SAMEDI. La différence fondamentale entre les hommes et les femmes tient à peu de choses. La capacité à s’émerveiller devant vingt-deux types qui courent derrière un ballon, à trouver que la Barbie qui anime la Roue de la fortune dégage un charme naturel, à s’adonner aux jeux vidéos, à fantasmer sur un échange de balles lors d’un match de ping-pong. Il est vrai que si j’avais été Scarlett Johanson et que Jonathan Rhys-Meyers m’avait appris à jouer comme dans « Match Point » j’aurais peut-être mieux saisi l’intérêt du jeu. C’est facile de se moquer, les filles peuvent aussi avoir des centres d’intérêts disons relatifs.

Certaines sont susceptibles de s’extasier devant un enfant qui va sur le pot pour la première fois, de considérer que compter la moindre calorie de la moindre feuille de salade avalée est un loisir épanouissant, de baver devant Christophe Maé malgré le vide intersidéral de ses textes et l’envie qu’il m’inspire de lui hurler « Fais-toi opérer des végétations! ». Certaines fondent pour une robe noire. Là, je plaide coupable. Une robe noire me direz-vous, c’est d’une simplicité enfantine. C’est le cas de le dire… Soyons réalistes, les vêtements qui peuplent nos armoires sont tous fabriqués par un Chinois, un Laotien ou un Indonésien de 5 ans. Les plus cyniques d’entre nous dirons qu’au moins là-bas à 5 ans les enfants savent faire autre chose de leurs mains qu’un moulage en pâte à sel ou une boîte à bijoux camembert. Mais on ne le dira pas, bien entendu pour ne pas avoir la Ligue des parents sur le dos.

Je dois être masochiste pour faire les magasins le samedi mais que voulez-vous, il se peut qu’en semaine, j’ai des choses plus importantes à faire comme la conquête de mon futur Prix Albert Londres. Dans mon cas, mon armoire est aussi vide que les caisses de l’Etat. Lors de mon expédition shopping du jour je découvre la robe parfaite. Ce n’est pas la découverte du siècle, je le concède. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les robes, de nos jours, ont la longueur d’une chemise. On a de la marge en ce qui concerne la talibanisation vestimentaire de la France. Sans aller jusque-là j’ai envie de pouvoir m’asseoir ou me promener dans la rue sans être arrêtée pour racolage passif.

C’est indescriptible, ce bonheur, lorsqu’on trouve une robe à notre corps. Mine de rien, une robe noire simple c’est un défi. Il y avait bien une robe violette mais rien ne vaut le noir. Pour compenser la simplicité du produit final, il faut qu’elle ait une forme parfaite. Et qu’elle camoufle astucieusement la petite bouée abdominale qui squatte sans qu’on ait rien demandé. Dois-je rappeler que la robe noire est l’adjuvant idéal en cas de rendez-vous galant, pour ce que je m’en souviens, hein ? Finalement je repars avec cet unique article.

DIMANCHE. Je vis une relation à sens unique. Je sais c’est triste, mais que voulez-vous, il ne sait même pas que j’existe. Cela fait des années que je suis fidèle mais rien n’y fait. Oui, je l’avoue, Javier Bardem et moi menons une relation unilatérale. Ce n’est pas de ma faute s’il me préfère Pénélope Cruz. Cela dit, à sa place, j’aurais fait le même choix. Elle est canon, Pénélope. Et enceinte, riche, célèbre, espagnole et actrice. Une fois que j’aurai dépassé tout ça, j’aurai toutes mes chances.

J’ai rendez-vous avec ma soeur, un ami et Javier ce dimanche après-midi (faut bien qu’il fasse connaissance avec la famille) pour aller voir son dernier film, « Biutiful ». Après deux heures et demie éprouvantes, nous sortons et chacun a son interprétation. « C’était bien des chauves-souris au plafond? » « euh non des papillons ». Je maintiens, c’était bien des chauves-souris.

La divergence principale s’est portée sur un élément crucial du film. Javier Bardem. Enfin la beauté de Javier Bardem. Le représentant du sexe masculin qui nous accompagnait récuse un quelconque charme à mon futur époux et le compare même à un tableau de Picasso. Le coup est dur à encaisser. La théorie bien connue pour défendre cet accès de mauvaise foi c’est « la célébrité rend beau ». Pas sûr. Quand on regarde bien, ça n’a pas réellement fonctionné sur Franck Ribéry. Il invoque même un rôle antérieur où le bel Espagnol arborait une coupe de cheveux à la Mireille Mathieu. Même avec une coupe de Playmobil il reste beau. La classe, on l’a ou on ne l’a pas.

Des enfants maquillés à la truelle ont sonné à ma porte ; ils ont vraiment cru que j’allais entretenir leur addiction au sucre, j’ai déjà assez de la mienne, une vraie junkie. Pour finir de pourrir leur soirée j’aurais dû leur dire que le Père Noël est un mensonge parental. Il faut bien leur ouvrir les yeux à ces petits (ne pas oublier de parler de cet escroc de Prince charmant). En ces temps de crainte des barbus ça m’étonnerait qu’il soit vraiment en odeur de sainteté, Babo Natale. Qu’ils s’estiment heureux, les gamins, ils ne sont pas dans une usine en Asie en train de fabriquer des robes noires pour des Occidentales toujours insatisfaites.

LUNDI. Le concept du dimanche est trash en lui-même. Je ne sais pas si c’est dû à mon traumatisme Jacques Martin mais quand lundi prolonge Halloween et est déguisé en dimanche c’est dur à vivre. Évidemment c’est le jour où tout est fermé qu’on a absolument besoin de denrées de base comme des pâtes ou du Coca. Je me dévoue. Je le confesse,  j’ai toujours des scrupules (je suis une femme à scrupules) à sortir en étant moche de chez moche. Les cheveux gras en bataille retenus par une pince cache-misère, une tenue apocalyptique, les lunettes de travers sur le nez, des baskets aux pieds et pas une once de maquillage… J vous vends du fantasme en barre avec cette description. Pourtant aujourd’hui je me suis dit que c’était férié, qu’il devrait n’y avoir personne dehors et que de toute façon ce n’était que dans les films qu’on rencontrait l’homme de sa vie au rayon yaourts du supermarché.

Les jours fériés, soyons clairs, c’est une chimère. Dehors, ça grouille de monde. Non seulement mon immeuble entier s’est donné rendez-vous dans le hall mais les rues sont bondées. Les gens s’engouffrent dans le métro comme s’ils allaient au travail. Des petits vieux se baladent en couple main dans la main, même eux me narguent. Des jeunes se promènent en bande et moi je suis la fille moche qui avance dans la rue. La vie est injuste. Ça, je le sais depuis que Princesse Sarah a été ruinée et réduite en esclavage, mais quand même. Du coup j’ai fait mes courses très rapidement, j’ai soigneusement évité le rayon yaourts, j’ai baissé les yeux pour éviter de croiser des regards de pitié et j’ai couru chez moi. La prochaine fois, je cède à la futilité et m’habille comme si j’allais au bal (on ne va plus au bal depuis belle lurette mais je trouve que c’est un concept sympathique).

MARDI. La Gare du Nord n’est pas l’endroit le plus agréable pour un rendez-vous avec une amie, mais peu importe ,parfois il faut être pragmatique. On ira au Café de Flore dans une autre vie. Non seulement je suis heureuse de la voir mais en plus en tant que futures journalistes, nous parlons le même langage. Maintenant que je connais pleins de mots techniques, j’ai l’impression d’avoir été intronisée dans la secte des Albert Londres. On a même pu parler de la différence entre le « H4 » et le « Nagra ». Pour les Béotiens je précise qu’il s’agit d’enregistreurs permettant de réaliser des reportages radiophoniques.

En parlant d’enregistreur, ça commence à faire peur ces histoires de journalistes surveillés. Si ça se trouve, nous aussi nous avons été espionnées. Ma mère ne se prive pas de me dire qu’à cause de moi, on va être mis sur écoute. Et que de toute façon journaliste c’est un métier de charognard. Je veux bien que Jean Sarkozy soit marié avec une héritière de Darty mais ce n’est pas une raison pour qu’au sommet de l’État on organise un tel service après-vente. On vérifie même que leurs ordinateurs soient bien en état de marche. Si c’est pas prévenant, tout ça.

MERCREDI. Ce soir, je vais au bal. J’arrête de misanthroper et décide de me mêler au monde. J’ai souvenance que lorsqu’on est invité chez quelqu’un on est censée apporter quelque chose. Ma première invitation mondaine émane d’une camarade de classe. Je confectionne un gâteau au chocolat. Tout le monde aime, c’est simple et bon. Je me dois de préciser que la confection de ce gâteau a été le moment le plus exaltant depuis que je suis en vacances.

Je furète sur Internet pour trouver une recette différente de la mienne. L’ennui pousse à des actes inexpliqués. Internet c’est de l’arnaque, les recettes sont toutes similaires. Quoiqu’au lieu de mélanger les jaunes d’œufs au chocolat, il faille mélanger le chocolat aux jaunes d’œufs. Je choisis une recette mais bien entendu je ne respecte pas les proportions. Il paraît que la pâtisserie c’est de la chimie. Encore heureux que je ne sois pas versée dans l’entreprise terroriste parce que sinon les bombes que je fabriquerais seraient surpuissantes. A l’œil, je réalise mes mélanges savants en mode freestyle. Trente minutes plus tard, c’est cuit, mais la mauvaise idée, avec le moelleux, c’est le cœur tremblotant. Kamikaze, je le démoule pour pouvoir le transporter.

Et là c’est le drame. Le centre s’affaisse et reste au fond du moule. Je découpe en petits carrés le pourtour et miracle, il est non objectivement très bon. Le bilan est positif, aucun de mes camarades n’a fini sa soirée au centre antipoison. Il y en a eu pour tout le monde. Ce que je ne m’expliquerai jamais c’est l’étonnement de mes interlocuteurs lorsque je confirme que c’est bien moi qui ai réalisé le gâteau. Je ne sais pas, Faïza qui sais cuisiner, ça doit sonner aussi faux que Brice Hortefeux en sweat-capuche NTM.

JEUDI. Le documentaire animalier provoque en moi, comme les jeux télévisés ou le télé-achat, un sommeil quasi instantané. C’est tellement lent qu’à côté, un défilé de l’Armée rouge paraît dynamique et intéressant. Ils sont quand même toujours sérieux dans les commentaires. Le tout avec la voix des années 70, celle qui faisait toutes les voix off. « Le lion majestueux règne sans partage sur sa troupe , pendant que la lionne s’en va à la chasse. L’antilope innocente qu’elle croise sur sa route fera les frais de cette rencontre malheureuse. De retour sur le territoire, c’est le lion qui mangera en premier au nom de la fameuse part du lion. »

Bref, on sait d’avance qu’il ne faut pas trop s’attacher à l’antilope et qu’elle ne sera pas dans le deuxième volet. Si j’étais à leur place, je dynamiserais le commentaire qui dirait plutôt : « Ce fainéant de lion qui fait la sieste 21 heures par jour, est un parasite absolu qui vit au crochet de la lionne. Elle le nourrit et lui ne sert à rien. Le vrai chef c’est elle. En plus sa crinière est ridicule et un nid à microbes. Heureusement que la reproduction lui donne une fonction/ » C’est perfectible mais l’idée c’est en gros cela.

Je suis en vacances. C’est bizarre, les gens ont une vie laborieuse et ne sont pas disponibles pour le café de 15 heures, alors je passe mes après-midi à glander. Je tombe sur un reportage animalier. D’habitude, je zappe mais là le reportage est intitulé « Le gang des macaques ». Je kiffe les singes. Le commentaire vaut son pesant de cacahuètes. Le mec imite un accent de racaille. Ça me fait penser à la version française de « Scarface », où celui qui double Al Pacino, ressortissant cubain dans le film donc hispanophone, s’échine à affubler Tony Montana d’un accent italien trafiqué.

Au-delà de l’accent, c’est le commentaire qui est drôle : « Tarak, le chef, il kiffe la bouffe », « elle, son délire c’est les bijoux », « ça a un goût assez chelou mais c’est bon pour la santé », « un stock de bouffe insensé ». Oui la voix-off se prend pour une caillera et colle à la thématique « gang » jusqu’au bout. Mine de rien, ça fait rire et j’attends l’épisode suivant avec impatience. Je me dis que la prochaine étape, ce seront les discours politiques traduits en langage djeune. Vivement que Nicolas Sarkozy parle de son crew, de la dèche de l’Etat et de l’invitation à grailler qu’il a lancé à son pote kainry Barack.

VENDREDI. Nicolas Sarkozy n’a pas conquis la bravitude. C’était prévisible, il n’est pas allé en Chine sur la Grande Muraille. Le président, c’est comme le Parrain ce n’est pas lui qui vient aux présidents étrangers c’est eux qui viennent à lui. Nicolas a quand même fait les choses en grand, il reçoit son copain Hu Jintao. Le vide sanitaire est fait dans les rues, pas de manifestations tolérées histoire de ne pas dépayser son nouvel ami. On ne va pas revenir sur le fait que la conscience soit soluble dans 14 milliards d’euros.

Et puis le président chinois vient d’être élu « homme le plus puissant du monde ». C’est la classe mais ça fait peur. T’as moins envie de lui chercher des noises à l’homme le plus puissant du monde. Ce qui me taraude le plus, c’est : est-ce qu’ils vont oser aborder le sujet qui me concerne au plus haut point ? Comme l’effet papillon, une décision prise au bout du monde pourrait influer sur ma vie. Je crains, sous peine de signer un CDI avec le célibat, que les deux présidents décident d’éradiquer les usines où des enfants fabriquent des robes noires.

Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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