Paris-New York : 479 euros. Paris-Le Cap : 504 euros. Paris-Alger ? 574 euros ! Le président d’Air Algérie, il s’est dit, cette année, je passe devant Bill Gates, ils vont cracher au  bassinet, les immigrés. Pour le même prix, l’an dernier, j’ai fait dix jours en Ecosse, billets, logement, bouffe, kilt et amende pour attentat à la pudeur compris. Tu veux des vacances au bled pour le même budget ? Tu prends un café crème à l‘aéroport d’Alger puis tu rentres tout de suite à Bondy.

Quand j’ai accompagné mon père à l’agence et que le vendeur lui a annoncé le prix, j’ai dit : « Vite ! Lève les mains, papa, c’est un braquage ! » C’est une plaisanterie, ce prix, ils ne sont pas sérieux, les Algériens, ce n’est pas un billet, ça, c’est les impôts locaux ! « Viens, papa, on va au Canada, c’est le même tarif », que je lui ai dit. Il m’a répondu : « Un Algérien, ça va en vacances en Algérie ! » «  Ben à ce prix-là, moi je suis marocain. » Oups, j’ai blasphémé. Une gifle plus tard j’ai rajouté : « Oui parfaitement ! C’est un beau pays le Maroc. Vous m’avez menti quand j’étais petit, ni Gargamel, ni Squeletor sont Marocains et ils n’ont pas tué Bambi non plus. Et leur totem M6 (Mohamed VI), il est cool. Il a fait du berbère une langue officielle. » Ouais, on a avait fait un petit pot de départ pour l’occasion avec nos amis  esquimaux et papous, maintenant qu’on est promu peuple « officiel » certifié ISO 9001.

Revenons à nous, les pigeons algériens. Pas de bled pour moi cette année à ce prix. En plus, en sortant de l’agence, j’ai tout de suite trouvé une super destination de vacances, j’ai signé direct : « Coin charmant et bucolique à 10 min du premier site touristique au monde, soleil tout l’été garanti, proche d’un point d’eau vert fluo, situé à 8 heures de la mer, prix du billet 1,95 euro, Bondy Plage vous attend ! »

Le Club BED (Bondy Eté Détruit), c’est des animations et des fêtes ras la musette. Soirée t-shirts mouillés et sauna dans le RER E. Tu veux un troisième bras ? Baigne-toi dans l’eau mutagène du canal de l’Ourcq (photo). Ne manque surtout pas le bal des pompiers du 14 Juillet, 200 kilos de papiers crépons et 300 mètres de quatre-quarts à deux euros la part. Mille mégots de cigarettes s’allument dans le ciel, pour le feu d’artifices, on n’a pas de sous cette année, mais on a des idées.

En attendant avec terreur et anéantissement ces grands moments de mes vacances, je fais comme les autres Bondynois, je prends mes rames et je galère. A Rosny 2, à Paris, dans la rue, à faire le traîne-savates en allant chercher le pain. Un jour, je croise un de mes potes à la boulangerie. Il revenait de chez le tatoueur, tout son corps était peint avec un plan détaillé de notre cité. C’est sûr, ce mec prépare un Bondy Break, une évasion de la ville. Il faut que j’en sois, j’en peux déjà plus, Bondy m’a tout pris, quatre jours en juillet et je pense déjà que la vie c’est du caca en poudre. Mon copain va en Espagne dans un pavillon avec piscine et jolies filles tout le tour du ventre garanti. « Prends un billet et viens quand tu veux. » C’est tout ce que je voulais entendre.

Cinquante euros aller-retour pour Barcelone, je clique sur « valider » et me voilà officiellement évadé. Je m’endors tout heureux de mon évasion estivale même si cette nuit là, un rêve me gâta tout mon sommeil. J’étais dans une verdoyante savane africaine et dans le ciel étoilé des nuages se rassemblaient. Ils prirent bientôt la forme d’un fennec gigantesque. Ce fennec me parla sur un ton d’outre-tombe, bizarrement il avait un peu la voix de mon père. Il me dit : « Idir ! Tu m’as oublié. Tu m’as oublié en oubliant qui tu es. Regarde tes vacances, tu vaux mieux que ce que tu es devenu ! » Et là, soudain, véridique, dans les nuages, apparaît la grosse pierre où je passais jadis tout l’été le cul assis à compter les mouches du village au bled. Puis le grand Fennec repris : « Tu dois reprendre ta place dans le cycle de la vie !  N’oublie pas qui tu es… »

Le matin j’étais troublé par ce rêve et déposai à la SACEM l’idée d’un remake algérien du « Roi Lion ». Mais jamais de la vie je mettrais 574 euros pour passer la journée à jeter des cailloux devant moi entouré des sosies du sergent Garcia qui me servent de cousins. Mieux vaut encore moisir à Bondy, près de chez moi, au moins c’est gratuit.

Allez, Barcelone m’attend, j’ai plus qu’à vérifier la validité de mon passeport et c’est parti. En tirant ce petit rectangle rouge du tiroir, je vois posé à coté un truc vert qui brille de mille feux. Oh, il y n’a pas à dire, on a un pays bizarre mais il est beau, quand même, le passeport algérien. Il est doux au toucher, on a envie dans le caresser contre sa joue. Avec on entre sans visa à Cuba, mais toquer à la porte des autres pays avec ce passeport fait de nous les témoins de Jéhovah du monde.

Bon allez, l’Espagne m’attend, disais-je. Avant de filer vers Roissy, je salue ma mère en lui disant de bien faire attention à la maison pendant mon absence. Elle me répond, surprise : « Depuis quand tu parles aussi bien kabyle ?! » Moi j’ai parlé dans cet ersatz de chinois ? Dans tes rêves, la vieille. Je suis à l’heure espagnole, moi ! Dans une heure la Catalogne, la plage, ses afters, ses pubs, les montagnes, les oliviers, ma pierre…

A l’ombre du Djurdjura le vieil homme profitait de la douceur du matin pour tailler les  huit figuiers de son beau jardin. Tout à l’heure, il arrosera ses oliviers et cueillera avant midi ses figues de barbarie. Ces tâches agricoles faisaient toute la joie du retraité, mais le chant des oiseaux n’y fit rien, son cœur restait un peu triste. C’est le dernier de sa lignée à faire le paysan. Ses enfants sont nés à l’étranger, l’un d’entre eux est même devenu marocain, et tous travaillent avec des stylos. Qui habitera la maison de quatre étages qu’il a construite dans la vallée de son enfance, avec l’argent de ses belles années en France ?

Perdu dans ses pensées il n’a pas entendu l’homme s’approcher derrière lui. Le vieux se retourne tout d’un coup, sourit  et lance : « Je croyais que tu voulais passer les vacances pour pas cher, près de chez toi. » Je lui réponds : « Papa, ici c’est chez moi aussi. »

Idir Hocini

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