BEST-OF. Un homonyme criminel et tout s’arrête. Avoir son nom en haut de l’affiche ? Pas toujours glorieux. Demandez à un Fofana. 

«Car par le nom connaît-on l’homme », nous devons cette maxime à Chrétien de Troyes auteur du roman inachevé Perceval ou le Conte du Graal que l’on date du XIIe siècle. J’ai étudié ce roman en terminale L durant l’année scolaire 2004-2005. J’ai même planché sur cette œuvre dans la fameuse épreuve de littérature au baccalauréat. « L’épreuve des deux dissertations en deux heures ». C’est seulement un an après le bac que j’allais prendre la pleine mesure de cette maxime en France.

En Afrique de l’ouest il est vrai que la première chose que deux Africains se demandent après une discussion c’est le nom de famille. Il est, en effet, du devoir de tout Ouest-Africain de connaître l’histoire du nom de son clan. C’est un peu comme dans Highlander, Duncan Macleod fait partie du clan des Macleod, et il en est fier. Suivant votre nom de famille, vous êtes descendants de caste plus ou moins noble voire pas du tout. Avant 2006, pour moi cette maxime ne faisait sens que dans un contexte africano-africain.

Mais en 2006, Youssouf Fofana, chef du « gang des barbares », fit entrer le nom Fofana dans l’histoire de France. A peine la nouvelle était-elle sortie aux infos que mon portable se mit à sonner comme jamais. Je reçus un texto poétique d’un cousin qui, pour l’occasion, se fendit d’une allitération en F : « Hé Dieu ! Fofana maintenant, c’est Fiché, Fichu, Fauché en France ! » Dans les jours qui suivirent je me rendais à la fac et j’arrivai malheureusement avec 2 ou 3 minutes de retard. C’était le timing parfait pour que le professeur m’acceptât. Lorsque j’ouvris la porte, un camarade de classe lança à voix haute : « planquez-vouuuuuuuuuus y’a Fofana dans la pièce ! » avant de se cacher sous une table. Comme un seul homme, la grande majorité de l’amphithéâtre se mit à rire aux éclats. Terrible moment de solitude. Que faire ? Quitter l’amphi ? Rester et assumer ? Je décidai de faire front, de faire de la pédagogie en expliquant que je n’avais aucun lien de parenté avec Youssouf Fofana.

L’affaire traînait en longueur, j’avais l’impression que toute la France croyait à une histoire sur mon nom de famille, autre que celle que l’on m’a toujours racontée. Youssouf était en Côte d’Ivoire. En cavale. Cela rajoutait du piment à la légende du barbare Fofana devenu most wanted comme dans un mauvais western. Un jour de retour de l’université, j’attendais le RER C en gare de Choisy-le-Roi. Je suppose, avec du recul, que les contrôles d’identité s’étaient intensifiés depuis la cavale de Youssouf. Les policiers s’approchèrent de moi dans le hall de la gare et l’un d’eux me lança la fameuse phrase : « contrôle d’identité s’il-vous-plaît ». Résigné, car loin d’en être à mon premier contrôle de routine, je ne demandais même plus pourquoi. Je connaissais les réponses toutes faites par cœur « vous correspondez à un signalement » ou encore « arrêté préfectoral ». Mais à cause de l’actu brûlante, je sentais que ça allait être plus long qu’à l’accoutumé. Quand le policier au talkie-walkie se rendit compte que j’étais un « Fofana », tel un chercheur d’or dans le Far West, il cria de joie: « Oh putain les gars ! On en tient un ! C’est un Fofana ! Oh putain ! » Après cette « découverte », je devenais plus qu’un individu potentiellement dangereux. J’étais un barbare en puissance.

Ils me montrèrent la vitre contre laquelle je devais m’appuyer en écartant les jambes et les bras afin de faciliter ma fouille. J’avais l’impression d’être Atlas. Je portais tout le poids du monde sur mes épaules. Je sortais de la fac, pourtant, j’étais perçu comme le dernier des caïds par la foule. Certains en oubliaient même leurs trains. Les mères africaines et antillaises me lançaient des regards désapprobateurs du style « tu nous fais honte » et une symphonie de « tchip » vint s’abattre sur moi. Mais si, rappelez-vous ! Ce son déplaisant, empli de dédain qu’une majorité de non-initiés n’arrivent pas à reproduire et qui dans la culture afro est parfois synonyme d’anathème. La longue vérification d’identité ne donnait rien. Mon casier était vierge. Mais mon honneur était souillé encore une fois de plus. Le policier me demanda : « Comment ça se fait que vous n’êtes pas connu des services de police ? » Je lui répondis que ce n’était pas une fin en soi d’être connu des services de police. Un homme me lança un « va travailler fainéant. Tu n’as pas honte ? » Lui répondre ? Mauvaise idée. J’ai passé mon chemin en baissant les yeux face au poids accablant du regard des témoins de la scène.

De retour dans ma commune, je racontai ma mésaventure. Les gens me conseillaient de changer de nom. Un autre me recommanda d’arrêter la fac. « J’sais pas, vas à l’usine ou va vendre des Tour Eiffel avec les Sénégalais au Champ-de-Mars », me disait sur un ton narquois un ami d’enfance. Mon nom était connu et tout le monde avait l’impression de me connaître. Traumatisés, ma famille et moi ne regardions plus que momentanément le JT sur France 3, il y eut des manifestants de la marche pour Ilan Halimi qui chantaient en cœur « à mort Fofana ». Comment ne pas intérioriser la faute d’un autre qui partage votre nom à ce moment-là ? La messe était dite. Je découvrais ce que c’était que d’être une victime collatérale d’un inconnu qui porte votre nom. Nous étions juste partagés entre la haine de Youssouf, l’incompréhension et la honte. Mais il est toujours important de relativiser. La souffrance de la famille Halimi était supérieure à la nôtre. Je n’ose imaginer la consternation ni ce que doit penser celle qui a mis Youssouf Fofana au monde . On passe une vie à se faire une réputation, trouver sa place dans la société. Or, un seul événement peut surgir et tout remettre en cause. Au point que vous finissez par douter de vous-même.

Mais la vie continuait. Je me rendais compte que la mémoire collective fut marquée par l’affaire Fofana. Les gens me disaient « ah oui Fofana comme Youssouf ?!» Deux ans après les événements, je passais un entretien pour une jeune boîte de communication qui se voulait branchée. Au bout de vingt minutes, j’eus droit à la question qui tue : « Etes-vous un proche de Youssouf Fofana ? » J’avais depuis perfectionné ma réponse à cette question hautement prévisible. Je lui répondis par une autre question « Quel est le point commun entre Un Perez du Portugal, un autre d’Argentine et enfin un autre du Mexique ». Il me répondit en souriant : « Ah vous me posez une colle. Mais vous ne répondez pas à ma première question ! » Je lui rendis son sourire en retour et dis : « Ne vous en faites pas, je vais vous répondre. Le seul point commun, c’est le nom de famille. Ils n’ont pas forcément de lien de parenté. Perez est un nom de famille courant chez les Latinos, comme Fofana est nom courant en Afrique de l’Ouest. Youssouf est issu de l’immigration ivoirienne et moi je suis issu de l’immigration malienne, et nos familles ne se connaissent pas. » Peu fier de lui, il me dit, « pardonnez-moi mon ignorance ». Avec le sourire de la personne détachée qui fit semblant de ne pas être vexé, je lui rétorquai, « ne dit-on pas que les ignorants sont bénis ? » Beau joueur, il prit ma remarque avec sourire et sans transition l’entretien reprit son cours.

Avec le temps, j’ai compris que je ne pouvais pas éviter cette question ou des remarques désobligeantes. En 2010, un enseignant me posa la question en plein cours au moment de l’appel, au début de l’année scolaire. Certains de mes camarades furent scandalisés. Je le pris avec calme. Il y a de cela six mois, une camarade de promotion me révélait, sur le ton de la confidence, « je t’avoue que quand j’ai entendu ton nom, je me suis dit mince c’est peut être le cousin de Youssouf Fofana… » Je la remerciais de sa franchise et lui fit remarquer que c’était ma croix et que je ne suis pas le seul à plaindre et que beaucoup de gens devaient partager le même problème que moi.

Après réflexion, il est vrai que Les Hitler ont du en baver. Même le célèbre journaliste politique et polémiste Éric Zemmour avait vu son nom sali par les frères Zemmour qui terrorisaient la France durant son enfance. Je pense également à tous les Merah de France, aux Ben Laden du monde entier et je pense à tous les Fofana que je ne connais pas. Je pense, surtout, à notre point commun, on sait qu’on n’appellera pas nos enfants Mohamed, Oussama ou Youssouf. Mais voyons le côté positif des choses : on nous plébiscitera quand nous appellerons nos enfants Michel, François ou Maurice. Alors qu’un Fourniret, un Ravaillac ou un Papon ne pourra plus se le permettre. Comme il est implicitement interdit à un Catalan d’appeler son fils Franco. Il va sans dire qu’Augusto (Pinochet) n’est pas le prénom le plus en vogue au Chili. Devoir de mémoire oblige.

Fort de cette expérience je sais que les noms emprisonnent. Un Lumière, un Picasso ou un Césaire est condamné à être un génie. Comment ne pas respecter Shabbat quand ton nom c’est Israël ? A-t-on le droit de ne pas porter Jésus dans son cœur quand on s’appelle Christ-Love ? Et que dire d’un Ramadan qui n’observe pas le jeûne ? C’est un sacrilège. Comme un Sarkozy producteur de hip-hop « car par le nom connait-on l’homme… », à ce qu’il paraît. Cependant, je persiste et signe. Rien n’est totalement figé et il n’est pas impossible de renverser la tendance, il suffit juste de s’armer de patience, être bon pédagogue et miser sur le bon sens des individus. C’est choisir la facilité que de voir le verre à moitié vide, ne plus rien entreprendre, ne plus déposer de CV à cause d’un nom qui effraye la chronique. Je reste convaincu qu’ il est possible de se sortir du carcan d’un patronyme trop lourd à porter si on s’en donne les moyens et qu’on prend la vie avec philosophie.

Balla Fofana

Publié le 22 janvier 2014

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