Au début ils n’étaient que deux. « Solidarité avec tous les migrants » criait leur banderole. À eux deux, ils représentaient le camp de réfugiés d’Austerlitz en place depuis plus de deux ans. Il n’avait pas plu de la journée, et voilà que des gouttes se sont mises à tomber, vendredi dernier, place Baudoyer, face à la mairie du IVe arrondissement de Paris. Pile pour l’heure du rassemblement, le ciel nous tombait sur la tête.
Solidaires, Sud, le DAL, la CGT, le PCF, les Verts, Nous Citoyens… On aurait dit qu’il y était tous. Regroupés sous des bâches, chacun tenait sa phrase bien en main, peinte en rouge sur un tissu blanc, ils avaient gravé la solidarité, l’humanité, le respect des droits… et celui des promesses. On aurait dit qu’ils y étaient tous, mais ils étaient en fait si peu. Face à des millions de partages et des millions d’hommages offusqués, choqués par la photo de ce bébé syrien, Aylan Kurdi, retrouvé mort, noyé, sur une plage de Bodrum en Turquie. Face à plus de 340 000 de réfugiés, « de migrants », qui fuient la mort pour venir vivre en Europe, et dont certains hantent désormais nos écrans. Et aujourd’hui, face à plus de 500 réfugiés, qui étaient 250 en juillet sur les quais d’Austerlitz, à Paris. Face à eux, ils étaient si peu.
IMG_8769Face à ces damnés de la terre et de la mer, face à ces chiffres sanglants, la place Baudoyer nous amène en effet à penser qu’il n’y a rien qu’une colère tristement languissante, arrêtée au stade de l’émotion. Car ce soir place Baudoyer, nous ne sommes pas plus d’une centaine. Au cœur de Paris, à deux pas de l’Hôtel de Ville et du H&M de la rue de Rivoli qui ne désemplit pas, nous ne sommes qu’une petite centaine à nous être déplacés pour crier avec le DAL « nos droits sont leurs droits, et un toit est un droit ».
« Mais c’est toujours les mêmes qui sont mobilisés. Aujourd’hui nous appelons à la conscience des gens, de tous les gens » martèle Anne Lebreton, adjointe au maire du IVe arrondissement de Paris. De quoi est-elle l’élue ? lui demande-t-on. « Élue à la lutte contre l’exclusion, répond-elle, et puis… à… enfin… » Bon, tant pis. Elle ne retrouvera plus les termes exacts de sa fonction. Mais rassurons-nous « tout est écrit sur le site de la mairie de Paris ».
Tous, même ceux qu’on n’attend pas ?
L’élue de centre droit qui s’avère être « chargée des familles, de la lutte contre les exclusions, de la protection de l’enfance et des personnes âgées » dit appeler à la conscience des gens, dit vouloir changer le regard sur l’immigration. Puis elle poursuit en promesses : « La ville de Paris, dont je fais partie, devrait bientôt proposer des solutions ». Ah oui ? Mais alors lesquelles ? « De grosses subventions. Nous le faisons déjà. Vous savez, nous sommes engagés depuis longtemps » confesse-t-elle. Consciente que le simple engagement ne suffit plus. D’ailleurs, nous n’aurons pas eu plus de détails sur ces solutions.
Cependant l’élue poursuit : « Ce qu’à fait Merkel, c’est extraordinaire. C’est comme une bombe ! » s’exclame-t-elle. À quand la bombe de la France alors ? Pas de réponse non plus. Notre élue du IVe arrondissement insistait sur la forme totale et globale que devait prendre ce combat. « Tous les gens » disait-elle doivent prendre conscience. Tous, même ceux qu’on n’attend pas ?
Ainsi, le député de Seine-et-Marne Jean-François Copé, ancien président de l’UMP (Les Républicains), appelait jeudi dernier sur son blog, à « accueillir les réfugiés syriens ». Surprise ! Ce dernier, qui avoue pourtant défendre « une droite décomplexée » invitait à penser un « droit d’asile intelligent ». Aussi samedi dernier, le réalisateur Raphaël Glucksmann, proche du très controversé Bernard-Henri Levy, parvenait à réunir, en province et place de la République à Paris, 10.000 personnes. De SOS Racisme aux représentants d’EELV en passant par Amnesty International et la communauté LGBT, à nouveau, on pouvait penser qu’ils y étaient tous. Ils étaient nombreux, certes. Mais c’était encore trop peu.
Trop peu lorsque l’on considère le dernier sondage Odoxa paru dimanche dans Aujourd’hui en France, qui révèlent qu’encore 55 % des Français se montrent hostile à un assouplissement des conditions d’accueil. Et trop peu lorsque l’on compare la France à l’Allemagne, cette bombe dont parlait madame Lebreton, qui s’apprête à recevoir des milliers de réfugiés syriens.
Nabil vit depuis deux ans aux côtés des réfugiés à Austerlitz et donne, comme de nombreux bénévoles, des cours de français. Il passe, lors d’un de ces rassemblements, le micro à Mohamed. Le soudanais confie sa pancarte à son voisin et parle. « Dans ces conditions indignes, que peut-on faire d’autres que subir ? » demande cet homme qui a quitté le Soudan pour la Libye, où il explique avoir été particulièrement mal accueilli, pour enfin venir en France, en qui il avait espoir.
De l’espoir. Voilà ce que représente la France pour ces hommes qui quittent l’enfer pour venir tenir ce soir les cinq lettres de Paris, peintes en couleur et en majuscules. P pour la paix, A pour amour, R pour réuni… Bref Paris, un dernier espoir finalement décrépi sous un pont de l’est parisien. Les syndicats et organisations présentes sont très clairs : ils attendent avant tout un hébergement, digne d’hommes, d’humains. Et sans tri. Ils répètent surtout que la sortie du campement devra s’effectuer sans aucune présence policière (et la violence que celle-ci pourrait entraîner).
« Montrer qu’on arrive à se rassembler »
Hier, à l’heure de ce rassemblement, ils étaient une dizaine d’hommes à assister à un cours de français sur les quais. Un cours de révision improvisé, mais devenu quotidien. Au programme : l’alphabet, les chiffres, et l’identité. Nom, prénom, date de naissance et nationalité. Ils répétaient en cœur l’exemple que Nabil leur avait donné : « Je suis Hollande de nom, François de prénom. De nationalité française, je suis né le 12/08/1954 à Rouen ». À la fin de ce cours de révision, ils sauront donc tous se présenter, mais n’auront comme seul prénom français en bouche celui du Président de la République française. Une République qui ne paraît pas encore décidée à les aider, ces réfugiés.
Une fois les présentations terminées, ils recopieront sur leur cahier Top Budget les 26 lettres de l’alphabet, proprement écrites sur un tableau posé à terre contre un arbre. Pendant le cour de français et alors que Twitter et les autres déversaient leurs émotions en criant à la barbarie, quelques Velib’ passaient discrètement par là. Et un bateau aussi, siglé Bercy , qui faisait des allers-retours sur la Seine. Ni les uns, ni les autres, ne se sont arrêtés.
Place Baudoyer vendredi, un élu vert rappelait que la France avait déjà accueilli bien plus de réfugiés qu’il n’en est question aujourd’hui. C’étaient les Arméniens, dans les années 30. Ils étaient plus de 130 000. Un nouveau, pour ne pas dire énième rassemblement, est prévu ce 9 septembre, à la Rotonde de Jaurès. L’objectif : « montrer qu’on arrive à se rassembler ». Pour le moment, on a du mal à y croire.
Alice Babin

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