Elles devaient être plus nombreuses. Certaines n’ont finalement pas trouvé la force de venir. D’autres, bloquées par les grèves, ont dû avec regret décommander faute de train. Elles sont finalement trois à venir raconter leur histoire devant une soixantaine de personnes. Dalila Kerkar, maman de Samir, tué sur le parking du McDo de Garges-lès-Gonesse, Zahia Belabed, maman de Wildy mort lors d’une rixe, au Mée-sur-Seine et enfin Madame Dieng, mère de Lamine, décédé suite à une interpellation policière à Paris.

C’est par une brève introduction que Toutee Inan et Hocine Radjaï, les fondateurs de Biblio’tess, qui habituellement présentent des livres et leurs auteurs, expliquent pourquoi ils ont décidé de donner la parole à ces mères endeuillées. « Chaque maman est un livre et leur témoignage est une force », affirme Toutee. Puis deux associatifs prennent la parole. Isabelle, éducatrice dans le 19e, présente l’association des Mères combattantes, tandis que Goundo Diawara, du collectif Front de mères, dresse un constat sur les rixes qui gangrènent les quartiers depuis trop longtemps.

Place aux mamans. Dalila Kerkar commence. La Sarcelloise raconte comment son fils Samir, 28 ans, a été tué à par un autre jeune. « Mort pour un McDo », déplore-t-elle. Les larmes coulent, l’émotion l’emporte. C’est Lynda, sa fille, qui prend le relais et revient sur les faits. Cette nuit d’été 2015, son frère était dans la file d’attente du Drive avec un ami.

Combien de morts faut-il ?

Il aperçoit une connaissance, descend du véhicule pour la saluer. Son assassin pense alors que le jeune homme tente de lui « voler sa place dans la file ». Il sort de la voiture et lui assène un coup de couteau. Samir décède quelques heures plus tard dans les bras de son meilleur ami. « Le coupable a été condamné à 18 ans de prison mais on n’oublie pas et surtout on ne veut pas que ça se reproduise », raconte Dalila qui regrette que son fils n’ait « pas eu le temps de se marier, ni d’avoir d’enfants ».

C’est au tour de Zahia Belabed, la maman de Wildy Gourville, de monter sur l’estrade. Son fils a été tué en février 2016 dans un bâtiment voisin du sien, alors qu’il fumait une chicha avec trois amis. Il allait sur ses 19 ans. « Wildy ne faisait rien de mal, c’était un jeune garçon sans histoire ». Cette nuit-là, trois hommes aux visages dissimulés surgissent dans la cage d’escalier où se trouvent Wildy et ses copains.

L’un des agresseurs se rue sur son ami Sofiane. Wildy intervient. Des détonations résonnent. Le garçon est touché à l’abdomen, il succombe quelques heures plus tard. « Je suis arrivée trois minutes après, il se vidait de son sang. Je l’ai vu mourir », pleure Zahia.

Toutee Inan, Mme Dieng, Fatou Dieng, Dalila Kerkar, Zahia belabed, Hocine Radjai, Vince

Faute de preuve suffisante, le principal suspect a été acquitté il y a un an. De son propre aveu, Zahia « ne (croit) plus en la justice ». La mère de famille tient également l’Etat pour responsable. « Qui laisse rentrer les armes dans nos banlieues ? C’est l’Etat qui a mis l’arme dans la main du meurtrier de Wildy », affirme-t-elle. Elle ne décolère pas. « Combien de morts faut-il ? On est la deuxième France, on s’en fout de nous. La police laisse nos jeunes se tuer entre eux ». Elle raconte sa crainte pour son fils ainé, sa haine, « le calvaire » du procès. Entre larmes de colère et de désespoir, la maman survit. « C’est la foi qui me fait tenir », soupire-t-elle, amère.

Des procédures longues et coûteuses qui découragent parfois

A chaque témoignage, les larmes des témoins trouvent échos dans le public. L’ambiance est lourde. La peine immense. Cependant, comme le rappelait Goundo Diawara en début de rencontre, ces mamans « nous donnent de la force par la dignité avec laquelle elles traversent ces épreuves ».

C’est maintenant le tour de Madame Dieng, mais celle-ci préfère laisser la parole à sa fille Fatou. Cette dernière revient sur les faits. En juin 2007, Lamine a 25 ans. Interpellé par les policiers du 20e arrondissement, appelés pour tapage nocturne, Lamine subit un placage ventral et une clef d’étranglement (pratiques enseignées dans les écoles de police française mais interdites dans de nombreux pays).

Lamine meurt d’asphyxie dans le fourgon de police. Depuis, la famille Dieng mène un combat pour faire reconnaître la responsabilité des policiers. Après le non-lieu prononcé en 2017, la famille a saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme. « Ça fait 12 ans, mais c’est comme si c’était hier. Le temps est en suspens, explique Fatou. Nous avons subi un déni de justice, nous avons été humiliés mais nous sommes encore debout. »

La jeune femme rappelle que ces familles ne sont pas considérées comme des victimes, « il n’y a pas de cellule psychologique mise en place et nous ne sommes préparés ni à la mort ni aux procédures longues et coûteuses. » Au même titre que Zahia, Fatou affirme ne plus croire en la justice : « Au début, j’avais espoir, aujourd’hui je n’en ai plus. Le combat que l’on mène, c’est pour que cela n’arrive pas à d’autres. »

Je n’ai jamais été aussi à l’aise pour parler

Dans le public, une femme intervient. Selon elle, les mobilisations des différents comités dénonçant les violences policières ont fait évoluer les choses. « Aujourd’hui, les témoins ont le réflexe de sortir leur téléphone et de filmer la scène. » Une partie de la salle acquiesce. Mais très vite, le parallèle est fait avec les rixes où les jeunes filment (aussi) leurs exactions et les diffusent sur les réseaux sociaux dans une sorte de surenchère malsaine. « On avance d’un côté, on régresse de l’autre », se désole Hocine.

Une autre voix émerge : « Même les jeunes, lorsqu’ils se tuent entre eux, les policiers sont dedans. » Cette voix, c’est celle de Mme Dieng. Comme la maman de Wildy, elle considère que les policiers laissent les jeunes s’entretuer dans les quartiers. « Si la police nous tue et si on se tue entre nous, où va-t-on aller ? » interroge la sœur de Lamine.

« La façon dont je suis à l’aise pour parler parmi vous, je ne l’ai jamais été en dehors.  Ce genre d’événement est nécessaire. C’est une sorte de thérapie », confesse Fatou. Le dialogue se poursuit, les échanges se multiplient, dans une ambiance intimiste.

Il est 22h30, le débat prend fin, les initiateurs proposent aux participants de partager un buffet. Les larmes laissent place aux sourires. Les remerciements mutuels, les étreintes prolongées… Ce soir, chacun repart le cœur plein d’émotion, les mamans se sentent moins seules. « On est ensemble et on continuera à se battre pour que cela ne se reproduise plus », conclut madame Dieng. Après de longues embrassades, les participants se quittent en pensant déjà à une prochaine rencontre.

Céline BEAURY

Crédit photo : CB / Bondy Blog

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