Qui a créé l’émission ?

Martin : Benoit Delépine, Sylvain Fusée et Moustic ont créé Groland en 1992. Delépine, alias Michael Kael, en avait marre d’écrire des textes pour les Guignols. Il avait besoin de passer à autre chose et a décidé de se lancer dans un nouveau projet. Au début, Canal Plus était sceptique. Il a fallu des années pour que l’esprit Groland s’installe vraiment, notamment avec la diffusion quotidienne du « 20H20 » (du vin, du hash et du vin) dans l’émission Nulle Part Ailleurs.

D’où vient le nom de l’émission « Groland » ?

A l’origine, l’émission devait s’appeler Salengroland, en référence à Christophe Salengro qui est devenu par la suite Notre Président. Les créateurs n’ont gardé que Groland. Ça sonnait plus nom de « présipauté ». Ça rappelait aussi à Moustic son passé d’animateur dans une radio de la principauté d’Andorre où il n’hésitait pas à diffuser des chansons communistes, capté jusqu’en Espagne, qui était alors gouvernée par le général fasciste Franco. Groland, c’est ça, des fouteurs de merde. Huit auteurs qui ont à peu près la même vision de la vie, à savoir ne rien prendre au sérieux. Je suis persuadé que si l’un d’entre nous mourrait, on se marrerait avec nos pires ennemis. Car nous sommes lâches en plus, il faut bien l’avouer.

Le nom de l’émission change mais la forme semble similaire.

C’est vrai que le nom de l’émission a souvent changé : Groland Sat, Groland.Con, Made in Groland. Il faut bien qu’on montre de temps en temps à Canal qu’il y a un nouveau concept. Mais le contenu est toujours resté le même car on est trop feignants pour trouver une nouvelle formule. Pourquoi essayer d’ailleurs ? L’humour trash, héritier du journal  Hara Kiri et du Professeur Choron, c’est ce qu’on aime. C’est déjà assez dur à faire toute les semaines, on va pas se renouveler tous les ans en plus !

Quel est le but de ce programme ?

Les journaux de TF1, France 2 et autres montrent tous une même vision du monde, de l’économie et de la politique. Leur message est en gros : « Soyez soumis, bien sages, ne vous révoltez pas et ayez peur ! Surtout très peur ! Laissez faire nos dirigeants, ils s’occupent de tout. » Contrairement au Groland, le mot d’ordre c’est « Fuck la peur ! ». Soyez dingues ! Inventez ! Faites n’importe quoi tant que ça fait chier les puissants ! Je précise que nous n’avons aucun problème avec notre gouvernement vu que notre président se ré-élit lui-même tous les cinq ans. C’est un dictateur éclairé qui aime le vin et qui n’hésite pas à promulguer des lois afin que tous les Grolandais roulent bourrés. Le message est d’ailleurs très bien passé en France puisqu’on peut voir des centaines de voitures rouler en zigzagant sur vos autoroutes avec l’autocollant GRD collé sur le capot.

Selon vous, à quoi est due la longévité de l’émission ?

Sûrement parce que les générations se succèdent. Les parents ne regardent peut-être plus mais leurs enfants, oui. Rien ne me met plus en joie que d’entendre deux gamins de 15 ans dans le métro se raconter une vanne de Groland. Ça veut dire qu’ils ont compris qu’on peut rire de tout. Si on a réussi à faire passer ça, c’est déjà pas mal.

Une des marques de fabrique de Groland, c’est la « tronche » de ses acteurs. Comment faites-vous pour dénicher ces personnes qui semblent si singulières ?

Le plus souvent, ce sont les gens qui appellent pour jouer dans les sketches. Des vieux, des handicapés, des gros, des laids, bref, tous ceux qui sont souvent les laissés-pour-compte de la société. En participant à Groland, ils rejoignent une famille où les différences physiques et mentales n’existent pas. Au contraire, on dit à tous les gens différents : « Viendez ! Viendez vous marrer avec nous ! Et laissons les gens soit-disant « normaux » s’emmerder ensemble ! »

C’est rassurant que chez vous Français, des femmes ou des hommes de 80 ans aient encore envie de s’amuser, de se foutre à poil ou de danser avec un arrosoir sur la tête. C’est mieux que de s’ennuyer dans une maison de retraite, non ? Je précise qu’ils sont bien évidemment payés pour faire toutes ces conneries. Donc, messieurs et mesdames qui lisez cette interview et qui vous ennuyez devant la télé, en attendant des nouvelles de vos petits enfants, qui ne viendront jamais, n’hésitez pas… appelez l’émission pour rejoindre notre casting.

Lorsque vous traitez de sujet comme « l’anus artificiel », n’avez-vous pas peur de tomber dans le vulgaire ?

D’abord, en quoi le mot « anus » est-il vulgaire ? Il n’y a que les grenouilles de bénitiers ou les intégristes religieux qui ont honte de leur anus… ou qui le cachent. Et la vulgarité n’a rien à voir avec la grossièreté. A Groland nous somme grossiers, oui, mais pas vulgaires. La vulgarité elle, est plutôt autour de nous. La vulgarité, ce sont les gens qui achètent des vêtements de marques, les gens qui disent aimer leurs enfants en ayant deux 4X4 à la maison et qui se contrefoutent de savoir si leur progéniture crèvera dans un monde pollué ou non.

La vulgarité, ce sont les gens qui ont des idées toutes faites sur tout, qui se sentent importants, supérieurs, oubliant que nous ne sommes que 7 milliards de pauvres humains perdus au milieu de milliers de galaxies, que notre existence n’a pas plus d’importance qu’un pet de vache en regard de l’immensité de l’Univers. C’est ça la vulgarité. La grossièreté dit seulement « Prout ! » à tout ça.

Une des caractéristiques principales de Groland est que l’émission peut mêler actualité et sujets décalés, comment expliquez-vous cela ?

On réagit sur l’actualité en essayant de ne pas tomber dans l’esprit chansonnier. En gros, on aime bien se foutre des hommes politiques actuels mais on sait que tout cela est anecdotique. Notre grande joie, c’est quand on trouve un bon sketch sur des sujets comme la vie, la mort, la guerre, l’amour, la torture, la finance… Je suis persuadé qu’il y a au moins 800 sketches de Groland qui seront encore compréhensibles dans vingt ans, parce qu’ils traitent justement de sujets généraux.

Quand nous pensons à Groland, nous pensons forcément à la provocation et à l’épisode judiciaire. L’émission se retrouve-t-elle souvent devant les tribunaux ?

Jamais, et c’est le grand avantage de travailler pour Canal Plus. Quand un journal satirique est attaqué, le directeur de publication, s’il perd le procès, doit payer toute sa vie, même si son journal a fait faillite. C’est un cas unique. D’habitude, quand une entreprise plonge, les comptes sont épurés, fini les ennuis. Dans la presse, ce n’est pas le cas. Tu es condamné, tu paies le restant de tes jours, comme c’est arrivé au Professeur Choron.

Il y a donc une pression extrêmement forte qu’on ne ressent pas à Groland. Les politiques, les stars, les peoples qu’on zigouille à longueur de semaines hésitent avant de porter plainte car ils savent qu’ils vont se retrouver devant la batterie d’avocats de Canal. Les « plaignants » risqueraient de perdre des plumes non seulement financièrement, mais aussi au niveau de leur image, car ils ont besoin des émissions de Canal Plus pour faire leur promo. Bizarrement, c’est donc tout bénef pour nous de travailler pour une multinationale. Personne n’est parfait.

Quant à vous, quels sont vos projets pour l’avenir ?

Essayer de réaliser de nouveaux films parallèlement à Groland. Je travaille actuellement sur une fiction et sur un documentaire cinéma mais rien n’est sûr car les financiers sont très frileux en ce moment. Je lis pourtant dans ce verre de bière que je vais y arriver. Et le verre de bière est plus fiable que le calendrier maya. Foie (avec un « e » à la fin bien sûr !) de Grolandais !

Propos recueillis par Tom Lanneau

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