C’est tout à fait par hasard qu’en feuilletant un ouvrage, nous avons trouvé un article du quotidien Le Parisien datant du mercredi 20 novembre 1957 dont voici un extrait :

« Atroce tuerie à Bondy, où six Musulmans sont abattus pendant leur sommeil. Il s’agirait d’un règlement de compte entre bandes rivales. ’Camarades morts, venir tout de suite’. C’est ainsi que M. François Goujon, ambulancier à Meaux, fut interpellé dans la nuit de lundi à mardi, par un Musulman qui paraissait grièvement blessé. M. Goujon venait de raccompagner à son domicile de Bondy, une grande malade, qui devait d’ailleurs rendre peu après le dernier soupir. Il se trouvait à l’angle des rues Auguste Blanqui et Roger Salengro à Bondy, quand l’homme le héla en titubant. (…). Peu après, les enquêteurs se présentaient rue Auguste Blanqui où un horrible spectacle les attendait : dans une pièce meublée du rez-de-chaussée, cinq cadavres ensanglantés semblaient avoir été jetés pêle-mêle sur les lits et sur le sol. (…). La porte d’entrée avait été défoncée et les traces de nombreux coups de feu pouvaient être relevées.(…)

Le propriétaire de cette maison pompeusement baptisée hôtel est un certain Mohamed Néri. Il vit depuis longtemps en France et n’a pas attiré, jusqu’à présent, l’attention sur lui…


La persistance et même la recrudescence du « terrorisme » Nord-africain inquiète de plus en plus, aussi bien les musulmans qui constituent l’immense majorité des travailleurs Algériens en France, que les Français de la métropole.


Les travailleurs Nord-africains honnêtes et loyaux ont droit, ainsi que nous l’avons maintes fois écrit, à une sécurité totale au même titre que tous les habitants de certains quartiers de Paris ou de villes de la banlieue transformés trop souvent en théâtres tragiques par les mercenaires de la rébellion.


Les victimes : Ahmed Benziane, 30 ans ; Mohamed Djaifri, 32 ans ; Mohamed Ziani, 32 ans ; Rabah Kada, 37 ans ; Mohamed Bouazza, 22 ans ; Neri Bélardi, 20 ans.


Benamour Ziane, 28 ans et Benamar Ziane, 29 ans, sont blessés grièvement. »

                            

Le carnage relaté dans l’article du Parisien s’inscrit dans l’une des facettes les plus tragiques de la guerre d’Algérie : la « guerre dans la guerre ». Cette appellation désigne la lutte fratricide opposant membres du Mouvement National Algérien (MNA) et partisans du Front de Libération National (FLN) pendant les premières années du conflit. Un article de La voix de l’Est décrivant également la tuerie de 1957 précise que, d’après les sources policières, il s’agirait bien d’un règlement de compte entre les deux factions.

Les premières années de la guerre d’indépendance voient s’affronter les deux grands partis nationalistes, en métropole comme en Algérie. Ce bain de sang prouve la volonté des deux partis clandestins de s’imposer au sein de la première communauté maghrébine de Bondy, témoignant de leur engagement probable dans la lutte.

Le FLN (Photo de gauche) qui a commencé le conflit le 1er novembre 1954, et leImages MNA parti de Messali Hadj (photo de droite) qui refuse de dissoudre son mouvement pour rallier le FLN.

Pourquoi les deux mouvements s’opposent-ils  aussi violemment ? Il faut remonter aux germes de la révolution algérienne pour avoir un élément d’explication. FLN et MNA sont issus de la scission d’une autre mouvance, le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) créé en 1947 dans le but affiché d’émanciper le peuple Algérien du joug colonial. Or ce mouvement fondé par Messali Hadj est miné par des luttes intestines, qui rendent impossible toute action efficace contre le colonialisme. Les massacre de Sétif et de Kherrata notamment, le 8 mai 1945, rendent pourtant impossible pour toute l’Algérie le maintien du status quo colonial. Une répression qui choqua d’autant plus les Algériens que des dizaines de milliers d’entre eux ont passé leurs dernières années à se battre avec les troupes alliées (débarquements en Provence et à Monte-Cassino) et en métropole en treillis, à ramper dans la boue et le sang pour libérer la France du nazisme. C’est dans ce contexte d’inertie du MTLD qu’est créée une force dissidente du mouvement :l’Organisation secrète (OS), ancêtre du FLN, qui prône explicitement le passage à la lutte armée.

Je crois que c’est Vauban qui disait « pour gagner la guerre trois choses sont nécessaires : l’argent, l’argent et l’argent ». La seule source de financement possible était alors constituée par l’immigration algérienne, compte tenu de l’état de misère terrible dans lequel le système colonial avait plongé la population « autochtone » en Algérie (Cf. Albert Camus : Misère de la Kabylie). Le contrôle des cotisations des émigrés était donc l’enjeu des affrontements ente le FLN et le MNA en France.

Bien sûr la collecte de fonds était organisée clandestinement, en grande partie par le biais de porteurs de valises, ces Français qui aidaient les indépendantistes Algériens à transporter argent et documents divers de l’hexagone vers la colonie.

Six morts et deux blessés graves tel est le tribut que versa la communauté Algérienne de notre ville à l’indépendance de l’Algérie .Un lutte sanglante et fratricide, emboîtée au sein d’une guerre contre le colonialisme qui fut longue et meurtrière (on estime le nombre de victimes civiles entre 500 000 et un million). Tant de sang versé afin de se libérer d’un système qui maintenait toute une population dans un état de sous-hommes. Quels pouvaient bien être ces « bienfaits de la colonisation » pour qu’un peuple fût ainsi prêt à tous les sacrifices pour pouvoir s’en passer ?

Par Hanane Kaddour et Idir Hocini.

Hanane Kaddour

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