C’est un samedi comme tant d’autres, un jour de février un peu triste où le vent froid suggère de rester bien au chaud chez soi, emmitouflé dans les couvertures. Malheureusement pour mon confort, ce samedi est le jour que nous avons choisi  pour faire un reportage dans les cités de Bondy. Hakim nous sert de guide vers les cités de Bondy Nord, le Mordor comme Idir aime à les appeler.  Depuis que je suis au Bondy Blog je n’avais jamais eu l’opportunité de me rendre là-bas. Bon je dois vous l’avouer, le petit provincial que je suis, n’imaginerait pas s’aventurer seul dans un tel lieu. Alors que nous marchons vers notre destination Hakim me donne un peu raison en me disant que les gens ici se méfient de ce qui est étranger à la cité, l’association avec la police est très vite faite. Il y a comme une sorte d’ironie dans ce jeu de miroirs de la méfiance où l’on se demande qui est l’étranger et qui est l’autochtone.

Nous arrivons au pied de la tour où nous devons faire le reportage. Des jeunes adossés au mur, une camionnette de police arrêtée de l’autre côté du rond point contrôlant des automobilistes, l’image serait presque stéréotypée si ce n’était la réalité d’un samedi en banlieue parisienne. Hakim s’adresse aux jeunes, nous présente et leur explique que nous sommes venus filmer dans la tour. Je regarde la scène en constatant benoitement que je n’aurais jamais eu ce réflexe : moi, je ne voyais « que » des jeunes adossés à un mur, Hakim lui voyaient les résidents chez qui nous allions rentrer et qui avaient finalement le droit de se demander ce que nous venions faire chez eux. Subitement je réalise que cet immeuble austère n’est pas forcément qu’une somme d’appartements impersonnels mais constitue aussi un environnement social possédant sa propre dimension identitaire ; l’ignorer serait une monumentale gaffe relevant de l’impolitesse du marcheur qui traverse un village sans dire bonjour et échanger quelques mots.

Alors que nous rentrons dans le bâtiment, un des jeunes décide de nous rejoindre pour nous servir de guide. Nous commençons à déambuler dans les couloirs et la discussion s’engage avec notre hôte. Son discours est clair et simple, il semble plutôt affable et courtois. J’avoue une empathie naturelle à son égard. Puis Hakim le questionne sur son parcours : il est « tombé pour car-jacking » dans le 92… deux ans de prison… il est sorti il n’y a pas longtemps. Je regarde son visage alors qu’il vient de prononcer ces mots. Je ne peux m’empêcher de penser qu’en d’autres circonstances notre rencontre aurait pu se révéler nettement plus désagréable pour moi. Et pourtant, dans ses yeux se lit un mélange de gentillesse et de frustration résignée qui laisse imaginer que son itinéraire aurait pu être bien différent : dans la France de l’égalité et de la fraternité, si vous êtes Noir à Bondy vos chances ne sont évidemment pas les mêmes que si vous êtes Blanc à Neuilly. Stéréotype? Oui peut-être. Mais quand la réalité vous saute à la figure, il est difficile de l’ignorer… .

Cédric Roussel

Cédric Roussel

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