L’acteur et réalisateur belge, Nabil Ben Yadir, signe un film ‘historique’ sur l’événement qui a marqué une génération : La marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983.  Dans les salles à partir du 27 novembre.

De jeunes « immigrés » tombent lors d’altercations racistes. Le Front national gagne les municipales d’une ville de moins de 50 000 habitants. La Gauche est au pouvoir. Une association SOS sensibilise les citoyens. Non, ce scénario ne date pas de 2013, mais de 1983. À l’époque, le président s’appelait déjà François (Mitterand). La ville d’extrême droite s’appelait Dreux (28). La plus jeune victime de crime raciste, Toufik Ouannès, avait 9 ans et demi. Et l’association SOS Avenir Minguettes (69) initiait une marche pacifique, un an avant la création de SOS Racisme (75).

Vous souhaitez vous rafraîchir la mémoire ? Allez voir La Marche et savourez les images d’archives de la Une et Antenne 2. Les plateaux télés où Renaud déconne avec Gainsbourg et où Drucker embrasse Coluche, les pubs Malabar et les destructions de tours, les buts de Platini et la victoire de Noah.

Entre archives et fiction, La Marche nous propulse dans une époque oubliée : les blousons Ellesse et Fila, les pulls en laine à motif, les walkmans à K7, les cabines téléphoniques à pièces, le franc. Mais n’oublie pas de nous rappeler les faits. Ceux qui ont fait qu’un jour Mohamed (Tewfik Jellab équivalent du vrai Toumi Djaïdja), victime d’un tir policier, a décidé d’organiser avec son association SOS Avenir Minguettes une marche pacifique à travers la France pour lutter contre le racisme et pour l’égalité.

Pour recontextualiser le climat de l’époque, Nabil Ben Yadir s’appuie sur l’entourage des marcheurs : les parents, inquiets (mais fiers, comme le père de Farid), les racistes, les sympathisants, les récalcitrants, les curieux, les contestataires. Les renseignements généraux aussi, qui s’intéressèrent de près à cette Marche qui débuta avec 25 personnes à Marseille et s’acheva avec plus de 100 000 personnes à Paris. La presse, également, absente sur la route, mais oppressante à l’arrivée. Et le groupe, surtout, qui présente le panel des intérêts générés par cette initiative : ceux qui la font par détermination (Mohamed, Kheira, Christian), par amitié (Farid et René), par curiosité (Monia), par solidarité (Yazid, Claire), par amour aussi (Sylvain).

Certes le réalisateur Nabil Ben Yadir a fait le choix de s’inspirer librement des faits réels : les personnages ne portent pas les noms des vrais marcheurs, ils sont au nombre de dix alors qu’ils étaient trente-deux et certaines situations (comme la croix gammée) sont inspirées d’événements ayant eu lieu avant la Marche (le 30 mai 1980 à Bondy sur la personne de Mohamed Messaoudi, 19 ans).

Mais ce cinéaste belge – connu pour son film à succès Les Barons avec, déjà, l’acteur Nader Boussandel (Yazid dans le film) – a su insuffler une distance intéressante par rapport à l’Histoire. La Marche fait rire, beaucoup (notamment grâce à Farid interprété par M’Barek Belkouk ou Jamel Debbouze), émeut, révolte aussi (par des archives brutes de sens), mais n’oublie pas d’être avant tout une œuvre cinématographique faite de ressorts scénaristiques et de choix de mise en scène. Pour ceux qui regrettent que l’ambiance raciste de l’époque paraisse diminuée par la bonne humeur de ce groupe, rappelons qu’il s’agissait d’une bande de jeunes naïfs et humanistes de 20 ans qui se sont rendus visibles à une époque où la société française leur demandait l’inverse.

Tourné en 35mm entre Marseille, Lyon et Paris, financé à force d’acharnement par un producteur né après la Marche (Hugo Selignac) sur la base d’un scénario que la scénariste Nadia Lakhdar avait passé dix ans à proposer, La Marche est un pavé dans la mare de l’Histoire occultée qui fait mouche par ses thématiques encore tristement d’actualité.

Claire Diao

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