Le Bondy Blog : Question peut-être naïve mais peut-être encore importante à poser. C’est quoi le VIH ?

Florence Thune : C’est le virus de l’immunodéficience humaine. C’est un virus qui a la particularité de muter sous différentes formes. Il s’attaque au système immunitaire qui s’affaiblit au fur et à mesure que la quantité de virus dans le corps augmente. En l’absence de traitement, les personnes infectées développent des maladies opportunistes qui profitent de la faiblesse du système immunitaire. Le stade final est ce qu’on appelle le sida (syndrome d’immunodéficience acquise) qui est le moment où les personnes infectées développent des maladies mortelles. Souvent, on dit « mourir du sida », mais on meurt en fait des maladies qui sont développées par la présence du virus. Heureusement, aujourd’hui, on a des traitements qui permettent d’empêcher la réplication du virus. Malheureusement, ils ne permettent pas encore de l’éradiquer, ce qui fait qu’on prend des traitements à vie. Je dis souvent, on, nous, parce que je suis moi-même personne vivant avec le VIH depuis plus de 20 ans.

Le Bondy Blog : Les idées reçues sur le VIH, notamment qu’il puisse se transmettre par un baiser, augmentent depuis 2015 chez les 15/24 ans. Comment l’expliquez-vous ?

Florence Thune : On sait aujourd’hui que le virus se transmet uniquement par le sang, les sécrétions vaginales, le sperme et le lait maternel. Le virus ne se transmet pas en embrassant une personne, en étant en contact avec la transpiration d’une personne, en buvant dans le même verre, ça ne se transmet pas non plus par les piqûres de moustiques. Ces fausses idées reviennent régulièrement. C’est dû manifestement à la baisse des actions de prévention en milieu scolaire. Toute une génération dans les années 90 a bénéficié d’un grand nombre de séances consacrée à l’éducation à la sexualité et à la lutte contre le VIH. C’était une époque où les gens mourraient, il y avait vraiment une urgence en terme de prévention. Au fur et à mesure que ces images fortes du décès de personnes ont disparu, on a eu l’impression que le danger était parti, alors qu’il y avait toujours des contaminations. On a eu vraiment un recul au niveau des campagnes de santé publique et de prévention au niveau de l’Éducation nationale et du ministère de la Santé, des campagnes qui touchaient à la fois le grand public et les jeunes à l’école. Depuis 2003, les jeunes doivent avoir accès à trois séances d’éducation à la sexualité par an en collège et en lycée. Pourtant, un grand nombre d’élèves n’en bénéficient pas.

Le Bondy Blog : En France, 6 000 personnes découvrent leur séropositivité tous les ans et 25 000 personnes ignorent qu’elles sont porteuses du VIH. Pourquoi le dépistage n’est pas devenu un réflexe général ?

Florence Thune : Le dépistage reste encore un geste qui fait peur. Il y a à la fois des personnes qui ne se sentent pas concernées, car d’après elles, elles n’ont pas pris de risque. Et puis il y a aussi la peur d’avoir le résultat, parce que on est dans une situation très paradoxale, où à la fois la question du VIH se banalise, comme si finalement ce n’était plus un souci, mais en même temps, on a encore une image très mortifère du VIH. Aujourd’hui, on essaie de dire que le VIH reste un vrai problème, mais en même temps, apprendre sa séropositivité aujourd’hui, ce n’est effectivement pas comme il y a 20 ans. Plus les personnes prennent tôt le traitement, plus elles restent en bonne santé et en plus elles protègent les autres personnes. On sait aujourd’hui que non seulement ce traitement est bon pour la santé des personnes, sans parler des effets toxiques éventuellement secondaires, mais en plus, il empêche la transmission du VIH. Les personnes sous traitement ont ce qu’on appelle une charge virale indétectable. Ce qui fait que le virus est complètement rendu inactif et il n’y a pas de transmission. C’est vraiment une avancée.

Le Bondy Blog : Que pensez-vous du fait que l’infection par le VIH soit aujourd’hui considérée comme une maladie chronique ?

Florence Thune : Au niveau médical, on estime que c’est un virus qui peut être contrôlé en prenant un traitement quotidien. On dit souvent que le VIH deviendrait maintenant une maladie chronique comme les autres. Et c’est ce « comme les autres » que je n’aime pas. C’est comme si ça rendait banal même les autres pathologies. Or, il n’y a aucune banalité dans le fait d’avoir une maladie chronique. Dans la question du VIH, au-delà de cet aspect médical, il y a une dimension sociale qui existe moins dans certaines pathologies. Quand vous dites que vous êtes séropositif, encore trop souvent maintenant, on cherche à savoir comment ça vous est arrivé, ce qu’on ne demande pas pour un diabète. Je ne mets pas en parallèle la gravité de l’un ou l’autre, il y a cette dimension sociale qui reste liée et qui vraiment me fait dire que le VIH, malgré tout, ne reste pas une maladie comme les autres. Au sens de ce que ça suppose derrière en terme de regard sur les personnes.

Le Bondy Blog : Quelles sont les pistes actuelles de la recherche ?

Florence Thune : La recherche continue sur la question du vaccin, parce que même si c’est un peu la recherche du Graal, c’est un objectif à long terme. A moyen terme, il y a entre autres, deux pistes de recherche, à la fois sur l’allègement des traitements et sur la rémission, un mot qui commence à apparaître, avec l’idée qu’un jour, on pourrait avoir finalement des personnes qui sont séropositives mais qui, même sans traitement, restent en bonne santé.

Le Bondy Blog : « A l’horizon 2020, 90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, 90% de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement anti rétroviral durable. 90% des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée ». Les 3 90, sont les trois objectifs de l’OMS repris par la Seine-Saint-Denis, deuxième département le plus affecté en France. N’est-ce pas utopique ?

Florence Thune : En théorie, c’est possible. On a tous les outils en France et au niveau mondial pour arriver à cet objectif des 3 90 en 2020 et 3 95 en 2030. L’ONUSIDA commence à parler d’un monde sans sida, ou une fin de l’épidémie pour 2030, à condition qu’on ait déjà atteint ces 3 90 en 2020. Sur le papier c’est très beau, en revanche, on est assez inquiet sur le fait d’atteindre ces 3 90 en 2020. En France, on est déjà sur les deux derniers 90, l’accès au traitement et la charge virale indétectable. Là où on pêche souvent, c’est sur le 90% des personnes qui connaissent leur statut. C’est un vrai enjeu, en Seine-Saint-Denis, en France, et dans beaucoup de pays, de pouvoir encourager à aller vers le dépistage et en amont faire de la prévention. Or, on sait que les associations sont un des meilleurs acteurs en terme de prévention. On le voit quelles que soient les associations, notamment celles qui font de la prévention auprès des travailleuses du sexe. Elles avaient notamment avec les contrats aidés, la possibilité d’avoir des personnes qui sont parfois elles-mêmes issues de ces populations, qui ont un contact direct, qui font un travail incroyable sur le terrain. Mais on a d’un côté des belles stratégies, les outils qu’il faut, mais de l’autre, on a des décisions ou des politiques qui vont à l’encontre de ces objectifs. On a signé avec 50 associations, un communiqué de presse au mois de septembre sur cette question, pour dire à quel point la baisse des contrats aidés impacte la lutte contre le sida.

Le Bondy Blog : L’augmentation du budget de l’Aide médicale d’Etat (AME) dans le projet de loi de finances pour 2018, a fait des remous à l’Assemblée nationale, fustigée par la droite et l’extrême droite. En quoi l’AME est importante dans la lutte contre le VIH ?

Florence Thune : L’aide médicale d’Etat permet d’aller vers les soins. Les personnes qui ne vont pas vers les soins vont développer en plus des maladies qui ne vont pas se soigner, et plus c’est grave, plus elles finissent aux urgences, où on finit par les prendre évidemment en charge mais avec un coût, pour leur santé, déjà, et un coût financer plus important. On se dit finalement que l’AME devrait tout simplement disparaître. Elle devrait être intégrée dans le système de la sécurité sociale. Cette aide médicale d’état peut être en danger, dans le sens où on pourrait dire « ces migrants, on ne va pas les soigner, en plus ils nous amènent des maladies« . On est en plus sur cette croyance que les personnes qui viennent de l’étranger arrivent pour se soigner en France, alors qu’on a vu dans certaines études sur la question du VIH, qu’une part importante de personnes ont été contaminées à leur arrivée en France. Pourquoi ? Parce qu’elles se retrouvent souvent dans des situations extrêmement précaires. Notamment des jeunes femmes, qui vont par exemple négocier un logement contre des rapports sexuels et forcément se mettent en danger. La région Ile-de-France en a aussi rajouté une couche, puisque l’aide aux transports jusqu’à présent accordée aux bénéficiaires de l’AME a été supprimée, alors qu’il y a des personnes qui sont très loin des centres urbains, des hôpitaux. A Versailles, une association, « Marie-Madeleine », travaille beaucoup depuis longtemps avec les femmes migrantes notamment des jeunes femmes qui ont fait tout le parcours migratoire depuis l’Afrique de l’Ouest, en passant par la Libye et qui arrivent en ayant subi des violences sexuelles le long du parcours. Certaines sont déjà contaminées par le VIH, mais elles n’étaient pas contaminées par le vih dans leur pays d’origine.

Le Bondy Blog : La semaine dernière, une personne malade a été arrêtée au cours d’un contrôle d’identité à proximité de l’association où elle se rendait. Est-ce un exemple d’incohérence entre les politiques de santé publique et les politiques migratoires ?

Florence Thune : Cette personne a heureusement pu sortir du centre de rétention grâce à la mobilisation. Ce qui a été très violent pour l’association et pour tous les acteurs, c’est le risque que les gens n’osent plus venir vers eux. Cette personne était justement accompagnée par l’association Basiliade pour faire une demande de carte de séjour pour soin. Autant, il y a quelques années, on aurait pu dire, à partir du moment où une personne est séropositive, elle n’a quasiment aucun risque d’être expulsée. Or, on commence à avoir des personnes qui sont expulsées, parce qu’il y a ce discours qui consiste à dire « maintenant dans les pays notamment en Afrique subsaharienne, il y a un accès au traitement ». Mais cet accès au traitement est théorique : la moitié des personnes n’y ont pas accès.

Le Bondy Blog : Est-ce que ce type de situation n’est pas une conséquence du fait que le droit de séjour des malades soit passée de la tutelle des Agences régionales de santé, qui dépendent du ministère de la Santé à celle de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui dépend du ministère de l’intérieur ?

Florence Thune : On n’a pas trop de doute à ce sujet. On était inquiet dès qu’on a eu cette annonce. On a beau avoir des médecins de l’OFII qui nous disent « on a une déontologie, on est indépendant », ce qu’on a bien envie de croire, néanmoins le symbole est tellement fort. Cette mesure date d’avant le gouvernement actuel. Mais malgré tout, vu la couche remise en plus sur la question des migrants en ce moment et de leur accueil, ou plutôt de leur non-accueil, on est d’autant plus inquiet. Et toutes les associations qui accompagnent des personnes malades expriment toutes des inquiétudes et font le même constat de difficultés plus grandes. On a aussi des situations terribles où des personnes qui avaient déjà une première carte de séjour pour soins, qui avaient réussi à s’intégrer, à trouver une certaine stabilité, au moment du renouvellement de leur carte de séjour, se retrouvent tout d’un coup sans papiers parce que la préfecture ne leur délivre plus de récépissé. Puis elles perdent aussi parfois la CMU, leur logement, leur travail.

Le Bondy Blog : Quelles sont les perspectives du Sidaction dans les années à venir ?

Florence Thune : Continuer à soutenir la recherche est pour nous un enjeu très fort : la recherche fondamentale, pour savoir comment fonctionne ce virus, mais aussi en terme de sciences sociales. Et puis, continuer à accompagner ces associations qui interviennent auprès des personnes les plus précarisées, que ce soit en France, en Afrique subsaharienne ou en Europe de l’Est, puisqu’on a une épidémie qui explose en Europe de l’Est, en Russie. C’est vraiment un enjeu majeur parce qu’on a des associations de plus en plus fragilisées. On note de plus en plus de précarité un peu partout. On a des associations qui accompagnent des travailleuses du sexe, qui sont de plus en plus en situation de grande précarité, avec tous les dangers que cela suppose pour leur exposition au VIH. Une partie importante de notre action est également d’accentuer les actions de prévention, notamment sur internet, auprès des jeunes gays. On a une inquiétude aussi au sein de la communauté afro-caribéenne, où de jeunes gays se contaminent de plus en plus. On veut que ces jeunes puissent avoir accès à une information de qualité.

Le Bondy Blog : Comment vous avez perçu le succès du film 120 battements par minute, notamment aux Césars ? J’imagine que c’était une très bonne nouvelle ?

Florence Thune : Oui ! En plus, un des producteurs du film est membre de notre conseil d’administration. Donc on l’a vécu au plus près. Nous on a une histoire particulière avec Act Up, qui est aussi membre du conseil d’administration de Sidaction. Cette histoire d’Act up dans les années 80/90, on l’a vécue aussi au plus près. Evidemment, c’est l’histoire d’Act Up, mais c’est une récompense pour toute la lutte contre le sida. Ça a permis de redonner un intérêt sur cette question-là. Là, où on est quand même très prudents, c’est que le film retrace ce qui s’est passé dans les années 90 et parfois on se disait, le danger c’est peut-être que les spectateurs se disent c’est un super film, ça nous crée beaucoup d’émotions sur ce qui s’est passé dans les années 90, mais continuent à voir ça finalement comme un événement du passé. Est-ce que ça va vraiment recréer une mobilisation ? A titre personnel, je n’en suis pas sûre. Cet activisme qui est décrit dans le film, on ne le retrouve pas sous cette forme-là aujourd’hui, puisque le contexte de toute façon a changé. En revanche, on retrouve « des activistes de l’ombre », toutes ces personnes au sein des associations qui se battent au quotidien pour que des personnes aient accès à leurs droits, aux soins. Et pour moi c’est l’activisme aussi d’aujourd’hui.

Propos recueillis par Rouguyata SALL

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