LA MARCHE. Il a débuté sa carrière avec l’association Cité Art de Vigneux-sur-Seine (91) puis a fait la rencontre d’Edouard Baer qui l’a fait jouer dans Akoibon (2005). Repéré par la suite dans L’école pour tous d’Eric Rochant (2005) et Tout ce qui brille (2009) de Géraldine Nakache et Hervé Mimran, Nader Boussandel a crevé l’écran du film Les Barons (2009) de Nabil Ben Yadir avant d’être à l’affiche de La Marche cette année. Interview.

Où étais-tu en 1983 ?

Je devais être à Vigneux-sur-Seine (91), j’avais 9 ans. J’ai de vagues souvenirs de la Marche parce que mes parents regardaient l’émission Mosaïques (NDLR : émission de 90 minutes diffusée tous les dimanches sur FR3 de 1977 à 1987). Les seules bribes de souvenir que j’ai, c’est  la création de SOS Racisme et ce fameux badge (NDLR : Touche pas à mon pote) qu’on achetait pour cinq francs… Après, la mémoire n’a pas été cultivée, donc c’est un peu passé à la trappe.

Quand as-tu entendu parler de la Marche pour la première fois ?

J’avoue que c’est en lisant le scénario que j’ai réappris cette histoire-là dans les détails. Il y avait même cette affaire d’Habib Grimzi (homme défenestré le 14 novembre 1983 par trois candidats à la Légion Etrangère dans un train ralliant Vintimille à Bordeaux) que je ne pouvais pas situer, je ne savais pas que c’était en 1983.

Qu’est-ce que cela t’a évoqué ?

Ça m’a évoqué beaucoup de choses. Quand j’ai lu cette histoire, j’ai eu le même impact qu’avec Mémoires d’immigrés (série de trois documentaires sur l’immigration réalisés par Yamina Benguigui en 1997). Il y a des choses que je ne savais pas parce que nos parents sont dans un  mutisme – à force de dire qu’il ne faut jamais parler, que leur histoire selon eux n’a pas trop d’intérêt, qu’elle n’est pas essentielle – alors qu’on a besoin de ces repères-là pour pouvoir avancer. Je me suis nourri en apprenant l’histoire de la Marche parce que je me suis dit qu’il y a eu des choses faites qui me paraissent presque impossible aujourd’hui. Une marche pacifique de 1 500 kilomètres, ça paraît fou ! Et ça a marché. J’ai appris qu’il y avait une solidarité, une société conscientisée sur les problèmes de l’époque. Ça m’a beaucoup apporté. Je me sens beaucoup plus citoyen français, d’origine arabe mais profondément français, parce que mes ancêtres – sans exagérer, c’était il y a trente ans ! (rires) – ont marché pour les droits civiques en France.

Qu’est- ce qui t’a motivé à jouer dans La Marche ?

J’ai voulu jouer dans ce film parce que c’était un film important qui racontait un pan de l’Histoire que je ne connaissais pas et une histoire qui appartient à des gens comme moi, issus de l’immigration. Le scénario avait été écrit dix ans auparavant par une amie, Nadia Lakhdar. Huit ans après, je l’ai revue et je lui ai reparlé du projet. Elle était désespérée : « J’ai pas réussi, ça a été dur, laisse tomber ». Je lui ai dit de ne pas lâcher, je lui ai présenté Nabil Ben Yadir et ça a collé. Je leur ai ensuite présenté Hugo Sélignac, le producteur, qui avait une telle énergie – c’était son premier film – que cela permettait de ne pas cloisonner tout ça dans un projet un peu « Beur », mais que cela appartienne à la France entière. Lui a 29 ans, n’a pas connu cette histoire, mais a été passionné par l’épopée que cela a été.

Pourquoi « La Marche pour l’égalité et contre le racisme » s’est progressivement fait appeler « La Marche des Beurs » ?

C’est une déformation journalistique. C’est un réflexe très français : quand il y a un mouvement de masse et qu’on ne sait pas où ça va ou qu’on a un peu la crainte de ce que ça peut faire, on a besoin de cloisonner, de mettre dans une boîte. Ça aurait pu être la Marche des Noirs ou de n’importe qui d’autre. On a voulu mettre un nom à un mouvement dont on ignorait l’ampleur.

Comment as-tu construit le personnage de Yazid ?

C’est un personnage qui m’a tout de suite plu car il est constamment dans la retenue. Il a un passé judiciaire qu’il essaie de gommer, il en parle très peu et met tous ses espoirs dans la Marche. Face aux personnes qu’il rencontre sur la route et qui leur mettent des bâtons dans les roues, il se contient. Pour ce personnage, nous nous sommes beaucoup inspiré du chanteur Rachid Taha, qui venait de Lyon et qui, à l’époque, dans sa musique, avait cette forme de militantisme. Dans son look aussi. Ni bédouin, ni rockeur à la Elvis, sa forme de combat était la musique. J’ai passé beaucoup de soirées avec Rachid Taha pour savoir comment il fonctionnait, comment il pensait et je me suis imprégné de sa manière de voir les choses en 1983.

De 1983 à 2013, comment a évolué le terme « immigré » ?

Immigré, c’était la même définition qu’aujourd’hui : quelqu’un qui vient dans un pays pour travailler. Effectivement, mon père était un immigré. Je suis donc fils d’immigré mais absolument pas immigré. Je suis français. Si je quitte la France pour aller ailleurs, je serai un immigré. Mais ça, ce serait un autre film… (rires)

De 1983 à 2013, quelle évolution observes-tu en matière de racisme en France ?

Le racisme en France a toujours existé et existera toujours mais ce sont les conditions sociales de certaines « communautés » qui font que cela évolue ou non. Entre 1983 et 2013, beaucoup de choses ont évolué malgré tout. On s’est beaucoup débrouillé tous seuls pour atteindre des situations importantes en politique – comme Najat Vallaud-Belkacem, Rachida Dati et tant d’autres – des chefs d’entreprises ont créé des sociétés… Nous sommes dans le domaine du possible mais il faut se battre : c’est ça la clé de la réussite. La volonté du raciste voudrait qu’on la ferme. Mais lutter contre le racisme, c’est dire qu’on existe et ne pas avoir de complexes.

De 1983 à 2013, quelle évolution observes-tu en matière de violence policière ?

Malheureusement, il y a beaucoup de choses qui ont empiré… Il y a toujours des contextes. C’est sociologique. Beaucoup de choses ont évolué. La manière de faire l’argent : on ne pique plus dans les poches, on vend de la drogue. C’est de plus en plus violent. Je pense que policier est un métier très difficile. Moi je ne l’aurais pas fait parce que si je me trouvais dans des situations dans lesquelles ils peuvent se retrouver, ce serait terrible. Ce qui n’excuse pas les moments d’exagération ou d’excès de zèle qui existent. Moi-même encore, j’ai le traumatisme de la police avec les excès de zèle que j’ai connus quand j’étais dans mon quartier. La violence policière est là, existe, et cela répond  au mal par le mal, c’est terrible. Ma solution a été de partir loin de ça mais il n’y a pas de solution miracle. Il y a des itinéraires bis dans la vie qui sont beaucoup plus salutaires que d’affronter la violence policière. Ce n’est pas de la lâcheté, c’est de la survie. C’est fou de dire un mot pareil ! La survie.

Qu’est-ce que ça fait de tourner avec un Belge qui raconte l’Histoire de France ?

Lorsque je l’ai présenté à Nadia Lakhdar, j’avais fait attention à ces choses-là. Avec Nabil, j’ai tourné Les Barons (succès aux box-office Belge en 2009),  qui parle de la notion de départ : les difficultés de quitter son cocon pour prendre son destin en main. Ce n’est pas une chose simple et je trouve qu’il a très bien traité le sujet. Nabil avait déjà cet œil-là en Belgique et ne connaissait pas l’histoire de la Marche. C’est un Belge, donc il a forcément cette objectivité, c’est-à-dire qu’il n’a pas de patriotisme ou de comportement rancunier. Il fait un état des lieux avec distance, sans aucun jugement. Accepter de réaliser ce film a été un excellent choix.

Propos recueillis par Claire Diao

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