Fouras, Charentes Maritimes (Correspondance)

Fouras, charmant village balnéaire au bord de l’Atlantique, à une vingtaine km au sud de La Rochelle, à côté du site de Fort Boyard, hôte de l’université d’été des militants du mouvement d’Arnaud Montebourg « Rénover Maintenant ». Quelques jours avant celle du PS, au sein de laquelle il s’agit pour le mouvement du promoteur de la VIe République d’arriver en ordre de bataille, à la veille de la grande mêlée générale prévue pour trouver un candidat aux présidentielles qui ait une chance face à Sarkozy.

Montebourg avait un moment difficile à passer, puisqu’il s’agissait de faire digérer la pilule du ralliement de son mouvement à la candidature Royal, sans passer par la formalité républicaine de la consultation de la base.

Il semblerait que le conclave directeur serait en mesure de produire un texte de consensus. Mais si l’on en croit divers témoignages, dont celui de M. Belakhdar, compatriote Bondynois, la fumée blanche ne sortira pas sans frottements.

Invités au sein d’un atelier consacré aux Banlieues, nous nous y sommes rendus pour témoigner sur l’expérience du Bondy Blog. Nous y avons trouvé un auditoire très intéressé a priori, même si le débat après nos interventions n’a pas pu avoir lieu, vu que les habitués de l’exercice ont monopolisé le micro pour parler d’eux-mêmes et dire ce qu’ils pensaient au lieu de poser ou laisser les autres poser des questions.

La tablée était composée d’un représentant de la Ligue des droits de l’homme qui a cru pouvoir caser le double de ce qui est humainement possible en moins de dix minutes. Résultat il a lu au pas de course un document. Bon. Dommage. Un urbaniste qui a également lu un document. Là encore, c’est du gâchis, tous ces km en TGV, ces frais d’hôtel et de restau, pour 10 minutes de coup d’épée dans l’eau. Bon. Un éducateur qui parlait du fait qu’on peut comprendre la colère des jeunes sans pour autant approuver le fait de cramer des bagnoles. Dix minutes, c’était beaucoup aussi. Et puis à nous. J’avais préparé un topo mais je l’ai modifié pendant que j’écoutais les autres en me disant que je n’ai quand même pas fait 3 heures de TGV plus presque une heure de transports jusqu’à la gare Montparnasse, pris 24 heures de mon temps précieux, pour venir assommer de braves militants socialistes pleins de bonne volonté avec « moi », « je suis le plus beau, le plus malin, le Bondy Blog c’est trop génial « etc. J’ai préféré parler de mes soucis. Oula ! Ca faisait un sacré contraste.

La salle réveillée partageait ainsi avec moi mes préoccupations sur la difficulté pour le jeune de banlieue de produire un discours où il s’institue comme sujet légitime à poser un regard autonome sur le réel, lequel n’est pas exactement toujours un conte de fées. A se dégager de cette représentation de la banlieue qui émane du Centre quand il daigne, plus ou moins contraint et forcé par les « évènements », se donner la peine d’aller voir sa périphérie. De se débarrasser du rôle d’objet, au sein d’un casting produit par des gens de l’extérieur,  mais dans lequel les gens de banlieue adhérent assez spontanément, sans forcément s’en rendre compte : soit le jeune que le journaliste a trouvé aux heures creuses de la journée, qui n ‘avait rien d’autre à faire que de zoner devant la gare RER. Et qui va lui donner du discours de frustration, de victime, d’exclu ..etc… Rien de neuf. Soit alors, et c’est plus pernicieux, celui qui va se prévaloir de sa situation de salarié, de fonctionnaire, de commerçant etc… en disant « voyez, c’est possible » , mais qui conforte ce faisant le discours dominant, victimisant, stigmatisant, produit sur les gens issus des banlieues, en se posant comme un contre-exemple, faisant mousser son ego au passage, comme quelqu’un qui a donc du mérite. Ca fait toujours du bien, d’accord, mais inutile. Et dans les deux cas, le journaliste repart avec un « matériau » qui rentre dans le cadre mental préétabli. Et le sens commun de son lectorat, ses clichés et ses stéréotypes confortés. Dormez bonnes gens… Rien de nouveau sous le soleil.

Deuxième préoccupation. C’est la question de savoir quoi dire au brave journaliste qui n’est pas Suisse, qui n’a donc pas le temps, d’autre que de parler de soi. Peut-être qu’il voudrait qu’on lui produise une analyse sur les problèmes, non pas « des » banlieues – au fait, je préfère « soulevés par » les banlieues ? Et là petit flottement. Euh ! On le sent un peu gêné le brave journaliste. J’appelle ça le « paradoxe-du-journaliste-qui-s’intéresse-aux-banlieues »: il vient en banlieue pour essayer de comprendre ce qui s’y passe. S’il cherche à comprendre ce qui s’y passe, c’est parce qu’il ne s’y passe pas une série à l’eau de rose, on est bien d’accord. Mais si une analyse des problématiques relatives à la banlieue lui est proposée par quelqu’un qui peut lui parler du point de vue de la banlieue, et non du point de vue central, comme le font les discours légitimes habituels (médiatiques, universitaires, politiques, administratifs), eh bien ça tique, ça coince. Il n’a pas l’habitude.

Ca me rappelle cette description de Tocqueville de la situation qui prévalait juste avant 1789 dans « L’Ancien régime et la Révolution », où des aristocrates bien intentionnés faisaient des discours sur le peuple, devant lui, sans songer qu’il pouvait éventuellement avoir aussi un avis à donner.

Samy K.

(La suite prochainement)

Samy Khaldi

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