Georges a passé sa jeunesse entouré d’écrivains. Son beau-père, André Németh, était écrivain, journaliste, critique littéraire et professeur de français. André se fait connaître dès l’âge de 21 ans, grâce à une pièce de théâtre opposant mysticisme et rationalisme. Il a aussi écrit l’un des premiers livres sur Kafka publié en France, et plusieurs biographies romancées sur Metternich, Napoléon II A 23 ans, en 1914, il rencontre Apollinaire à Paris lors d’un voyage d’études, établi à Vienne après la guerre.Il tisse des liens d’amitié avec Arthur Koestler et Attila Jozsef, à la vie tourmentée, considéré comme le plus grand poète hongrois du 20e siècle.

Georges insiste sur l’engagement politique de ces écrivains hongrois : « La plupart des écrivains hongrois étaient engagés politiquement : c’était une tradition, dès le 19e siècle, après la Révolution de Paris en 1848, menée par un poète, Lamartine. Mais, à la différence de la France qui, par la suite, a connu une évolution relativement harmonieuse, la Hongrie fut secouée par des occupations étrangères et des guerres d’indépendance : en raison de la faiblesse du pouvoir central, poètes, écrivains et autres intellectuels ont joué un rôle primordial dans la vie publique ».

Les années 1930 hongroises sont marquées par la montée du fascisme, par la répression des juifs et des communistes. Hitler ayant fait la promesse de restituer des territoires perdus lors de précédents conflits, la Hongrie s’était alignée sur la politique allemande. Depuis 1932, trois gouvernements hongrois successifs affichaient leur sympathie pour le fascisme et ses représentants, en Italie et en Allemagne. 1935 fut l’année de la fondation du parti pronazi les Croix fléchées. En février 1939, le chef du gouvernement signe une loi antisémite et il adhère au pacte Antikomintern, contre l’internationale communiste. Son successeur approuve encore d’autres lois anti-juives. En juin 1939, des élections révèlent que l’opinion publique s’oriente de plus en plus vers l’extrême-droite, les Croix fléchées arrivant en seconde position.

« Je suis venu en France parce que mes parents s’y sont réfugiés en 1939, à cause des persécutions en Hongrie », explique Georges. Il se souvient : « J’ai commencé à apprendre le français dès l’âge de 16 ans. C’était ma troisième langue étrangère, après l’allemand et l’italien. J’ai suivi les cours de l’Alliance française pendant deux mois puis, inscrit en seconde au lycée de Saint Germain-en-Laye,  j’appréciais les cours sur la littérature du 17e siècle. J’aimais Corneille, Racine, Molière et surtout Pascal. Cette littérature du 17e siècle représentait pour moi l’ordre et la clarté. Mes premiers camarades étaient mes compagnons de voyage, dans le train qui nous menait de Paris à Saint Germain. Je voyageais avec une brochure des poèmes en français de Sandor Petöfi, le poète du 19e siècle qui a inspiré le nationalisme hongrois. Je lisais des poèmes à mes camarades et je critiquais la traduction. »

En mai 1940, au moment de la débâcle, la famille de Georges fuit Paris pour se réfugier dans la maison de campagne d’un ami de son beau-père, dans la région lyonnaise. En septembre 1940, Georges se retrouve en Première dans un lycée à Marseille, où il passera son Bac. « Je suis devenu traducteur parce que j’ai été élevé dans un milieu d’écrivains hongrois qui attendaient beaucoup de moi. Ma première traduction, à 19 ans, était un extrait d’un livre de mon beau-père sur Marie-Thérèse d’Autriche. Elle a été publiée en 1942 dans une revue de Clermond-Ferrand, « L’écho des étudiants », se souvient Georges.

Après une dizaine années passées en France, Georges retourne en Hongrie. Sa femme le rejoint en 1950. « Le Parti communiste français avait tendance à envoyer ses membres dans leurs pays d’origine, en Hongrie, ils avaient besoin de cadres ». Pendant cette période, Georges gagne sa vie exclusivement avec des traductions.

Georges renforce ses liens d’amitié avec plusieurs écrivains, notamment Tibor Déry, « un ami de ma famille et de mon beau-père, surréaliste à ses débuts». Après avoir participé à la commune hongroise de 1919, Déry a quitté la Hongrie, a vécu en  Italie, en Suède, aux Baléares, en Autriche et séjourné à Paris de 1924 à 1926. Rentré en Hongrie en 1935, il a traduit le Retour de l’URSS d’André Gide, ce qui lui a valu deux mois d’emprisonnement. Tour à tout fêté et vilipendé par le régime communiste installé en 1949, Déry publie en 1955 « Niki, l’histoire d’un chien », roman tout en finesse qui, à travers l’histoire d’un chien, raconte en fait celle du peuple hongrois subissant le stalinisme de 1948 à 1955. En 1956, Déry sera le porte-parole du soulèvement de Budapest. En 1957, il sera donc condamné à neuf ans de prison pour « conspiration contre l’Etat » puis libéré en 1960.

Revenu en France en 1962, Georges devient Directeur de recherche au CNRS et enseigne la linguistique à l’université. Il poursuit ses traductions pour faire connaître les grands auteurs de la littérature hongroise, entre autres, en 2010, La commune de Paris, un livre de son beau-père, « un livre écrit d’une façon très vivante », dit-il. Après vingt ans d’absence, Georges retourne dans son pays natal. « Quel changement en arrivant ! La Hongrie n’avait plus rien à voir avec la rigueur communiste ». La situation s’étant améliorée, Georges peut maintenant rendre visite à ses amis, retrouver ses collègues, participer à des colloques.

Il a aussi gardé des liens avec des Hongrois qui vivent en France. « Il y en a deux sortes : ceux qui sont partis tout de suite après 1945, et ceux de 1956. La rencontre entre ces deux types de Hongrois est souvent conflictuelle. Aujourd’hui, des Hongrois quittent leur pays surtout pour des raisons économiques et vont, de préférence, en Allemagne et en Angleterre ».

Marie-Aimée Personne

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