Quand Bertrand Delanoë passe devant son stand, Hédi Saidi pense d’abord à eux : « Vous pourrez me photographier avec lui devant les livres ? Les collégiens seront contents. » Eux, ce sont ses élèves du collège Anne Frank de Roubaix où il est professeur d’Histoire-Géo et qui ont remporté la mention spéciale du jury du Prix René Cassin remis par le Ministre de l’Éducation de l’époque, Xavier Darcos.

En 2008, il avait proposé à quatorze d’entre eux, pourtant peu passionnés par ses cours d’histoire, de participer à un projet pédagogique après les cours. Très vite, le thème des soldats coloniaux s’impose et les élèves se répartissent en quatre groupes pour travailler sur les soldats tunisiens, sénégalais, marocains et algériens faisant écho à leurs propres origines. « Ce concours à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a été très important pour eux. Il a aussi permis de montrer comment des élèves souvent stigmatisés ont épousé un sujet et ont aimé travailler sur une thématique historique. Ils étaient très motivés et ont prouvé qu’ils étaient capables de faire un travail digne d’intérêt et de respect. »

Dans l’ouvrage qu’il est venu représenter au 17ème Maghreb des livres, le projet sur les soldats coloniaux n’est pas la seule expérience d’exception qu’il raconte. En 2009, au moment de la guerre de Gaza, Hédi Saidi étudie le Régime Nazi avec ses collégiens. Il remarque que les images vues principalement sur Al Jazira par ses élèves, en grande partie d’origine maghrébine, interpellent leur conscience. Ils lui disent : «  Pourquoi certains descendants de ces victimes d’hier sont devenus des bourreaux d’aujourd’hui ? ». C’est à partir de ce questionnement et pour éviter tout amalgame qu’ Hédi Saidi décide de participer de nouveau au concours sur le thème de la déportation des enfants d’ici et d’ailleurs. La rencontre de ses jeunes avec Ida Grinspan, une déportée survivante d’Auschwitz restera pour eux un moment fort…

Mais chez Hédi Saidi, ce qui frappe encore plus que ses foisonnants projets pédagogiques, c’est son parcours de « self made made immigré » . Étudiant à Tunis à la fin des années 70, il est viré de son université à cause de son engagement au sein d’un syndicat. Il décide de rejoindre son frère, ouvrier à Bruxelles, dans l’espoir de poursuivre ses études mais son rêve tombe à l’eau à cause du prix trop élevé des frais d’inscription.

En 1981, après l’arrivée de la gauche au pouvoir, l’Université de Lille permet à des étudiants immigrés comme lui de reprendre leurs études en première année. Hédi Saidi retrouve enfin les bancs de la fac : « Je m’en souviendrai toujours. C’était le 10 décembre 1981, le jour de mes 24 ans. La première année, j’ai écouté les cours. La seconde, j’ai essayé de comprendre et la troisième année, j’ai essayé de réussir » explique-t-il. Il sourit mais se souvient combien ses débuts furent difficiles, loin des siens, étudiant le matin et travaillant comme homme de ménage ou veilleur de nuit le reste du temps pour financer ses études. Et ses efforts finissent par payer. Après une thèse à Paris 8 sous la direction de Benjamin Stora, il devient enseignant : « D’ouvrier dans le nettoyage, je suis devenu maître-auxilliare à l’Université. Ce jour là, je suis passé de l’immigré au citoyen. ». Et pas n’importe lequel quand il sort fièrement sa carte attestant de sa Légion d’honneur…

Outre le collège, il enseigne aussi à l’Université catholique Lille-Vauban mais ce qui l’amuse le plus, c’est d’avoir été rappelé en 2008 par l’Université tunisienne qui l’avait renvoyé dans sa jeunesse pour faire de lui un chercheur associé. Hédi Saidi n’est pas surpris par la révolution qui vient de se produire dans son pays natal. « Mais pour moi ce n’est pas la Révolution du Jasmin car à Sidi Bouzid et Kasserine, il n’y a pas de jasmin mais de la misère et des damnés de la terre… Pour moi, c’est la Révolution de la dignité. Les tunisiens ont écrit leur histoire grâce à la conscientisation politique de la jeunesse. Cette Révolution est unique. Elle ne ressemble à aucune autre… »

Sandrine Dionys.

Le collège Anne Frank de Roubaix : Les élèves et leurs implications dans l’Histoire par Hédi Saidi aux Editions L’Harmattan.

Thèse de Hédi Saidi : Rapports colons-colonisés en Tunisie 1880-1919. L’exemple de dar Elbey (Enfidha). Préface de Benjamin Stora et postface d’Emmanuel Jovelin, éditions Farjallah, Sousse, Tunisie 2003.

Articles liés