#RétroBB2017 En 2017, nous vous proposions une série de papiers sur ces visages qui font Aulnay-sous-Bois. Parmi eux, Isaac Tubiana, patron d’une boucherie sur la place du marché de la Rose-des-Vents. Un commerce décrit par les habitués comme un lieu de rencontre entre les différentes générations et communautés de la ville. Rencontre.

« Ici, c’est presque un coin de rendez-vous. Il y a des jeunes, des parents, des personnes âgées. Et on peut dire que notre clientèle recouvre toutes les communautés : les Maghrébins, les Africains, les Antillais, les Haïtiens, les Indiens, les Sri Lankais, les Bengladais, ce que certains appellent les Français de souche… C’est un vrai mélange« . Sourire aux lèvres et sweat sombre sous sa longue blouse blanche de boucher, Isaac Tubiana est de ceux qui défendent la diversité d’Aulnay-sous-Bois coûte que coûte. Et peu importe s’il n’y a jamais vécu. C’est tout comme, il assure y être « 7 jours sur 7 » pour le boulot. Il est le patron de la plus ancienne boucherie de la ville, située sur la place du marché de la Rose-des-Vents. Son nom ? La boucherie du marché, tout simplement.

L’enseigne se trouve à quelques pas de la cité des 3 000 et non loin d’une mosquée flambant neuve. L’odeur des petits plats cuisinés par le chef se dégagent à l’extérieur du commerce et titillent les narines des passants. À l’intérieur, les nombreuses pièces de viande en vitrine et dans les rayons, les paquets de chips et les sachets d’épices offrent une palette de couleurs diverses qui frappent l’œil des curieux dans cet espace lumineux et spacieux. Installée initialement au cœur du Galion, la boucherie a migré sur la place du marché en septembre dernier en prévision de la démolition de la barre emblématique du quartier. « Il a fallu du temps pour que les gens comprennent que c’est la même boucherie que celle du Galion », souffle Isaac Tubiana, qui fait chaque jour l’aller-retour en voiture entre Aulnay-sous-Bois et le Val-d’Oise, où il habite.

La boucherie des Tubiana a ouvert ses portes en 1969 à Aulnay-sous-Bois.

La boucherie, qui est gérée par une famille de confession juive, vend exclusivement de la viande halal. Une singularité qui n’a jamais posé problème assure le patron de l’enseigne qui prône le vivre-ensemble. « La moitié de ma clientèle est musulmane. Ils sont adorables, je n’ai jamais eu de soucis. Il faut éviter les amalgames. On peut faire de belles choses quand on est soudés », insiste Isaac Tubiana. « On dépasse tous les clivages que ce soit le communautarisme, la religion, l’affect ou quoi que ce soit« , complète Fabrice, l’un des 5 employés de la boucherie et beau-frère d’Isaac Tubiana.

« Ceux qui entrent dans la boucherie parlent de fraternité en mettant la religion de côté »

Ce commerce, c’est d’abord une affaire de famille. « Ce sont mes grands-parents qui ont ouvert la boucherie en 1969, puis mon père a repris la main et en 1997, je lui ai succédé« , raconte Isaac, qui confie être tombé amoureux du métier dès son plus jeune âge. « J’adore travailler la viande, la transformer, lui donner des couleurs », s’enthousiasme-t-il avant d’ajouter : « Adolescent, j’ai servi les aînés du quartier puis leurs enfants qui sont à leur tour devenus parents. Il y a des jeunes avec qui on a grandi, on a le même âge, aujourd’hui ils sont mariés, ils viennent avec leurs enfants. Les clients les plus anciens, je les considère comme ma famille« .

Isaac Tubiana a repris les reines de la boucherie en 1997.

Une convivialité sans artifice confirmée par Fabrice. « Avec l’expérience qu’il a emmagasinée, Isaac connaît les petits plats des différentes communautés. Il donne des conseils sur la viande, la cuisson, les recettes. Il y a toujours un échange », rapporte-t-il depuis son comptoir à la caisse, au milieu des bouteilles de coca et de jus de fruits. Celui qui a grandi dans le quartier du Gros-Saule d’Aulnay-sous-Bois compare même le commerce à « une pièce de théâtre« . « Parfois ça négocie, ça se charrie. Certains poussent les portes de la boucherie sans avoir l’intention d’acheter, mais juste parce qu’ils savent qu’ils vont pouvoir discuter, rigoler, mettre de l’ambiance », précise-t-il. Au même moment, deux clients fidèles entrent dans la boucherie et saluent les employés. Les deux Antillais, la trentaine, grand et fin pour l’un et un peu plus petit et musclé pour l’autre, en profitent pour lâcher quelques blagues bien senties et esquisser deux-trois pas de danse pour amuser la galerie.

« Je suis toujours stupéfait par la mixité qu’il y a ici, reprend Fabrice. Il n’y a pas autant de différences entre les communautés qu’on peut l’entendre un peu partout« . Une mixité que l’on a pu observer tout au long de la journée en voyant défiler dans la boucherie des Maghrébines en tenue traditionnelle traînant leur chariot de courses, des chibanis, des parents avec leurs enfants, une bande de potes… « Tous ceux qui entrent dans la boucherie parlent de fraternité, en mettant la religion de côté. Des gens se retrouvent ici, se reconnaissent. On se connaît par cœur », décrit Isaac.

« À Aulnay-sous-Bois, je me sens chez moi »

Même son de cloche du côté des clients. Pour ces derniers, l’essentiel réside dans la qualité de la viande et des services. « Je viens dans cette boucherie depuis toute petite car la viande est bonne, les prix accessibles et les patrons sont toujours très souriants, très accueillants« , indique avec entrain Jennifer Arias, 30 ans, lunettes rectangulaires et voile noir sur la tête. Cette habitante de la cité des 3 000 est venue faire ses courses avec ses deux petits garçons. « Ça fait plus de 10 ans que j’achète ma viande ici. Les prix sont corrects et le patron est très gentil avec moi. Je viens acheter ma viande ici après la prière« , affirme pour sa part Ibra Gueye, la cinquantaine passée. L’agent d’entretien à l’aéroport Charles-de-Gaulle, bonnet coloré sur la tête, est un musulman d’origine sénégalaise et réside dans la cité des 3 000 depuis près de 20 ans.

Fabrice, beau-frère d’Isaac Tubiana, s’occupe de la comptabilité à la boucherie.

Quand on demande à Isaac Tubiana s’il se voit délocaliser sa boucherie dans une autre ville, sa réponse est sans équivoque. « Partir du Galion en raison de sa fermeture a été un pincement au cœur alors quitter Aulnay-sous-Bois c’est impossible. J’ai eu des propositions pour ouvrir des affaires dans d’autres villes, mais à Aulnay, je me sens chez moi », confie le trentenaire. Et si ses trois enfants âgés de 5, 9 et 12 ans assuraient la relève en devenant la quatrième génération des Tubiana aux commandes de la boucherie familiale ? « Pourquoi pas ! » répond Isaac, la voix enjouée et toujours avec le sourire aux lèvres.

Kozi PASTAKIA

Crédit photo : Mohammed BENSABER

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