Des yeux marron-vert rieurs, de longs cheveux blonds cachés sous un voile noir, Malika, Française d’origine algérienne, affirme : « D’après mes connaissances, le niqab ou la burqa ne sont pas prescrits dans l’islam. Je dirais même que c’est proscrit. » La jeune femme de 28 ans précise sa pensée : « Enfin, ce n’est pas vraiment ce que je veux dire, mais quoi qu’il en soit, en France, cela fait du mal à la religion. »

Malika est en colère. En colère contre cette minorité de fondamentalistes qui donne du fil à retordre à la « communauté musulmane française », expression dont sait qu’elle recouvre une grande variété d’opinions et de rapports à la foi. Le port de la burqa ou du niqab est, elle, une manifestation rigoriste de la pratique religieuse.

Malika se souvient qu’à 15 ans, un âge où l’on est en quête d’identité, elle a voulu en savoir plus sur sa religion. Elle commence alors à fréquenter des « sœurs » très pratiquantes. L’adolescente qu’elle était, originaire des Ulis dans l’Essonne, se rend chez l’une d’elles, en Seine-Saint-Denis. Trente à quarante jeunes filles à peine plus âgées qu’elles sont présentes, toutes portent le niqab. Parmi ces jeunes musulmanes, beaucoup de converties. Malika est choquée. Elle ne s’attendait pas à se retrouver face à tant de femmes portant le voile intégral. C’est la première fois qu’elle en voit en France. Les filles lui soutiennent qu’elle doit faire de même, et que ce que sa mère porte (le voile ou « hijab ») n’est pas « la vérité ».

Pour Malika, ces groupes sont sectaires car ils « cherchent à imposer leur façon de penser aux autres musulmans, qu’ils considèrent dans l’erreur. Leurs propos sont agressifs et culpabilisateurs. Ils parlent de l’enfer à tout bout de champ. » Ils rejettent toute influence occidentale susceptible de « pervertir » la religion. Malika s’est d’ailleurs vue plusieurs fois reprocher le fait d’avoir de nombreux amis non-musulmans. La jeune femme s’offusque contre ces filles qui « veulent que la société française soit tolérante avec elles alors qu’elles-mêmes sont intolérantes. Elles sont réfractaires à tout. »

Suite à cet épisode, la jeune Franco-Algérienne saisit l’ampleur du décalage qui peut exister dans l’interprétation d’une même religion. Car pour elle qui a grandi dans une famille musulmane, qui a suivi des cours de religion où de nombreux passages du Coran sont expliqués dans leur contexte historique, impossible de concevoir une pratique de la religion aussi fermée. Lorsqu’elle raconte son après-midi à sa mère, celle-ci la prévient qu’elle n’a pas intérêt à porter le voile intégral. Comme pour de nombreux parents immigrés arrivés dans les années 60 en France, cet islam fondamentaliste dépasse la mère de Malika.

Très rares apparemment sont ces musulmans de première génération qui cautionnent le port du niqab. Malika affirme que celles qui, parmi ses connaissances, le revêtent l’ont fait par choix, et non sous la contrainte d’un homme. Ces jeunes femmes cherchent ensuite un « frère » avec qui se marier et qui partage les mêmes convictions. Un homme qui sera donc pour le port du voile intégral

Malika a vu le nombre de ces groupes augmenter ces dix dernières années aux Ulis et dans les banlieues alentours. Un phénomène visible ailleurs en France. Ces musulmans fondamentalistes se revendiquent du salafisme. En arabe, salaf signifie « prédécesseurs » et fait référence aux premiers compagnons du prophète Mahomet dont le comportement et le discours inspirent les salafistes, qui appellent à un retour à « l’islam des origines ». Ce courant représente une vision très stricte et littérale du message coranique.  

Olivier Roy, spécialiste de l’islam, qualifie les salafistes d’aujourd’hui de « néo-fondamentalistes ». Selon lui, ce terme désigne « ceux qui essaient de repenser une pratique stricte de la sharia, dans un contexte où la question du pouvoir politique ne se pose pas ou plus ». Exemple avec les populations musulmanes en Occident. Sur les 1900 mosquées et salles de prières implantées en France, 50 lieux de cultes seraient contrôlés par les salafistes.

Bien que minoritaires, ils tentent d’imposer leur vue aux autres musulmans et trouvent de plus en plus d’adeptes dans les quartiers défavorisés. Auprès de jeunes peu intégrés dans la société française, souvent en manque de repères, ou de convertis qui veulent prouver qu’ils sont de « bons musulmans ».

Au long de l’entretien, Malika parle, raconte, explique et se prend la tête dans les mains. Elle se désole qu’il y ait « tant » de méconnaissance de la religion musulmane, et que cela conduise à « tant » d’instrumentalisation. Elle regrette que beaucoup de jeunes musulman(e)s se réfèrent à des savants résidant en Arabie saoudite, et qui vivent leur religion dans l’apparence et la revendication.La jeune femme relève que beaucoup de ceux qui pratiquent un islam fondamentaliste ne maîtrisent pas l’arabe littéraire, essentiel pour comprendre le Coran et ses subtilités. Selon les Renseignements généraux, au moins un tiers du millier de femmes qui portent le niqab ou la burqa sont des converties. La très grande majorité a moins de 40 ans.

Pour Malika, les filles qui tombent dans ce moule religieux ont quelque chose à prouver, car « une musulmane qui a toujours été en paix avec elle-même ne versera pas dans ce genre d’excès ». Elle parle de « provocation » et assimile les nombreuses conversions à l’islam ou la pratique rigoriste de cette religion à un phénomène de mode dans les banlieues. Elle-même a vu beaucoup de ses amies et connaissances se convertir, des jeunes « Franco-Françaises » ou d’origine africaine. Des jeunes filles qui, souvent, passent d’un extrême à l’autre. Habituées des boîtes de nuit, des jeans stretch et des garçons, elles se renferment une fois converties. Pis, elles imposent leur façon de penser aux autres musulmans et à leur famille.

Comme cette Française d’une vingtaine d’année, convertie, qui n’a pas souhaité passer Noël avec sa famille cette année. Sa mère, désespérée devant l’extrémisme quotidien et de plus en plus poussé de sa fille lui a demandé de retirer son « jilbab » (tenue qui couvre les cheveux et le corps) à l’occasion de cette fête. Hors de question pour la jeune femme, qui ne voulait pas être « découverte » devant ses oncles et ses cousins.

Ces jeunes filles n’ont pas connu l’islam à travers une transmission culturelle familiale ou bien des études de religion approfondies. La religion musulmane a été en quelque sorte un facteur de socialisation via la fréquentation de jeunes musulmans, nombreux dans les cités. Des filles parfois fragiles, proies idéales pour des prédicateurs.

Malika, profondément croyante et pratiquante, a choisi de son propre chef de porter le voile à 22 ans. A cette époque, elle était en BTS au lycée des Ulis et ôtait son « hijab » sans aucun problème à l’entrée de l’établissement. Pour la jeune fille qui s’est liée d’une grande amitié avec une enseignante athée, respecter la loi du pays dans laquelle on vit est primordial. « La religion appartient à la sphère privée, pour moi c’est une valeur ajoutée », dit-elle.

C’est pour cela qu’elle se plaint de ces néo-fondamentalistes qui passent leur temps à chercher à avoir des « hassanets » (sorte de bons points obtenus vis-à-vis de Dieu à chaque action pieuse réalisée) au lieu d’essayer de s’intégrer davantage dans la société française. Malika regrette que ces jeunes femmes entièrement voilées « pensent que la pudeur est seulement dans l’habit ».

Elle comprend qu’en France, son propre voile puisse choquer. Mais de par son comportement ouvert et tolérant, elle tente de promouvoir l’idée qu’une jeune fille voilée peut évoluer sans problème dans la société française. D’ailleurs, récemment, une de ses collègues, « française pure souche » âgée d’une cinquantaine d’années, lui a dit être heureuse de la connaître mais confié aussi qu’elle aurait encore de nombreux préjugés sur les musulmanes voilées.

Cet hiver, Malika a porté un simple bonnet lors de ses sorties à l’extérieur : « Pour moi, l’essentiel est de sortir couverte. » Elle qui rêve d’être maîtresse des écoles, assure qu’elle enlèverait le voile sans problème dans le cadre de son travail. Elle prône un libre exercice de sa religion dans le respect des exigences républicaines. « Si les filles veulent mettre un chapeau, se couvrir les cheveux ou pas, elles font ce qu’elles veulent. » Mais pour elle, porter la niqab ou la burqa en France, c’est trop.

Toutefois, elle est d’avis que cela ne sert à rien de faire une loi pour interdire le port du voile intégral, ce serait une atteinte à la liberté. « Dans ce cas-là, il faudrait une loi pour tout. En plus, les personnes concernées vont rester chez elles et c’est tout », note-t-elle. Le problème est davantage sociologique. Il vient de l’islam qui se développe dans les cités françaises, marginalisées, où l’idéologie salafiste gagne du terrain et où la surenchère religieuse mène souvent au radicalisme. A propos du voile intégral, la jeune Française d’origine algérienne conclut en citant un verset du Coran : « Point de contrainte en religion » (sourate 2, verset 256).

Sonia Dridi 

Sonia Dridi

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