« Il faut prendre l’école très au sérieux Félix ». Voilà ce que m’a répété mon père sans cesse durant toute ma scolarité, rien n’était plus sacré que l’éducation pour lui. Peut-être essayait-il de me faire comprendre que seules de grandes études me permettraient de quitter le HLM dans lequel ma famille et moi vivons depuis presque vingt ans, de combler tous les espoirs qu’il a placés en moi. J’ai en mémoire qu’à chaque fois que je partais en vacances mon père me disait : « Surtout ne me ramène pas de souvenirs ! Le plus beau des cadeaux que tu pourrais m’offrir ce sont des diplômes des plus grandes écoles ou des plus grandes facultés ».
Je me suis longtemps demandé pourquoi mon père était si attaché à l’école et à la valeur du travail. Il n’y avait qu’à observer ses bulletins scolaires : il a toujours été le premier ou le deuxième de la classe. Également très attaché à son pays natal, la République Démocratique du Congo, où il retourne deux fois par an au minimum. Un pays qu’il a quitté il y a maintenant 31 ans. Il a toujours eu pour projet de faire avancer ce pays. En y ouvrant tout d’abord un atelier de couture non loin de la ville de son enfance, en envoyant des objets que nous utilisions plus ici afin que mes oncles et tantes restés au pays les revendent. Il a également financé la construction des petites maisons pour ses frères et sœurs.
J’admets n’avoir pas compris pourquoi mon père cherchait à tout prix à faire avancer ce pays à qui il ne devait rien, vers lequel il reversait chaque mois une partie de son salaire plutôt que de chercher à quitter ma cité rongée par la drogue et les vols. Mais j’ai compris le comportement altruiste de mon père lorsque je me suis rendu avec mon frère et lui à Kinshasa. C’était en 2010. Ce que j’y ai vu a certainement changé ma vie : des bidonvilles n’ayant pas accès à l’électricité et à l’eau courante, des orphelins qui pour survivre vendaient des bouteilles d’eau ou bien des petits biscuits.
Un jour ce sera à nous
Lorsque j’ai demandé à mon père, pourquoi tant d’enfants vivaient dans les rues il m’a répondu : « Ils n’ont pas eu ta chance d’aller à l’école, d’avoir eu des parents pour les encadrer. Ces petits sont obligés de vivre au jour le jour, ils n’ont aucune perspective comme toi ». J’ai compris à quel point j’étais privilégié à ce moment-là. C’est sans aucun doute pour leur venir en aide que mon père a pris la décision de monter une école primaire non loin de Likasi, ville où il a passé toute son enfance dans le but d’offrir un accès à l’éducation, dans un pays fortement atteint par l’instabilité politique, la violence, la pauvreté et où l’école est payante. Il a parlé de ce projet avec des amis d’enfance dont certains vivent toujours au Congo. Ils leur a fallu trouver un terrain où construire l’établissement, réunir des fonds, mais également trouver quelques ouvriers.
Mon père a également mobilisé ses frères et neveux dans la construction. D’ailleurs il s’y rendait à chaque vacance scolaire pour vérifier que les travaux avançaient bien. Ce projet lui tenait à cœur, il y a placé beaucoup d’espoir et espérait rendre service aux jeunes enfants congolais. La construction aura pris deux ans. Lors de son dernier voyage, au printemps dernier, mon père y a amené des fournitures scolaires neuves. Je me sentais tellement fier de l’œuvre de mon père que je lui ai donné des romans, des livres de cours qui prenaient la poussière dans ma cave. Il était marrant de voir à quel point mon enthousiasme et mon euphorie tranchait avec son flegme et sa modestie habituels.
L’école a ouvert il y a maintenant un mois, et accueille cependant peu d’élèves. Mon père espère que l’établissement s’agrandira et pourra recevoir beaucoup plus d’élèves et de professeurs. Il souhaiterait doter l’école d’équipements informatique et numérique pour que les jeunes puissent avoir accès à internet. Il estime que cet outil pourrait faire découvrir à ces jeunes un monde dont ils n’avaient jamais pris conscience de l’étendue jusque-là, de comprendre la complexité de l’histoire. Ces jeunes sont susceptibles de changer l’avenir de ce pays, par le simple fait de se rendre à l’école chaque matin. Ce qui est sûr c’est que par la suite mon frère et moi devrons poursuivre ce qu’a débuté mon père, qui a fait tant de concessions pour nous. Il nous répète encore aujourd’hui que lorsqu’il ne pourra plus le faire, nous devrons d’une manière ou d’une autre venir en aide au Congo.
Félix MBENGA

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