Ce mercredi la Puerta del Sol de Madrid est encore noire de monde. Mais pour une fois les indignados espagnols ne sont pas seuls à exprimer leur mécontentement. A la veille de l’arrivée du pape aux Journées mondiales de la jeunesse, de multiples associations ont organisé une manifestation dans le centre de la capitale. Même si le mouvement du 15-M n’a pas donné de consignes, les indignés sont au rendez-vous et défilent aux cotés de nombreux militants laïques et homosexuels.

Les revendications des quelques 15 000 manifestants sont diverses et donneront lieu à plusieurs déformations par les médias nationaux. Ces derniers se sont surtout concentrés sur les slogans anti-souverain pontife des militants gays qui s’avouent excédés par « ce pape qui ne peut conclure un discours sans rappeler que l’homosexualité est une monstruosité contre-nature ».

On est loin de la « mafia antipape » dénoncée par El Mundo, car de nombreux manifestants sont chrétiens, et parfois homosexuels et chrétiens. Miguel, jeune indigné au chômage depuis la crise, est là pour protester contre la facture occasionnée par les JMJ : « C’est assez incroyable qu’un Etat qui propose des coupes budgétaires drastiques depuis plusieurs mois, qui vient d’augmenter le coût du billet de métro, puisse se permettre de proposer la gratuité des transports aux pèlerins, et supporter le coût des moyens de sécurité colossaux déployés pour l’occasion. »

Arrivé à Sol, l’ambiance se tend brusquement : le cortège vient de rencontrer un groupe de pèlerins qui semblait se trouver là par hasard (certains ont parlé de provocation délibérée). La température est vite montée : un groupe de Français a été vu en train de brandir des cartouches de cigarettes et en criant « on sort votre économie de la crise grâce à nos achats ». Plus loin de jeunes croyants madrilènes chantent «¡ Yo soy español, español, español ! », comme un air de défi, comme un souvenir d’une Espagne scindée en deux, entre laïques et cléricaux, entre républicains et franquistes. Plus tard dans la soirée les échanges se feront plus violents, et la police n’hésitera pas à charger pour vider cette place que les indignés ont tenus pendant de nombreuses semaines depuis le début de l’été.

Le lendemain, l’ouverture des JMJ renverra dans l’ombre l’actualité mouvementée de la nuit. Prime time à l’américaine sur toutes les chaînes de télé, arrivée en direct de l’avion papal et envoyés spéciaux aux quatre coins de la ville. La plupart sont là pour « voir le pape ». Les grandes avenues de la capitale ont été fermées, sur les places, de grandes estrades ont été installées. Des centaines de concerts, groupes de paroles et autres manifestations religieuses sont prévues dans la semaine. Les jeunes arborent fièrement les drapeaux de leur pays d’origine et Madrid prend vite des allures de tour de Babel. Américain, Angolais, Italiens, Philippins, Indiens, tous sont venus dans le même but.
Maria est espagnole et pour elle « hoy es el dia » (c’est le grand jour, slogan répété par les écrans géants disposés un peu partout dans la ville).

En ces temps sombres, c’était très important pour elle de voir le pape, de se rapprocher un peu de Dieu. Si elle est consciente du coût de la mobilisation elle estime néanmoins que cette visite apportera bien plus de réconfort au peuple espagnol : « On a besoin de croire en quelque chose, depuis longtemps on ne peut plus croire en la politique, il ne nous reste que Dieu vers qui se tourner. »

L’ambiance bon enfant, voire un peu naïve semble confirmer le tout. L’heure est au rassemblement, les pèlerins dansent sur des musiques religieuses et festives. Et les jeunes Espagnols que nous avons rencontrés semblent apprécier de pouvoir oublier la crise pour quelques jours. S’il y a eu opposition cet été à Madrid, était-ce bien celle de deux Espagne en pleines confrontation ? Ou bien celle à l’intérieur d’un peuple angoissé par un futur plus sombre que jamais ?

Rémi Hattinguais (Madrid)

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