L’effondrement de deux immeubles rue Aubagne à Marseille, qui a tué huit personnes, est cruellement venu rappeler l’urgence de loger décemment les plus démunis. Mais derrière les grands discours, il y a une politique du logement social qui ne semble plus s’attarder sur sa nature première : loger décemment et garantir, au moins a minima, une mixité sociale.

Depuis le début du quinquennat, deux lois majeures ont durement fragilisé le monde du logement social : la loi de finances, qui quadrille le budget de l’État, et la loi Elan (pour Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique) promulguée le 24 novembre dernier. Derrière cet acronyme ronflant, un texte qui attaque les bases du logement social. 

 En Seine-Saint-Denis, la majorité des logements sociaux datent de 1970. On a besoin de réhabiliter ces logements, on a besoin de construire et là on ne nous aide pas

Les conséquences de la loi de finances 2018 sur le logement social, c’est le directeur général de l’organisme HLM de Seine-Saint-Denis, Patrice Roques, qui en parle le mieux. Et pour cause : les bailleurs sociaux doivent désormais compenser la réduction des APL (1,5 milliard d’euros) en baissant les loyers de leurs locataires. Un puissant coup de rabot qui a conduit, entre autres mesures, à délester le budget de l’OPH 93 de 11,7 millions d’euros pour la seule année 2018. « Aujourd’hui, on doit reconduire certains travaux et revoir à la baisse la construction, la réhabilitation et l’entretien courant, explique Patrice Roques. En Seine-Saint-Denis, la majorité des logements sociaux datent de 1970. On a besoin de réhabiliter ces logements, on a besoin de construire et là on ne nous aide pas », déplore-t-il. Dans le 93, qui compte le plus fort taux de logements sociaux de France, « ce qu’on a cassé, c’est la dynamique de transformation de notre département,» estime-t-il.

La loi Elan, anti mixité sociale ?

Le deuxième coup de pioche est arrivé avec la loi Elan le 24 novembre. Le député communiste et ancien chargé de l’urbanisme à la maire de Saint-Denis, Stéphane Peu, qui a assisté aux derniers ajustements du texte, ne décolère pas : « C’est la plus grande remise en cause de la loi SRU ! [loi relative à la solidarité et au développement urbain, ndrl]». Une loi SRU, ou plutôt « un totem », qui lui tient à cœur car « fondamentalement juste et républicaine » : en imposant des quotas de logements sociaux d’au moins 25 % pour les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France), elle constitue l’outil le plus efficace pour garantir un semblant de mixité sociale.

Pur produit de l’ancien monde, Stéphane Peu tient à nous ramener en 2006 pour nous le faire comprendre. Cette année-là, l’Abbé Pierre a 93 ans et c’est en fauteuil roulant qu’il se déplace à l’Assemblée nationale pour dissuader les députés de toucher à la loi SRU. « Si je suis ici, c’est pour défendre l’honneur de la France (…) L’honneur, c’est quand le fort s’applique à aider à le moins fort, à aider le faible », avait-il lancé dans la salle des quatre colonnes.

Par plein de petites touches, la loi Elan sape les fondements de la loi SRU 

Et voilà qu’en 2018, « pour la première fois, la loi Elan remet en cause ce totem. Par plein de petites touches, elle sape les fondements de la loi SRU ». Certes, les amendes pour les villes dites carencées – celles qui rechignent à se doter de 25 % de HLM – seront toujours appliquées, mais les règles se sont adoucies. Exemples : les bailleurs sociaux seront poussés à augmenter la vente de logements sociaux mais les HLM vendus seront pendant 10 ans comptabilisés dans les quotas de la loi SRU, et ce même pour les communes carencées. La loi Elan repousse également l’objectif de « 25 % de logements sociaux en 2025 » à 2031.

De plus, les communes auront la possibilité de « mutualiser » leurs obligations en matière de taux de logements sociaux à l’échelle intercommunale. De telles dispositions ne vont évidemment pas encourager les élus qui ne veulent pas de HLM. Une démarche incompréhensible quand on sait que la Commission nationale SRU pointait, dans un rapport en 2017, la hausse de 68 % du nombre de communes carencées en logements sociaux.

Dans les quartiers populaires, on risque de voir émerger des copropriétés dégradées et des marchands de sommeil

Le troisième coup de pioche vient de la vente programmée de logements sociaux. La loi Elan poursuit en effet un objectif de 40 000 ventes par an, contre 8 810 en 2016. Si le gouvernement soutient que les locataires de HLM seront prioritaires en cas de cession, il ouvre aussi la vente en bloc aux acteurs privés. Pour le porte-parole du Droit au logement (DAL), Jean-Baptiste Eynaud, « C’est une absurdité de favoriser la vente des HLM ». Même si la loi Elan durcit les peines pour les marchands de sommeil, il estime que « dans les quartiers populaires, on risque de voir émerger des copropriétés dégradées et des marchands de sommeil ».

Stéphane Peu partage cette crainte : « Le grand risque c’est de se retrouver avec des gens peu scrupuleux qui vont découper ces logements et vendre à la découpe sans faire les travaux nécessaires. Ils vont seulement passer un coup de peinture et les gens relativement modestes qui aménageront vont vite se retrouver à vivre dans des conditions insalubres. » Une situation qui s’est déjà produite dans sa circonscription. À l’inverse, les logements sociaux les plus qualitatifs et les mieux situés pourraient être vendus à des acteurs privés au détriment des locataires qui verraient les loyers augmenter. 

Les HLM étaient la clef, la réponse à la crise du logement et ils ont fait le choix de libéraliser le logement social 

Le prix de vente de ces HLM sera principalement reversé aux organismes HLM. Un cercle vicieux pour Stéphane Peu car « la vente des logements sociaux est ainsi érigée en unique source de financement pour les organismes HLM, la vente devient de fait une obligation puisque c’est la seule ressource qui leur restera. »

Plus prosaïquement, on peut se demander pourquoi le gouvernement pousse les bailleurs sociaux à vendre des HLM alors que les demandes, rien qu’en Ile-de-France, tourne autour de 700 000 en 2017 ? Jean-Baptiste Eynaud y voit une « tentation ultra-libérale de libéralisation du parc immobilier des HLM » et il n’est pas le seul. Dans une interview à Libération, Arié Alimi, avocat spécialisé en immobilier, estime que le gouvernement s’attaque au modèle du logement social comme à « tout ce qui ne va pas dans le sens de l’économie de marché ». Stéphane Peu conclut, amer : « Face à une crise de la rareté et de la cherté du logement, les HLM étaient la clef, la réponse à la crise du logement et ils ont fait le choix de libéraliser le logement social. »

Un mouvement à contre-courant de nos voisins européens qui connaissent eux aussi une crise du logement. L’Allemagne a ainsi déployé un plan de 5,7 milliards d’euros sur quatre ans pour construire 1,5 millions de logements. Le Royaume-Uni a de son côté mis 2,26 milliards d’euros sur la table pour développer les « housing associations » (l’équivalent des bailleurs sociaux français). En cédant une partie du patrimoine des HLM et en limitant l’investissement public, le gouvernement choisit donc de laisser tomber le modèle du logement social à la française, qui avait su survivre aux retombées de la crise économique de 2008. Il laisse aussi tomber toutes celles et ceux qui en bénéficient ou qui pourraient en bénéficier.

Héléna BERKAOUI

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