Joueur de foot depuis son plus jeune âge, Fabien Binant a endossé le « costume » d’entraîneur à 20 ans. Une carrière précoce et une réputation qui lui précède, aujourd’hui trentenaire il est devenu une référence à Drancy (93), où il officie. Portrait.

Il en fallait, du courage, pour braver le froid glacial. Ce dimanche-là, ils sont pourtant une cinquantaine à se masser le long de la main courante du stade Maurice-Bacquet, à Drancy. Parmi les téméraires qui ont longé le chemin de fer jusqu’à trouver l’enceinte, les familles des joueurs, leurs amis, mais aussi des émissaires d’Arsenal, de Chelsea et d’autres clubs professionnels. Sur le terrain, les moins de 17 ans de Drancy reçoivent ceux de Valenciennes.

Au bord de la pelouse, leur entraîneur, Flavien Binant, donne de la voix. “Allez, les gars, mettez plus d’impact, ne reculez pas !” L’homme a la voix qui porte, bien au-delà de sa barbe épaisse. Il est bien loin du petit coach de district au survêtement mal taillé, choisi parce qu’il connaissait vaguement la règle du hors-jeu et le principe de la contre-attaque. A 34 ans, Flavien Binant est un entraîneur bardé de diplômes, à la réputation élogieuse, récompensé du titre de meilleur éducateur de la région en 2013.

Il faut dire que l’homme n’a pas mis bien longtemps à passer des crampons aux baskets. “J’ai commencé à entraîner à 20 ans, explique-t-il. En tant que joueur, je m’étais fait les ligaments croisés, j’ai dû arrêter. De toute façon, je n’étais pas un très bon joueur. Entraîner était mon seul moyen de fréquenter le haut niveau.” A Lizy-sur-Ourcq, puis à Meaux, il gravit les échelons, toujours avec la même passion. “Flavien vit le foot, confirme Pierre Brenne, le président du CS Meaux. Il vit par le jeu, il communique par le jeu. C’est quelqu’un d’extrêmement compétent, à la fois sur le plan technique et dans la gestion humaine. Il met le jeu au centre de tout. C’est une chance de l’avoir.”

A Drancy, Flavien est en charge des U17. Ses joueurs, âgés de quinze et seize ans évoluent en championnat national ; la Ligue 1 des catégories de jeunes, un championnat relevé où s’opposent les professionnels de demain. Les jeunes de Valenciennes évoluent déjà dans le confort d’un centre de formation professionnel. Ceux de Drancy, eux, rêvent de cette exposition pour se faire repérer. La feuille de route confiée à Flavien est claire autant qu’elle est difficile : maintenir, pour la première fois de son histoire, le club du 93 à ce niveau et permettre à un maximum de ses jeunes de rejoindre un club professionnel.

Après cinq mois de compétition, la mission est déjà en passe d’être réussie. L’équipe est troisième de son championnat et les clubs pros se succèdent pour observer les jeunes drancéens. Un début de saison idéal pour un promu, auquel Flavien Binant est évidemment loin d’être étranger. Dans le club du 93, le professeur d’EPS, qui continue à faire des heures de vacation ici et là, a appliqué les méthodes qui l’ont fait réussir ailleurs. Partout où il est passé, Flavien Binant a laissé derrière lui l’image d’un passionné. “Je ne vois pas ce qu’on pourrait dire de mal sur ce garçon”, nous explique un dirigeant. A la tête de la sélection régionale des U15, des U17 Nationaux ou de l’équipe-fanion de Torcy, il s’est forgé ces dernières années une sérieuse réputation de formateur.

C’est précisément ce qu’est venu chercher Drancy chez lui. “J’essaie d’apporter quelque chose”, répond-il modestement lorsqu’on lui demande d’expliquer sa méthode. A chaque fois qu’il essaie de parler de lui, Flavien cherche ses mots, jette son regard ailleurs, se réfugie derrière des généralités. L’homme n’est pas du genre à chercher la gloire. Non, lui est bien plus à l’aise à parler du “3-5-2” qu’il a importé à Drancy, de ses “latéraux qui accusent un peu le coup physiquement”, de la “première relance verticale” qu’il “demande à ses défenseurs” ou des “dirigeants magnifiques qui l’entourent”. Il pousse même la reconnaissance jusqu’à citer, un à un, le nom de ceux qui lui ont mis, il y a plusieurs années, le pied à l’étrier.

Mais, derrière la modestie et la passion, l’éducateur est un bourreau de travail. “Avec lui, si tu n’as pas de mental, tu peux arrêter le foot”, sourit un de ses joueurs. Quatre soirs par semaine, il donne de la voix, au milieu des coupelles, sur le synthétique obsolète de la JA Drancy. “Les clubs professionnels s’entraînent tous les jours, ils ont les joueurs qu’ils veulent… Nous, nos joueurs, ils sont dans le crachat et la pisse toute la semaine. Alors on fait avec ce qu’on a : le travail et l’envie”. Un meneur d’hommes ? Tout juste consent-il : “Il y a de la rigueur, bien sûr. Je ne fais de cadeau à personne.

Beaucoup de ses joueurs habitent les villes avoisinantes Drancy. Certains font même près d’une heure de trajet pour venir s’entraîner. Ils font partie de l’élite de leur génération. A seize ans, évoluer en championnat national constitue pour eux une des dernières chances de faire du football leur métier. Venus de là où ils viennent, le football est, pour eux, bien plus qu’un loisir. C’est un des seuls moyens de prendre l’ascenseur social, de “rendre fière la famille”, comme l’explique l’un d’eux. Tout cela, Flavien Binant en est conscient. “Si je suis là, ce n’est pas pour rien”, assure-t-il. Il a longtemps travaillé, en dehors du football, dans des centres sociaux de la région parisienne.

En attendant, Flavien “a réussi à faire du football (son) activité principale”. Une chance qu’il mesure. Et dont il imprègne sa méthode. Dans ses rapports humains : “J’aime mes joueurs, je suis proche d’eux.” Mais aussi, et surtout, dans son approche du football. Dès la préparation physique, Flavien Binant a surpris ses joueurs. Loin des longs footings et des séances éprouvantes de début d’année, lui a privilégié une préparation fondée sur le jeu, et rien que le jeu. “Ma méthode, c’est de mettre le ballon au coeur de ce que je fais. Je veux qu’ils prennent du plaisir.” Si la carrière de ses joueurs n’en est qu’aux prémices, sa trajectoire aussi est loin d’être terminée. Lui se “voit bien” intégrer un club professionnel ou “aller entraîner à l’étranger”. Avec sa passion, ses idées… et son 3-5-2.

Ilyès Ramdani

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