« Pourquoi ils ont pris une photo? » L’homme qui pose la question à Fatia n’a pas l’air de rigoler. Tout à l’heure, Paolo le photographe qui travaille pour L’Hebdo a pris un cliché de Fatia, Khadija et moi devant la barre (immense immeuble) des deux femmes, aux 4000, la cité que Sarko voulait nettoyer au Kärcher. Rien d’autre qu’un souvenir personnel avec mon appareil. Il n’y avait absolument personne aux alentours. Enfin, croyais-je.

Fatia improvise: « Ils sont venus chez nous au Maroc, et maintenant nous les avons invités ici ». « Je savais que ça allait se passer comme ça, me glisse Fatia. Mais je ne t’ai rien dit. J’étais sûre que tu ne me croirais pas ». Devant la barre, des types au look de rappeurs new-yorkais sont plantés sur le trottoir. Ils observent ce qui se passe. D’autres traînent plus loin. Ils nous dévisagent. L’ambiance est très lourd et irréelle. Le temps est comme suspendu, j’ai l’impression d’être dans un décor de film. Je ne serai pas avec Khadija, je ne m’aventurerais pas dans une entrée d’immeuble. Et pourtant, c’est juste pour boire le thé que nous sommes venus chez elle. « Si vous êtes avec quelqu’un de nous, ils ne vous feront rien », explique cette mère de six enfants. Elle habite au 11ème étage. Hier, il n’y avait plus d’électricité, elle est montée à pieds. Odeur d’urine dans l’ascenseur. « Parfois il y a du caca » commente-elle. A la maison, son mari Omar, et les deux plus petits (deux ans et douze ans) l’attendent. Sa belle-fille prépare le thé, apporte les plateaux de biscuits et de friandises. On parle de la cité, des enfants et des événements en buvant du thé. Comment en est-on arrivé là? Omar a son idée sur la question: « Si l’Etat nous laissait éduquer nos enfants comme nous l’entendons, il y aurait moins de problème. Il leur a donné trop de liberté. Nous les parents, nous n’avons plus rien le droit de leur dire « . Il parle de l’expérience cuisante vécue avec sa fille et une assistante sociale. Sa version des faits: « Ma fille est allée lui dire que ma femme ne la laissait pas faire ce qu’elle voulait. Elle voulait habiter ailleurs. Chez nous, on ne sort pas pour aller chez des copains. On sort pour une raison bien précise ». Il évoque le respect des parents et des adultes qui existe encore au Maroc, mais qui a disparu ici. L’assistante sociale a trouvé un foyer pour sa fille; elle y a séjournée pendant un mois, mais les parents n’ont pas voulu qu’elle y reste. « Envoyer ma fille chez des étrangers…? » L’affaire a fini devant la police et la justice à cause de toutes sortes d’accusations de la part de l’adolescente. Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre, la jeune femme a 18 ans et travaille. Elle demandé pardon à son père. Mais il lui en veut encore. Il reste blessé.

Par Sabine Pirolt

Sabine Pirolt

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