Une cité et ses jeunes gardiens des murs, qui s’effritent. Un épicier qui fait office d’assistant social pour les pleurnicheurs. Une boulangerie où l’on peut trouver du pain chaud « à toutes heures ». Dans ce quartier de Seine-Saint-Denis on ne peut plus banal, c’est comme ça onze mois dans l’année ! Le douzième est exceptionnel. Le cœur de la cité bat alors à un tout autre rythme. Ce mois-là, c’est celui du Ramadan. Trente jours où l’épicier central, si souvent sollicité durant la journée en période normale, peut pour ainsi dire fermer boutique.

Trente jours où, au coucher du soleil, les odeurs qui s’échappent des fenêtres des cuisines sont particulièrement alléchantes. Trente jours où les soirées sont prolongées. Oui, on s’endort un peu plus tard, on a la permission de minuit. Cette ambiance, pourtant, tout le monde ne l’apprécie pas et parfois ne la supporte pas du tout. Parmi ces « réfractaires », des Beurs. Et leur attitude choque leurs voisins musulmans observant le jeûne.

Bâtiment B, 3e étage. Au bout d’un long couloir, une porte bleue. C’est celle de Lahtifa*, une Algérienne quadragénaire. Voilà dix ans qu’elle vit à cet endroit avec son gamin. Là encore, rien que de très banal, mais c’est un autre sujet… Lahtifa, clope au bec, est catégorique : elle n’a « jamais fait le Ramadan » et « ne le fera sans doute jamais ». Bavarde, se sentant obligée d’argumenter, elle ajoute : « Durant toute ma jeunesse, ce mois de jeûne était quelque chose de complètement étranger pour mes amis et moi. »

Sa mère observe la règle, son père s’y est mis à l’âge de 65 ans. Jamais une remarque de leur part. Jamais une critique. Elle se souvient avec nostalgie de cette liberté qu’elle avait et que personne, se dit-elle aujourd’hui, ne se serait permis de remettre en question. Les temps ont changé. « Il y a un vrai problème de générations, analyse-t-elle. Aujourd’hui, les jeunes en parlent, le font et c’est une vraie fierté pour eux. Avant, nous n’y pensions pas une seconde. » En 2008, c’est un peu plus compliqué de traverser la cité avec sa demi-baguette à l’heure du déjeuner. « Beaucoup de voisins font le Ramadan, ce que je respecte bien sûr, mais depuis quatre ans, j’entends quelques remarques par-ci, par-là. » Lahtifa avoue « s’abstenir de fumer à l’arrêt de bus, devant la cité ». Par pur respect pour les jeûneurs ? Pas totalement.

La dame a gardé le meilleur pour la fin. Le bouquet final. La petite critique qu’elle n’est pas prête d’oublier. La plus belle de toutes. « Une gamine de 13 ans m’a demandé, comme souvent, si j’étais prête pour le Ramadan. Naturellement, je lui réponds qu’il n’y avait pas lieu, vu que je ne le faisais pas. Et là, choquée, elle me prévient que j’irai en enfer. » Ce que la gamine ignore, c’est que Lahtifa n’a pas peur de l’enfer…

En ce samedi 30 août, la chaleur est suffocante. Le soleil tape grave. Pas beaucoup de monde dans la cité. Pas moyen de trouver un gars pour répondre à mes questions. Le soleil effraie. Il fait fuir. L’occasion de me dorer la pilule, le temps d’en apercevoir un et de lui sauter dessus. Samir* et Jamel* se pointent. Les deux jeunes de 25 ans sont des « musulmans pratiquants ». La naissance de la barbe, chez chacun, en témoigne.

D’emblée, ils avouent « avoir mal au cœur » lorsqu’ils voient des Beurs qui ne pratiquent pas. Alors, ils tentent de « les raisonner avec sagesse », vu qu’ils n’ont pas « le droit de les blâmer ». Les gars sont pressés. Ramadan oblige ! Derniers préparatifs. Avant qu’ils ne filent, une question sur l’islamisation des banlieues françaises. Ils répondent qu’« il n’y a pas d’islamisation des banlieues mais une islamisation mondiale. De toute manière, c’est une promesse. Ce monde sera musulman. » Que faut-il comprendre ?

Mehdi Meklat

*Prénoms modifiés.

Mehdi Meklat

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