SAMEDI. La vie ça n’a rien de palpitant en réalité. Elle est même souvent plus exaltante dans ma tête avec tout le monde qui y campe. Ce soir, j’avais prévu de sortir et même d’aller au karaoké. Ceux qui ont eu l’honneur, pardon l’horreur, de m’entendre chanter se disent probablement que cette idée de sortie est la pire que j’amais eue de ma vie. C’est comme aller à un rassemblement du FN avec une burqa. Incongru ou suicidaire.

Pourtant, allez savoir pourquoi j’adore chanter tout en sachant au fond de moi que ce n’est pas audible pour un être humain normalement constitué. A part pour ceux qui trouvent que le bruit de la craie sur le tableau noir est une douce mélodie. Et plus que tout j’aime me moquer des gens qui chantent faux. Oui je sais c’est l’histoire de celui qui voit la paille dans l’œil de son voisin et ne voit pas la poutre dans le sien. A ce stade ce n’est pas une poutre que j’ai dans l’oeil mais un pilier.

J’avais déjà imaginé ce que j’allais porter, je priais secrètement aussi pour que ma voix se transforme durant la journée et que miraculeusement je chante juste ce soir. J’aurais pas m’adonner à toutes les chansons sur lesquelles je fantasme. Mon côté Mariah Carey frustrée. Cela n’est pas arrivé hélas. Pire, le démon de la fatigue ,comme je me suis couchée trop tard toute la semaine, a pris possession de mon corps. Et il a amené en clandestin son amie la flemme. Le couple diabolique a eu raison de ma motivation.J’ai tout annulé. Pourtant je me faisais une joie de relater cette sortie qui s’annoncait mémorable dans ces colonnes. Pour autant les gens qui devaient participer à cette petite virée ne se sont pas suicidés. Ils étaient même soulagés. Je ne sais pas s’ils étaient aussi fatigués ou si c’est la perspective de conserver intacts leurs tympans qui les a réjouit. Peu importe, je me suis couchée à l’heure des poules, trop fatiguée pour rêver à ma gloire future.

DIMANCHE. Quand j’étais petite pour s’occuper le samedi soir quand on avait le droit de se coucher tard, on jouait au baccalauréat. Autant dire que notre enfance était palpitante, de quoi développer une vie intérieure foisonnante. On a vite fait le tour du jeu. A comme Autriche, avocat , ce dernier faisant office de réponse commune aux catégories fruits ou légumes et profession pour les plus malins. Ce temps-là c’était l’ère où Internet n’existait pas, où seul Mario Bross, bien avant le plombier polonais, régnait sans partage sur le monde des jeux vidéos balbutiants. Un monde qui s’épanouissait dans une Nintendo (deux boutons, une manette épurée) et une Game Boy (3 kilos environ, blanche avec un écran verdâtre minuscule). Niveau technologie, l’Ipad peut aller se rhabiller. Maintenant qu’Internet existe, que les ordinateurs aussi ( quand ils ne passent pas entre mes mains, ordinateur que je suis, cette semaine, j’ai épinglé une victime de plus à mon tableau de chasse) on fait des blind test. Test musical à l’aveugle pour les non-bilingues.

Ce soir, la couscous party s’est prolongée plus que de raison. Oui je sais j’alimente les clichés, pour parfaire la carte postale il y’avait même du thé à la menthe, il ne manquait plus que le sfenj ce beignet dont je raffole mais que ma mère ne sait pas confectionner. La mère de quelqu’un que je connais si. J’attends toujours l’invitation promise… Pour animer la soirée, nous n’avions ni David Guetta ni Philippe Corti alors on a fait sans. Celui qui a eu cette idée diabolique a fait office de juge impartial. Mes concurrentes sont mes soeurs. Cette fois pas de sororité qui tienne. On est trois, c’est chacune pour sa pomme.

Moi je suis dans les startings-blocks. Je suis prête à bondir à chaque chanson. C’est pas que je sois mauvaise perdante mais je n’aime pas perdre. En toute modestie, alors que nous jouons dans la joie et la bonne humeur, je leur met la pâtée. Je ne tombe pas dans le piège grossier et débusque la reprise d’ « I love Rock’n roll » par Britney Spears. Je remporte même les points les plus honteux, les moins avouables. Carlos et Lorie m’ont aidé à augmenter mon score. Normalement dans ces cas-là on ne répond pas et on invoque la clause de bon goût. Mais moi heureusement je m’en fiche. Un point est un point sans discrimination. Mais j’obtiens aussi de jolies victoires comme reconnaître « Hallelujah » de Jeff Buckley à la première note. Pourtant je n’ai pas gagné de beaucoup. Faut croire que l’une de mes soeurs et moi sommes des juke-box vivants. Pour l’aînée c’est plus compliqué, elle ne connaît pas grand-chose. A part Patrick Bruel, Jean-Jacques Goldman et Christophe Maé. Je ne commente même pas.  D’ailleurs les deux soeurs démoniaques décident de conclure une alliance contre moi arguant du fait que je serais un peu agressive dans ma manière de répondre. Il se pourrait que je n’ai pas usé d’un langage très châtié pour traduire ma déception lorsque des titres m’ont échappé.

L’axe du Mal a jugé qu’il était temps de mettre fin au jeu lorsque j’ai commencer à chanter Alicia Keys. D’après eux, je chante tellement faux, que les cris d’un chaton égorgé lors d’une messe noire serait plus mélodieux que ma voix. On est toujours trahi au sein de sa propre famille…

LUNDI. Sans les polémiques, on s’amuserait bien moins dans la vie. Cette semaine, c’est la libération de la Française Clotilde Reiss, universitaire à Ispahan qui noircit les pages des journaux. L’imprudente a été emprisonnée en Iran pour avoir pris des photos des manifestations contre l’élection à la régulière de Mahmoud Ahmadinejad ,le président qui a deux passions dans la vie la liberté et Israël. En même temps elle n’est pas très maligne la Clotilde. « Cher amis, chers familles. Je suis dans un pays au contexte politique très stable, alors plutôt que de vous envoyer des photos des paysages iraniens je vous adresse des photos et des vidéos des manifestants contre le régime. Comme vous le savez l’Iran est connu pour sa tolérance et son amour des pays étrangers alors je ne risque rien. »
Comme une bleue elle s’est fait attraper.

Dans son malheur, elle a eu de la chance parce qu’elle a évité les geôles iraniennes qui doivent ressembler à aux prisons turques de Midnight Express. Le genre d’expérience qu’on souhaite à son pire ennemi, comme des ex-collègues. Mais être assignée à résidence à l’Ambassade de France ça ne doit pas être le bagne. A cause de la célébrissime réclame, je me suis toujours demandée s’il y’avait des Ferrero Rochers à profusion dans les ambassades. Parce que dans ces cas-là je veux bien y vivre. Je finirais sûrement obèse et avec un taux de sucre de l’ordre des 5 g/ litre de sang. L’assignation à résidence quand on y réfléchit c’est pas si mal. Déjà on évite les problèmes de logement. Tel le Parrain Don Corléone ce sont les gens qui viennent à vous lorsqu’ils veulent vous rencontrer. Un chat sur les genoux et Marlon Brandon est ressucité. Clotilde en plus a pris des cours de chant et d’arabe. Moi j’en aurais profité pour prendre des cours de chant…
Sa colonie de vacances de luxe s’est achevée à l’Elysée. Elle a pu parfaire sa légende lorsqu’un un ex-agent de la DGSE a affirmé qu’elle était une espionne. Je ne comprends pas quelles informations l’emmènent vers cette conclusion stupéfiante.

Certes Clotilde elle a un père qui travaille au Centre de l’énergie atomique, elle a fait un stage où elle a écrit un rapport sur le nucléaire iranien, elle a éventuellement transmis des informations sur les manifestations au Quai d’Orsay. Mais non je ne vois pas pourquoi on aurait ces présomptions. Par un tour de passe-passe voilà comment Clotilde se transforme en Mata Hari. C’est la classe. Je suis jalouse, grâce à tout ça elle va avoir une super notice wikipédia à peu de frais.
 
 
MARDI. A défaut de savoir chanter, j’apprécie de voir de personnes douées le faire. Ce soir, il y’a un concert, attendu depuis des mois, de l’une de mes chanteuses préférées la dénommée Sia. Nous arrivons en retard et pour une fois je n’y suis pour rien. La foule s’est déjà déployée dans les moindres recoins de l’espace. Braves (ou kamikazes) nous nous jetons dans la fosse aux lions. L’idée c’est de se faufiler jusque devant la scène pour être aux premières loges. Comme des opportunistes nous profitons d’une seule brêche pour nous hisser ua premier rang.  Après avoir gentiment suggéré par un regard noir aux gens qui nous entourent que nous ne bougerions pas d’un iota, nous avions gagné nos galons de reloues en chef. Je confesse que cette attitude n’est pas très bien Je suis grande donc par définition la personne que les gens détestent car je dois les priver de la vue. Mais ça je n’en ai cure. Ce soir c’est chacun pour soi.

Outre le fait de patienter dans cette marmite humaine, la chose énervante des concerts c’est la première partie. D’une part, le public n’est pas là pour celui qui essuie les plâtres. Par définition la foule ne l’aime pas. C’est injuste certes mais l’injustice parfois a du bon. Elle permet à l’être humain de se dépasser. Visiblement le duo, The Two (on devine la réflexion intense qui a donné naissance à leur nom de scène…), ne cherche pas à se dépasser. Ils sont bien mignons mais leur musique d’ascenseur n’est pas transcendantes. Le jeune homme a une guitare et un look débraillé. Elle a revêtu un petit blouson en cuir pour la rebel attitude touch, une jupe boule fashion et  elle joue d’un instrument bizarre aussi utile qu’un triangle. Ils avaient l’air pétrifié. Je me suis même demandée s’ils n’avaient pas été conviés à assurer la première partie au débotté dans l’après-midi. Le chanteur-guitariste n’avait même pas eu le temps de fermer ses Caterpillar portées tout lacets défaits. L’encéphalogramme d’ambiance était désespérément plat.

Nos deux zigotos sont tout de même visionnaires, ils ont choisi de reprendre une chanson de Michael Jackson au titre évocateur et prémonitoire: «  They don’t care about us ».  Certes Martine Aubry a plaidé pour une société du care, une société Bisounours mais un peu plus conceptualisée. J’aimerais bien voir Madame 35h faire jaillir de son ventre un arc-en-ciel magique. Le pire c’est que si pour être membre du club société du care, il faut être gentil, je serais disqualifiée d’office. Dommage collatéral, je ne pourrais plus écrire cette chronique. Je dois avouer qu’après le concert j’aimais tout le monde. Ca doit s’appeler le bonheur. On m’avait vaguement parlé de ce concept mais c’est comme une campagne électorale ça sonne faux et on y croit pas tant qu’on l’a pas vu de nos propres yeux.

MERCREDI. Comme c’est drôle les coïncidences parfois. Lu dans Libé, la fronde gronde dans le XVIème contre des futurs HLM en gestation. Et vu la tournure que ça prend les HLM vont connaître une gestation au moins aussi longue que celle de l’éléphant, si ce n’est que ce projet va vite rejoindre le cimetière des éléphants. Pas ceux du PS, non eux justement ils ne veulent pas mourir, il se régénèrent à vitesse grand V. Donc le ghetto d’Auteuil Neuilly Passy ce n’est pas pour tout de suite. J’imagine déjà la fête des voisins. Le choc des cultures façon « La vie est un long fleuve tranquille » ou « Tintin chez les Bourgeois ». Dans la  vraie vie la fête des voisins c’est une arnaque. Dans mon immeuble ça ne marche jamais. En temps normal, personne ne se parle, les gens se dépêchent d’appuyer sur le bouton de l’ascenseur en faisant semblant de ne pas vous voir lorsque vous arrivez dans le hall. Juste pour vous laisser le plaisir de ne pas monter  avec eux.

Sinon il y’a aussi mon voisin, ancien policier qui a la nostalgie de l’Ocuppation allemande et menace de dénoncer les voisins qui abandonnent des meubles sans faire appel aux encombrants. Le croiser dans l’ascenseur ça donne lieu à un interrogatoire. Manque plus que l’ampoule de 100 watts dans les yeux. Lui s’il pouvait un peu moins parler à ses voisins ça m’arrangerait… Pour en revenir aux HLM, c’est dommage, il y’en a un qui aurait bien aimé en profiter vu qu’il a des problèmes de logement, c’est Christian Estrosi. Le Ministre de l’Industrie a été épinglé par Le Canard Enchaîné, qui se spécialise dans l’immobilier, pour avoir fait bénéficier sa fille d’un mini-logement de fonction de 60m². Je ne vois pas ce qu’on reproche au gouvernement. Ce sont vraiment des parents exemplaires toujours à vouloir le bien de leurs enfants. L’exemple vient d’en haut. En son temps, Nicolas Sarkozy a lui aussi oeuvré pour trouver un petit job à son fils Jean.
 
JEUDI. En cette période le monde entier à les yeux tournés vers Cannes. C’est sûr que les robes à fourreau et autres talons hauts c’est plus télégénique que les chemises rouges made in Bangkok. Histoire de ne pas mourir idiote, je suis allée voir « Copie conforme’ d’Abbas Kiarostami l’un des films en compétition. Comme dans la vie je suis un peu lente à choisir un film, il faut juste éviter les films durant lesquels on met son cerveau sur pause. Vous l’aurez deviné j’ai toutefois une préférence pour les films dits d’auteurs. En temps normal, le film ouzbèke tourné dans les plaines polonaises en islandais et dont le personnage principal est un arbre et une vache ça ne me dérange pas. J’exagère mais c’est à peu près ça. Mais là je n’ai pas du tout accroché à l’intrigue. Si j’avais su j’aurais plutôt emmené mon pyjama pingouin. Pas parce que la moyenne d’âge des spectateurs présents dans la salle avoisinnait les 75 ans et des poussières.

Mais parce que je me suis endormie pendant la longue tirade sur l’art et le regard du spectateur qui fait de l’oeuvre d’art une oeuvre. Moi mon regard il lorgnait dangereusement vers la sortie. Mais comme j’ai foi en l’humanité, je me dis que les critiques dithyrambiques ne peuvent être de grossières manipulations et que le film est juste lent à démarrer. Mais là on a tiré le gros lot du film verbeux, indigeste, ennuyeux, pseudo-compliqué pour donner de la profondeur et faire croire que le cinéaste est un être supérieurement intelligent.  J’ai plusieurs théories sur les critiques de cinéma. Soit ils sont tous de la famille des cinéastes, soit ils sont corrompus par la mafia et ils ne veulent pas retrouver leur cervelle sur leur article. Certains cinéastes semblent avoir une immunité comme dans Koh-Lanta, quelque soit le navet qu’ils sortent, les critiques seront enthousiasmés juste pour m’embêter. Quatrième option, les critiques ont fait l’école Jacques Martin et pendant Cannes tout le monde a gagné et obtient dix sur dix. Quoiqu’il en soit j’ai résisté à repiquer du nez et à emboîter le pas d’un spectateur qui a quitté la salle. Je parie que si les autres n’ont pas pris la poudre d’escampette c’est parce que les hanches en plastique et autres problèmes d’arthrite les en ont empêchés.
 
VENDREDI. C’est officiel, je renonce à comprendre un tant soit peu l’être humain. Alors que tout le monde s’est plaint sans cesse de novembre en mai, moi la première, le soleil a fait son come-back. Comme les stars de téléréalité  toutes les saisons il revient. Sauf que dans le cas du soleil, on est content. Sauf moi. Je serais heureuse qu’il fasse chaud si seulement je pouvais en profiter. Hélas comme Clotilde Reiss je suis assignée à résidence, obligée de travailler.

Alors quitte à ne pas avoir de vie autant que la France entière soit solidaire et que personne ne puisse lézarder au soleil. La société du « care » le soin mutuel c’est ça aussi… En plus, la chaleur ça me fait gonfler les mains et les jambes. Je ressemble au bonhomme Michelin qui pianote sur un clavier. Un bonhomme Michelin avec la tête énorme. Non je n’ai pas pris la grosse tête, c’est juste que la chaleur me donne mal au crâne. Ou c’est peut-être mes voix intérieures qui ont décidé de faire une grosse fête sans m’avertir. Je ne vois qu’une solution. Rappeler le mauvais temps et rendre mes jours de labeur moins pénibles. C’est décidé, je vais entonner quelques chansons histoire d’être sûre que la pluie rapplique.
 
Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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