C’est une première en France, consoles et jeux vidéos vont être vendus aux enchères. Des objets de 1972 à nos jours partirons dans les mains de nostalgiques ou fondus, qui entendent bien faire reconnaître le jeu comme le 10° art.

Jeudi 13 juin se tiendra la première vente aux enchères de jeux vidéo en France. Une exposition publique se déroule aujourd’hui, mercredi 12 juin  à la salle VV au 3 rue Rossini, dans le 9° arrondissement, pour admirer les 350 lots mis en vente. Camille Coste a organisé cette vente pour la maison de ventes aux enchères Millon.

Expert en jeux vidéo, arts et objets des cultures populaires, c’est pas banal ?

Oui, c’est vrai. Je ne suis pas certain qu’il y en ai d’autres, cette vente est une première en France. Beaucoup de collectionneurs et de joueurs sont des experts en jeux vidéo. Pour le coup, le titre est donné à la personne qui monte l’enchère. Ce titre m’a été donné par la maison de vente, car je suis en charge de faire les estimations, de trouver les pièces et de les apporter pour les proposer à la vente. C’est pour ça qu’on m’appelle l’expert. Ça me fait rigoler aussi.

D’où est venue l’idée d’organiser une vente aux enchères de jeux vidéo ?

C’est une idée que j’avais depuis longtemps. Je suis collectionneur de jeux vidéo depuis treize ans. L’idée de base, c’est d’essayer de faire reconnaître le jeu comme le dixième art, après la BD qui a été reconnue comme le neuvième. Le jeu vidéo a une histoire. Les artistes qui en créent, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne sont pas des petits lutins. Ce sont des gens qui ont fait des études universitaires et qui ont un sens artistique tout aussi développé que celui des personnes travaillant dans le cinéma.

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Comme je suis collectionneur, je sais qu’il y a plusieurs façons de se procurer des pièces. On peut aller en boutique, faire des achats sur internet et il existe des forums où on peut faire des achats ou des échanges entre potes. La vente aux enchères n’existait pas dans le milieu du jeu vidéo contrairement à tous les milieux de collection que j’ai pu côtoyer : les jouets, la BD, les tableaux… Étant donné qu’il y a déjà énormément de collectionneurs dans le milieu, je trouvais dommage qu’il n’y ait pas encore de ventes aux enchères dans ce domaine. Je voulais proposer un nouveau moyen de diffusion pour les jeux vidéo.

Quels profils d’acheteurs pensez-vous intéresser ?

Contrairement à ce qu’on peut lire à droite et à gauche, cette vente aux enchères n’est pas élitiste. Au contraire, elle s’adresse à tout le monde. Les gens dans le jeu vidéo n’ont pas l’habitude des ventes aux enchères, donc ils ne savent pas comment ça fonctionne. Les prix affichés sur les catalogues et internet ne sont que des estimations. Les prix de départ des enchères sont beaucoup plus bas et il y a énormément d’affaires à faire. Comme il s’agit de la première vente, on voulait faire quelque chose d’historique partant de 1972 jusqu’à nos années 2000. On voulait attirer toutes les générations qui ont connu le jeu vidéo tout en restant dans des tarifs déjà proposés sur internet.

Comment avez-vous réuni les différents articles qui seront proposés à la vente ?

C’était compliqué, car je n’ai pas eu beaucoup de temps. Ce projet a été long à monter, mais quand il a été validé et que la date de la vente a été fixée au 13 juin, j’ai eu deux mois pour réunir 350 lots. Par mes contacts j’ai dû trouver des gens qui ne sont pas sur internet, les rencontrer, voir les pièces et les estimer et convaincre les vendeurs, car derrière il y a des frais pour eux. Enfin, ils ont dû me confier leurs pièces en échange d’un papier. Ce ne sont pas des choses habituelles dans le milieu. J’ai eu des contacts avec beaucoup de personnes, dont David Winter, un ancien collaborateur de Ralph Baer. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il s’agit de l’inventeur de la première console de jeu vidéo, la Brown Box en 1968. L’Odyssey en 1972, c’est lui aussi. David Winter m’a confié des lots historiques. J’ai eu la chance de rencontrer des gens comme lui qui ont tout de suite été emballés par le projet pour mettre en avant le jeu et son histoire qui doit être racontée et préservée.

Est-ce que certains lots ont été particulièrement difficiles à obtenir ? 

Ce qui est étonnant c’est que les articles les plus rares ne sont pas forcément les plus chers et que les articles les plus chers ne sont pas forcément les plus rares. Je prends un exemple : on peut facilement se procurer un Zelda complet sur Nintendo. Pourtant ça va nous coûter plus de 100 euros, alors que c’est assez courant. Mais Clock Tower, sorti sur PlayStation en France est beaucoup plus rare, mais également moins recherché. C’est une question d’offre et de demande. Pour la vente il y a des lots que j’ai eu beaucoup de mal à récupérer, car les collectionneurs n’étaient pas vendeurs à la base. Il a fallu faire des compromis. C’ est à dire leur proposer de mettre en vente leurs objets rares et en contrepartie de mettre également en vente des lots moins rares pour que ces collectionneurs puissent vendre des pièces plus courantes.

Avec les sites internet permettant aux particuliers d’acheter et d’échanger des jeux, penses-tu que d’ici une trentaine d’années, il sera possible d’organiser une vente aux enchères des jeux vidéo sortis après 2000 ?

Bien sûr. Le marché du jeu a évolué. Au début on n’avait pas beaucoup de joueurs et il y en a eu de plus en plus jusqu’au point où aujourd’hui, cette industrie dépasse celle du cinéma. Pour répondre à la clientèle il y a aujourd’hui beaucoup plus de production et de pressage de jeux. Par rapport à une dizaine d’années, les jeux sont beaucoup moins rares. Par exemple, un Call of Duty ne sera jamais une pièce de collection. C’est un produit de consommation qui sort tous les ans, on a des updates (mises à jour) régulièrement, etc… C’est le genre de jeux qui ne sont pas gardés, qui sortent à des millions d’exemplaires, donc ça ne pourra pas devenir des pièces de collection.

À la vente on va proposer des pièces quand même issues des années 2000. Tout va dépendre de la production. Il y a énormément de XBOX 360 qui sortent en édition limitée. Quand je dis « limitée », c’est cinq exemplaires maxi. Il doit exister 150 modèles différents de XBOX 360 en édition très limitée. Là, il y a un marché. Par rapport aux années 2000, il y a des choses qui cotent plus : les licences connues qui sont gardées dans un état neuf, tout ce qui est, je pense, Zelda. Tous les RPG (Role Playing Game), parce que de toute époque, ils prennent du grade, car les joueurs de RPG sont souvent collectionneurs. Le dernier lot de la vente, c’est le Castlevania sorti sur PS3. Il n’a même pas trois ans, mais ce jeu a été annulé en France en édition collector avant sa sortie et finalement distribué à une centaine d’exemplaires uniquement en Suisse. Il y a des pièces récentes qui prennent de la valeur, car elles sont très limitées, très recherchées et très rares.

Quelle est ton opinion sur les jeux qui nécessitent un code ou un achat en ligne pour que leur contenu soit entièrement débloqué ?

Tant que tout sera numérique, on va tendre vers quelque chose qui va disparaître. Mine de rien, il y aura encore des supports physiques pour la prochaine génération de consoles. Dans 20 ou 30 ans, il y aura certainement plus de contenus téléchargeables, car ce sera moins coûteux pour les éditeurs d’avoir un serveur où ils proposent les jeux plutôt que les éditer en boîte. Mais il y a un autre souci : énormément de vendeurs vivent du marché de l’occasion et vont disparaître. Si tout devient numérique, que vont devenir ces gens ? Rien que sur Paris, il y a une centaine de boutiques.

Olufemi Ajayi

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