Ce soir je mange un sandwich avec Mohammed sur la place Nicole-Neuburger quand rentrent deux jeunes Noirs. L’un des deux explique qu’il a passé deux ans « au bled », en Côte d’Ivoire:

« Par rapport à là-bas, Bondy c’est le paradis. En Côte d’Ivoire, s’il y avait eu des émeutes comme ici, ils auraient utilisé les kalachnikovs, directs. Là-bas, ils connaissent pas les lacrymos et t’as des groupes de paramilitaires qui sont terribles. Quand ils sont dehors, t’as plus personne qui ose sortir dans les rues. Ici, les flics ils ne peuvent quand même pas faire n’importe quoi. »

Plus tard, le deuxième Noir me demande:

« Il y a du fric en Suisse? »

« Oui », je réponds, « enfin pas mal ».

Mohammed enchaîne et l’interpelle: « Et toi, pourquoi t’irais pas en Suisse faire un stage? »

Réponse: « Euh, non. La Cité me manquerait trop ».

Les deux conversations ont le même thème. Les jeunes hommes ne pourraient plus vivre ailleurs. Bondy, c’est leur patrie. Mais quand Mohammed demande aux deux s’ils ont la nationalité française, ils répondent: « Oui, entre guillemets ».

Ne pas se sentir totalement Français, sans pouvoir s’imaginer ailleurs. Une contradiction difficile à résoudre.

Par Pierre Nebel

Pierre Nebel

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