Nous sommes à Montreuil. La Direction départementale de l’équipement de Seine-Saint-Denis (DDE) a consenti à Sylvianne Laroque une convention d’occupation précaire (bail de courte durée) sur la parcelle 168 dont le jardin jouxte la parcelle 170. Sur cette dernière est édifié un pavillon qui a est muré depuis 8 ans. Début 2008, Séverine H. et son compagnon Renaldo Laroque, fils de Sylvianne Laroque, âgés respectivement de 30 ans et 31 ans, ont décidé de s’installer dans ce pavillon et sans attendre ils décident d’en informer la DDE. Celle-ci, lors d’une visite sur la parcelle en juillet 2008, constate l’occupation et décide de porter plainte. Le 29 juillet 2008, Séverine et Renaldo reçoivent alors un courrier dénonçant cette voie de fait.

Le 14 novembre 2008, le couple est assigné à comparaître au Tribunal de grande instance de Bobigny  mais celui-ci se déclare incompétent à statuer sur la mesure d’expulsion. Le tribunal d’instance de Montreuil tenant l’audience en référé, s’est en revanche déclaré compétent.

En septembre 2009, le tribunal de Montreuil se prononce en faveur d’une mesure d’expulsion et en fixe l’exécution le 26 mai 2010. Les codéfendeurs, Séverine et Renaldo, ont alors fait savoir et sans nier la voie de fait, qu’ils n’avaient pas l’intention de quitter les lieux tant qu’ils n’auraient pas trouvé une solution de relogement. Ils décident alors de faire un recours auprès du juge de l’exécution de Montreuil, celui même qui a pris la mesure d’expulsion. L’audience est fixée au 7 septembre 2010. Mais l’avocate de la DDE « n’a pas voulu plaider car apparemment son dossier n’était pas complet,  des pièces manquaient, confie Séverine. Le juge n’a pas reporté l’audience. Le dossier a été radié. Nous avons envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception au juge de l’exécution pour lui demander d’ouvrir à nouveau le dossier. Sans succès. » L’expulsion a eu lieu le 26 octobre 2010.

Depuis trente ans le quartier des Ruffins et une partie de la rue de la Côte du Nord à Montreuil, font l’objet d’expropriations en vue de la réalisation d’un projet de prolongement du tramway T1 (gare de Saint-Denis jusqu’à Noisy-le-Sec) dont la livraison est prévue en 2015-2016. Au 168 rue des Ruffins, chez Sylvianne, le pavillon était cédé depuis huit ans environ. « C’est par contrainte » que son fils et Séverine ont décidé de s’installer, « ayant une grossesse à risque, je voulais simplement un logement décent pour mon bébé », précise Séverine. L’Office public HLM de Montreuil, qui gère l’attribution des logements, après avoir pris connaissance de la mesure d’expulsion, n’était pas en mesure de leur en attribuer un car Séverine et Renaldo n’étaient pas considérés comme prioritaires. Et auprès des agences immobilières, le couple n’offrant pas assez de garanties, 1600 euros par mois et un CDD, ils n’ont rien trouvé.

Pour la DDE, Séverine et Renaldo « ont été avisés de cette démarche dès le mois de juillet 2008, puis à nouveau fin 2008. Ils ont eu le temps pour prendre leurs dispositions, s’ils le voulaient, leurs revenus permettaient de se loger normalement. » Par ailleurs, la DDE considère que si elle a consenti une convention précaire et révocable à Sylvianne Laroque, elle n’est en aucune façon tenue d’agir de même à l’égard du fils et de la belle-fille, « qui ont eu l’audace de la mettre devant le fait accompli. Le pavillon étant clos et muré côté rue, Monsieur Laroque et sa compagne s’y sont installés en  y accédant notamment par la parcelle voisine où réside la mère de ce dernier. Cette introduction par effraction n’est pas discutable. »

Afin d’inciter les occupants à quitter les lieux, le juge de l’exécution, en  juillet 2008, à la demande de l’État a prononcé une indemnité d’occupation d’un montant de 300 euros par mois. « Somme que j’ai payée en août 2009, confirme Séverine. Sauf que la DDE n’avait pas encaissé les chèques et lorsqu’elle a voulu le faire mon salaire avait diminué, je ne percevais plus que 600 euros par mois la deuxième année d’occupation. Et c’est la raison pour laquelle j’ai cessée de régler l’amende, car en plus de cela j’avais des charges locatives à payer : 500 euros de taxe d’habitation, l’assurance de la maison, la facture EDF. J’ai même payé 800 euros pour que l’on vienne poser le compteur électrique et 300 euros pour le compteur d’eau. Alors pourquoi payer toute ces charges quand ma commune ne me reconnaît toujours pas ? » Pour la DDE, la réponse est simple, c’est parce qu’il s’agit d’un bâtiment voué à la démolition, ne répondant plus à aucunes normes et qui n’est pas destiné à la location précaire. La seule manière de récupérer son droit de propriété pour la DDE était de recourir à l’expulsion forcée.

« Le 26 octobre, jour de l’expulsion, j’étais au travail. Je reçois un coup de fil de la nourrice pour m’avertir qu’ils étaient en train de procéder à l’expulsion. Il y avait un huissier, les flics et des déménageurs. J’ai appelé mon ex-compagnon pour qu’il récupère mon fils mais la police n’a pas voulu… Ils ont tout détruit, les meubles, les murs, le toit. Tout cela devant mon fils… Monsieur Mosmant, l’élu au logement de Montreuil, est même venu sur les lieux, il a essayé de tempérer les choses mais un policier lui a demandé de s’en aller car il n’avait rien à faire ici. Il n’a rien pu faire. Énervée, j’ai poussé l’huissier de justice qui se trouvait à proximité des escaliers, les flics m’ont sauté dessus, ma mère a voulu prendre ma défense lorsqu’une policière a posé sa main sur son flingue ».

A deux pas, dans ce même quartier des Ruffins, Jason Mahmoud, 23 ans, occupe avec sa femme et sa fille de deux ans, un pavillon depuis un an. L’Office HLM de Montreuil lui a demandé de patienter pendant quatre ou cinq ans afin d’obtenir un logement. Les propriétaires du pavillon, un couple âgé, ont décidé de quitter le pavillon pour s’installer à la campagne. Si jamais le bien est cédé, l’Etat a un droit de préemption, en raison du tracé du futur tramway, dans lequel la DDE est impliqué, « et c’est comme ça pour tout le quartier », souligne Jason.

Cependant les propriétaires n’ont pas réussi à s’accorder sur le prix de cession. Le couple propriétaire s’est rendu sur les lieux. Ils ont tenté de négocier le départ des occupants. Un délai de trois jours a été accordé. Seulement Jason et sa femme ne s’étaient pas décidé à quitter les lieux. « Pour aller où ? On nous dit d’appeler le 115 (Samu social) mais il n’y a jamais de place. »

Séverine et son fils sont aujourd’hui sans logement, les quatre lettres envoyées à Dominique Voynet, maire de Montreuil, sont restées sans réponses. Dans le quartier une dizaine de personnes sont menacées d’expulsion en raison du projet du tramway, sans que des propositions de relogements se concrétisent. Pour cet employé de la mairie de Montreuil, cette situation est injuste alors que, dit-il, « la mairie aurait payé un million d’euros un terrain sur lequel elle a installé les Roms ».

Mimissa Barberis

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