Vendredi 23 janvier, 10h Collège des Bernardins, dans le Ve arrondissement parisien, rendez vous avec Hamdi Nabli, politologue, auteur de La fraternité aryenne, l’esprit du terrorisme au cœur de l’Amérique blanche, et co-auteur de L’inégalité politique en démocratie.

Est-il possible de dégager les causes de radicalisation ?

photo Hamdi Nabli(1)Hamdi Nabli : Les causes sont plus ou moins connues. Les policiers et les criminologues en ont conscience, ce sont les inégalités économiques et sociales. C’est aussi la prison au cœur de la société française, autour de laquelle il y a une vraie hypocrisie. Il est dit que c’est un problème, alors que c’est un système fonctionnel. Comme le souligne Michel Foucault dans Surveiller et punir, on utilise la prison pour créer cette figure du délinquant qu’on va pouvoir ensuite attaquer dès qu’il va se passer quelque chose. La prison est l’institution phare de la société occidentale moderne. C’est elle qui fonde une société qui exclut, régie par le principe selon lequel celui qui enfreint la loi doit être hors la société. Ce n’est pas un problème de cas sociaux, c’est un problème de civilisation. L’exclusion est un problème central qui se voit aussi au niveau des territoires. Il existe une forme de ségrégation au cœur même de l’inclusion sociale.

Vous avez travaillé sur une autre organisation terroriste. Des parallèles dans les processus de radicalisation existent-ils ?

La fraternité aryenne n’est pas une organisation terroriste. C’est un gang d’Américains blancs, qui peut être compris comme une conséquence de l’hyper racialisation de la société américaine et plus encore des prisons américaines. Elle a dû agir d’une façon extrêmement violente selon un principe darwinien de survie et a ainsi acquis « l’esprit du terrorisme », c’est-à-dire être prêt à mourir pour une cause réelle ou imaginée.
On peut quand même faire un parallèle. En France, d’un point de vue purement statistique, beaucoup de prisonniers sont d’origine nord-africaine. Il se trouve en plus que beaucoup seraient de confession musulmane, et parmi ces derniers, certains voient dans la radicalisation un moyen pour donner un sens à leur enfermement. C’est très bien décrit d’un point de vue psycho-philosophique par Nietzsche. Mieux vaut avoir un sens que le néant. La phraséologie républicaine, en les excluant, ne leur donne aucun sens. Le discours extrémiste radical a du sens. Il offre une binarisation du monde. Il faut un discours alternatif.

Que pensez-vous du traitement général des événements ?

Il y a tout d’abord un traitement dont on a dit qu’il était trop émotionnel, qui est dû notamment aux chaines d’information continue livrant un « story telling » en direct à forte teneur émotionnelle. Les médias de facto servent les intérêts terroristes à partir du moment où ils offrent l’acte terroriste comme étant une espèce de divertissement spectaculaire. Leur rôle est fatalement ambivalent. On conçoit les reportages comme étant des shows, des spectacles.
Ensuite, il y a l’intervention des politiques qui utilisent la force médiatique pour entrer en scène un peu comme dans les tragédies classiques, comme étant les deus ex machina, acteurs sublimes venant d’en haut. C’est ce que j’appellerai le régime de l’obscène.
D’autre part, on a dit n’importe quoi en les comparant au 11 septembre. Ici, il n’y a pas d’acte symbolique, c’est une opération fonctionnelle. Le 11 septembre avait une visée esthétique et symbolique et relevait quasiment d’une stratégie médiatique de la part des terroristes. Ici c’est une série de meurtres, pas un attentat.
Enfin, le summum de l’obscène a été la récupération politique de l’acte criminel dans la marche républicaine, avec la présence de certains chefs d’État dont la liberté d’expression est le cadet des préoccupations.

Quels dispositifs doivent être mis en place selon vous pour engager une lutte contre la radicalisation en France ?

Les recommandations, ce n’est pas mon truc. J’essaie de me situer comme chercheur indépendant. Le chercheur explique les évènements. Pour expliquer un évènement, il faut toujours le mettre en perspective d’un point de vue historique. Le regard du chercheur est basé sur le passé. Or depuis la fin du XXe siècle, cette hégémonie du néolibéralisme jusque dans la sphère des idées et l’émergence des think tanks, on essaye de donner aux chercheurs un rôle de préconisateur. Un tel rôle signifie qu’il doit donner des solutions à l’Etat et collaborer avec le pouvoir. Le chercheur en sciences humaines et en sociologie en particulier doit avoir un regard critique sur le pouvoir. On ne critique plus le pouvoir, mais la société. C’est la mort du penseur critique qui remet en cause le régime politique.

Vous avez écrit pour Médiapart un article sur la promotion du discours sécuritaire suite à la nomination de Manuel Valls, ex-ministre de l’Intérieur, Premier ministre. Pensez-vous que ce discours sécuritaire représente actuellement un danger ?

Ce concept de « gouvernement de combat » qui avait été mis en avant par Manuel Valls est très dangereux. C’est assez hallucinant de la part d’un gouvernement qui dit lutter contre le néofascisme, contre l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme. On sait parfaitement que les milices d’état fascistes et nazies se présentaient comme des entités politiques de combat. Ce thème du combat est extrêmement ambivalent. On est dans une démocratie, ce n’est pas ce que je remets en cause, mais c’est intéressant de voir d’un point de vue anthropologique cette espèce de survivance discursive et thématique dans une démocratie occidentale moderne. L’Etat se vit lui-même comme guerrier, alors que l’état moderne selon Hobbes s’est originellement vu comme un pacificateur. Il est par ailleurs assez amusant de souligner que la plupart des hommes politiques français citent Nelson Mandela comme étant leur exemple.

Beaucoup d’analystes développent l’idée de mise en place d’une vraie politique pédagogique de promotion des valeurs républicaines. Qu’en pensez-vous ?

Les valeurs de la république, c’est une notion complètement abstraite. Ce ne sont pas les valeurs de la République qu’il s’agit de promouvoir, en-soi cela ne veut strictement rien dire. Ce sont les valeurs de la IIIe République. C’est une république extrêmement spécifique, anticléricale, et cela il faut le mettre en perspective, car les hommes politiques font tout pour dépolitiser leur discours lorsqu’ils en appellent à la République. C’est une réponse de type divine, qu’on ne peut pas remettre en cause, et on va expliquer aux sauvageons les valeurs républicaines. Cela rappelle la gauche divine de Baudrillard.

Enfin, vous niez dans un article pour Médiapart le statut de théories à ce que l’on appelle les théories du complot. Ces hypothèses ont fleuri sur la toile ces dernières semaines. Y voyez-vous un danger ?

On ne peut pas encore parler de « théories du complot ». Une théorie du complot donne une version alternative. Pour l’instant on a toute une série d’axiomes du complot, l’évènement est trop récent. On peut par contre commenter ce réflexe complotiste. Internet favorise ce réflexe quasiment pavlovien du complot. C’est presque risible, infantilisant, voire enfantin. C’est un truc de jeunes qui veulent se faire peur, les vieux lisent Le Monde.
Ce qui est plus inquiétant, c’est la récupération de ces axiomes du complot par les médias, qui se sentent obligés d’en faire part dans une surenchère informative. Cette surinformation aboutit à une contre information. Les médias mettent en scène ces axiomes et en font une menace complotiste.

Propos recueillis par Mathieu Blard

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