Fédération française de football, mardi 17 août 9h30. Une centaine de journalistes tentent tant bien que mal d’avoir ne serait-ce qu’une image des cinq joueurs convoqués pour s’expliquer sur la grève des Bleus lors du mondial sud-africain. Au milieu de la horde de journalistes, à des années lumières de l’actualité du jour, un vieux bonhomme. La soixantaine passée, béret sur la tête, maillot de l’équipe de France sur le dos et un sac à la main. Allure de supporter lambda venu entre-apercevoir les footballeurs réprouvés.

Lorsque je lui demande ce qu’il a pensé du fiasco des Français à la Coup du monde, l’homme m’ouvre son sac dans tous les sens du terme. Il ne répond pas à ma question, et me parle de l’action qu’il mène. Défile alors sous mes yeux, un nombre incalculable de photos de lui aux côtés de personnalités : Zidane, Jamel Debbouze, Sarkozy, Berlusconi, Noah, Iniesta, Nadal, Contador… Point commun : tous portent entre leur mains une pancarte où il est écrit : « Black is beautiful, mais les buts d’Eto’o et de Kanouté sont encore plus beaux et c’est cela qui compte ». Si ce n’est pas cette pancarte, c’est l’autre avec la version « White is… ». Il a réussi à prendre en photo des centaines de stars. A chaque fois le même message contre le racisme, chacun l’interprétera comme il le souhaite.

Cela fait cinq ans qu’Alberto Filipe a commencé à mené son action. Il me raconte que le moment déclencheur fut un match de foot auquel il a assisté en Espagne. A l’époque, en 2005, Eto’o, joueur camerounais du FC Barcelone, est a deux doigts de quitter le terrain à cause des supporters adverses. Insultes racistes, cris de singe, Alberto découvre avec effroi ce racisme anti-noir des stades. Révolté, il écrit alors sa pancarte et fait tout son possible pour rencontrer Eto’o. Il y parvient et le prend en photo avec la pancarte. C’est sa toute première photo d’une longue série, point de départ de son combat contre le racisme.

Alberto est un homme de symboles. Il m’explique qu’il essaie d’avoir des personnalités de toutes les couleurs et de toutes les religions en photo avec la pancarte : des Noirs catholiques, des Noirs musulmans, des Noirs juifs, même chose pour les Blancs. Il me demande conseil pour s’attaquer aux Jaunes et veut savoir qui sont les stars chinoises et japonaises. Une photo dont il est fier est celle de l’imam de la grande mosquée de Rome. Le message est traduit en arabe mais il a ajouté deux mots en plus, ce qui donne : « Black is beautiful, mais les buts d’Eto’o sont encore plus beaux et, devant Dieu c’est cela qui compte ».

Alberto, un vulgaire chasseur de people qui a trouvé une technique imparable pour se faire photographier avec des stars ? Peut-être, mais pas seulement. « Mon rêve serait qu’un joueur de foot célèbre se mobilise et vende des t-shirts avec mon slogan, dit-il. Moi je ne demande pas d’argent, je donne juste l’idée. C’est sûr que l’on vendrait des milliers de t-shirt, et avec l’argent on pourrait construire des puits dans les pays dans le besoin. J’ai juste envie de combattre la faim dans le monde. Samuel Eto’o, je l’ai rencontré plusieurs fois, une fois je lui ai parlé de mon projet de t-shirts et il était très emballé. Malheureusement, la fois d’après il s’était rétracté certainement à cause de son manager qui ne voyait pas de profits dans cette action. »

Alberto est venu à la Fédération française de football, sûr d’y trouver des journalistes sportifs susceptibles de parler de sa démarche. Mais en l’observant déambuler parmi les caméramans, les preneurs de sons et les photographes, je vois bien qu’il est quasiment invisible au yeux de tous. Lui-même s’en rend compte : « Regardez le nombre de journalistes, il n’y a que cette histoire de grève qui les intéresse. Le racisme et la faim dans le monde, ce n’est pas important pour eux. Le journal Le Monde m’avait interviewé plus d’une heure et demi et m’avait promit une double pages, l’article n’est jamais paru. »

Moi, ce vieux bonhomme, avec ses photos, ses rêves pleins la tête et son maillot de l’équipe de France m’a interpellé et intrigué. Je souhaitais juste saluer son action et sa foi en ce qu’il entreprend. Et je me remémore la phrase qu’il m’a dite : « Vous êtes journaliste, je sais que vous ne parlerez pas de moi ni de ce que je fais. »

Chou Sin

Chou Sin

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