pas », avoue Jeanne. Même avis du côté d’Eva : « Elever un enfant seule, bien évidemment c’est difficile. En général, quand on fait ce genre de démarche, on s’y prépare. Les femmes qui se lancent dans une PMA sont souvent cadres, chefs d’entreprise ou dans une classe moyenne supérieure. Moi je n’ai pas du tout ce genre de crainte. Ce sont souvent des femmes très autonomes financièrement ».
La question des origines et du géniteur
Le 6 octobre, La Manif Pour Tous arpentait les rues de Paris contre l’ouverture de la PMA pour toutes. Selon les manifestants, la PMA sans père aurait un impact sur la psychologie de l’enfant. Eva Dupont d’Ohid n’est pas d’accord et met en avant les recherches de Susan Golombok, directrice du Centre for Family Research de l’Université de Cambridge. Cette chercheuse découvre au bout d’une quarantaine d’années de recherches que ces nouveaux modèles familiaux ne sont ni dysfonctionnels ni sources de problèmes psychologiques chez l’enfant. Au contraire, celui-ci se sentirait même valorisé car très désiré par la mère. « Pour moi, un enfant issu d’une PMA sans père devient plus autonome et se débrouille plus rapidement que dans une famille avec deux parents », ajoute Eva.
Jeanne explique quant à elle que la question du père lui importe peu : « Ma psychologue m’avait dit : vous allez priver un enfant de son père. Mais moi, je ne me pose même pas cette question. Mon désir d’enfant est plus fort que tout. Pour moi, avoir un enfant, ce n’est que de l’amour et c’est ce que je veux lui transmettre ». Mais si elle avait à choisir, elle choisirait un donneur anonyme pour protéger son enfant des déceptions : « Je pense toujours à cet enfant de 18 ans qui voudrait connaître son géniteur, qui verrait ce donneur comme un héros, se serait fait tout un film et aurait été déçu à la fin ». Aujourd’hui, la question des donneurs anonymes est encore en débat à l’assemblée et l’article 1 de la bioéthique prévoit de révéler l’identité de ces derniers.
Les deux futures mamans s’accordent également à dire qu’elles raconteront l’histoire de leur parcours à leur futur enfant né de la PMA vers l’âge de 8 ans pour qu’il puisse bien se construire avant leur entrée au collège.
Jeanne a d’ailleurs voulu expliquer sa démarche à sa fille de 7 ans née d’un premier mariage, en se tournant vers la littérature jeunesse : « Elle avait un livre sur la découverte de la sexualité et à la fin, il était écrit qu’il existait des familles différentes. Que des fois, il y avait deux mamans ou deux papas et ça ne lui posait pas de problème. Je lui ai glissé que parfois il pouvait y avoir aussi qu’une seule maman. Elle était curieuse et m’a demandé comment ça se passait. Ce qui m’a le plus marqué, c’est sa réaction quand je lui ai dit qu’on pouvait faire un enfant sans papa avec une petite graine. Elle a eu une réaction sans préjugé : ça ne lui a pas paru bizarre. Elle m’a répondu ‘Oui, d’accord‘. Et je pense que c’est ce qui devrait nous inspirer en fait. Un enfant est brut. Il est sans a priori, il n’a pas été formaté par la société autant que les adultes ».
Masisilya HABOUDOU
*Le prénom a été modifié