Une décision timide, mais une précision salutaire. Les rassemblements en soutien à la Palestine ne peuvent pas être systématiquement interdits en France, rappelle le Conseil d’État. Dans une décision rendue ce mercredi, la juridiction administrative a rejeté le recours déposé par le Comité Action Palestine contre l’interdiction des manifestations pro-palestiniennes.

Mais l’institution souligne « qu’il appartient aux seuls préfets d’apprécier s’il y a lieu d’interdire une manifestation localement ». Cinq jours après les attaques perpétrées par le Hamas et l’offensive israélienne sur la bande de Gaza, le ministre de l’Intérieur avait envoyé un télégramme aux préfets leur demandant d’interdire les « manifestations pro-palestiniennes ». Si quelques rassemblements ont bien eu lieu sur le territoire français, un seul a été autorisé, à Bordeaux. Une situation unique en Europe.

« Porosité », « glissement » : le gouvernement suspecte la cause palestinienne

Lors de l’audience au Conseil d’État, le manque de clarté de la consigne du ministre a été soulignée. « Sans doute le télégramme (du ministre de l’Intérieur, NDRL) comprend une petite ambiguïté », a admis Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur, devant le Conseil d’État. Le Conseil d’État lui-même, dans sa décision, « regrette la rédaction approximative de ce télégramme ».

Envoyé aux préfectures le 12 octobre dernier, le télégramme du ministre de l’Intérieur demande aux préfets d’interdire « les manifestations pro-palestiniennes, parce qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public ». Durant l’audience, Pascale Léglise s’est bornée à convaincre que ces consignes ne visaient pas « les manifestations en soutien aux victimes (…), mais les manifestations qui soutiennent le Hamas et la résistance palestinienne par tous les moyens ».

« Les préfets ont-ils encore le pouvoir d’autoriser des manifestations pacifistes ? »

Au contraire, pour Me Vincent Brengarth qui représentait le Comité Action Palestine, les consignes du ministre « s’apparentent à une interdiction absolue » en nourrissant une « confusion » entre soutien à la population palestinienne et hommage au Hamas. « Les préfets ont-ils encore le pouvoir d’autoriser des manifestations pacifistes ? », s’interroge-t-il.

« Les moments de recueillements avec des bougies pour les victimes palestiniennes sont autorisés », promet la représentante du ministère qui voit dans les termes du télégramme « une orientation » plutôt qu’un « devoir d’interdiction ». « Mais au final, ‘Palestine vaincra’ devient ‘les juifs mourront’ dans toutes les manifestations observées », échappe-t-elle.

Le juge des référés a considéré que les précisions apportées par le ministère étaient suffisantes. Sans s’appuyer sur le télégramme, l’institution valide néanmoins les interdictions des « manifestations de soutien à la cause palestinienne justifiant publiquement ou valorisant, de façon directe ou indirecte, des actes terroristes ».

Une particularité française

Sur le reste du territoire, 2 500 signalements pour actes antisémites ont été relevés depuis le 7 octobre, « dont 232 qui ont conduit à une judiciarisation », précise Pascale Léglise. « La France et l’Allemagne ont interdit ce type de manifestation. Oui, de par notre Histoire, il faut faire un peu plus que les autres pays », assume-t-elle.

Le quotidien allemand Deutsche Welle rappelle de son côté que « certaines manifestations ont été autorisées, d’autres non ». Du cas par cas, contrairement au télégramme du ministre de l’Intérieur qui revêtait un caractère systématique. « La France se singularise par rapport à d’autres pays », avait ainsi noté Me Brengarth.

Le gouvernement n’a pas à choisir les revendications des manifestants ni leur mode d’action

« Le gouvernement a appelé à des recueillements à la bougie », ironise l’avocat qui rappelle que « le gouvernement n’a pas à choisir les revendications des manifestants ni leur mode d’action ». 

« C’est un désaveu pour le ministère de l’Intérieur », poursuit-il sur Twitter (X) après la décision du juge. « Le Conseil d’État juge qu’aucune interdiction ne peut être fondée uniquement sur son télégramme (…) ou sur le seul fait que la manifestation vise à soutenir la population palestinienne ».

Méline Escrihuela

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