10h40 : les accusés font leur entrée dans le box, protégé de vitres blindées. Youssouf Fofana, sweat blanc, tête rasée, barbe fournie, est le premier à s’asseoir. « Allah… », clame-t-il, un doigt levé. Au nom de Dieu, il accole un mot ou deux, qu’on n’entend pas bien : « ou akbar.. », à moins que ce ne soit « vaincra ». L’un après l’autre, ses complices présumés prennent place. Les voici donc, les membres du « gang des barbares », incarcérés depuis trois ans dans l’attente du procès qui s’ouvre enfin et qui décidera de leur sort. Ils ont l’air tous grands et forts. Des physiques de sportifs. Il y a deux jeunes femmes parmi eux, dont une était mineure au moment des faits, début 2006. Elle avait servi d’« appât » à Ilan Halimi, retrouvé agonisant le 13 février de cette année-là, à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l’Essonne.

11h10 : « La cour ! » La présidente qui dirigera les débats, entourée de deux juges, femmes elles aussi, entrent à leur tour dans la salle du tribunal. Elle demande à chacun des 26 accusés (le 27e, une femme, vient d’accoucher et n’est pas présente) de décliner : 1) noms et prénoms, 2) ceux des parents, 3) date et lieu de naissance, 4) occupation exercée avant l’incarcération. « Monsieur », « Madame » ou « Mademoiselle », dit-elle en s’adressant aux prévenus. « Chauffeur-livreur », « livreur de pizzas », « aucune », « en formation »…, répondent-ils à la question 4.

Tous ont des propos censés, sauf Youssouf Fofana. La figure principale du « gang des barbares » se prend pour Charles Manson. Nom, prénom ? Il dit quelque chose comme : « Africain, barbare, révolte, armée, salafiste. » « Ooooh ! » d’indignation dans la salle et, semble-t-il aussi, sur une partie du banc des accusés. « Date et lieu de naissance ? », demande la présidente : « Je suis né le 13 février 2006 à Sainte-Geneviève-des-Bois. » Voilà Fofana en born-again. Il est « né » le jour et à l’endroit de la mort d’Ilan Halimi. « Ces informations sont erronées, mais vous êtes libre de vous exprimez de la sorte », ajoute la présidente.

En face, assise parmi les parties civiles, séparée par la fosse des avocats, la mère du défunt. Alors que l’audience n’a pas encore formellement commencée, elle réclame un procès public, pour éviter une « mise en péril de la justice », explique son avocat, Me Francis Szpiner. Mais deux des accusés étaient mineurs lorsque les faits se sont produits. Les audiences doivent donc se dérouler à huis-clos, et l’avocat général, Philippe Bilger, rappelle cet élément incontournable du droit.

Les défenseurs des deux prévenus concernés – l’un étant l’« appât » – ne veulent pas être tenus pour responsables de la non-publicité des débats. Ils le font savoir. Ce n’est pas eux qui demandent le huis-clos, c’est le droit, martèlent-ils aussi. La cour se retire pour délibérer. De retour, elle rend son avis : « publicité restreinte. » Seuls les professionnels de la justice et les proches de la victime et des accusés pourront assister au procès. Les journalistes et le public sont priés de quitter immédiatement les lieux.

Jusqu’alors calme, l’atmosphère s’échauffe hors de la salle. Des jeunes de la Ligue de défense juive s’en prennent verbalement à des connaissances des accusés, qui se sentent soudain en danger et se masquent le visage à l’aide de leurs vêtements. Les insultes fusent à leur encontre : « Enculé ! T’as honte ! » Les militants de la LDJ coursent ceux qu’ils considèrent comme les « amis » du « gang des barbares ». Les forces de l’ordre s’interposent. « Justice pour Ilan ! Justice pour Ilan ! », entend-on crier dans l’enceinte du palais de justice de Paris.

Interrogé sur les raisons de ces insultes, celui qui se présente comme l’un des responsables de la LDJ, répond : « C’est pour les provoquer. Ils sont lâches, ils se cachent. Mais ce sont les mêmes qui criaient « à mort les juifs » dans les manifestations pro-palestiniennes, lors de la guerre à Gaza. »

A l’écart des passions de la rue, le procès des assassins présumés d’Ilan Halimi a commencé.

Antoine Menusier

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