« T’as de la chance on dirait une résidence », me dit-on depuis mon déménagement. Auparavant, pendant huit ans, j’ai vécu dans l’un de ces grands ensembles communément appelé Cités. A travers leurs bâtiments et leurs grands espaces elles sont comme des petites villes renfermées sur elles-mêmes. Il y a les tours et les barres, blanches, beiges, rouges ou roses. C’est un festival architectural, un immense labyrinthe pour les visiteurs mais un terrain de jeux pour les enfants des blocs.

Vivre dans une cité c’est comme se faire adopter par une nouvelle famille haute en couleurs. Dans mon immeuble, les canalisations répercutaient les disputes des papis portugais du 7ème. Si vous aviez la chance d’avoir un chien, vous pouviez accompagner la maitresse d‘Ophélie, un petit caniche blanc. En été ou en hiver, toujours en peignoir, elle promenait son chien à horaire fixe.

Un sentiment de chaleur et de générosité se dégageait du voisinage. A court de lait ? Il suffisait de traverser le palier et d‘aller sonner à la porte en face. C’était comme ça chez nous : emprunter, prêter, le tout sans un soupir.

Notre immeuble avait même une mascotte : Madame « Baby Girl ». Cette dame âgée du 8ème étage avait gagné ce surnom avec ses joues poudrées de rose, ses yeux d’un bleu océan, et son petit chien en tenue du dimanche. Rien à voir avec la vieille dame du rez-de-chaussée qui espionnait chacun de nos faits et gestes, dissimulée derrière son rideau.

Spontanément, les jeunes se retrouvaient en bas et improvisaient des tournois de foot. On se répartissait dans des équipes mixtes où filles et garçons, petits et grands jouaient jusque tard dans la chaleur des nuits d’été. En hiver on se réchauffait lors de grandes chasses à l’homme. Au top, tout le monde commençait à courir pour se cacher du « Chasseur ».

Bien sûr la vie n’était pas idyllique. Les conversations entre voisins tournaient aussi autour des incidents qui existaient malgré tout. Comme après cette nuit où les pompiers étaient intervenus dans chaque appartement pour empêcher les flammes nocives d’un feu de poubelle d’intoxiquer les gens dans leur sommeil. Cependant ma mère n’a pas décidé de déménager pour ses raisons d’insécurité mais pour nous permettre d’avoir un appartement plus grand.

Voilà maintenant trois ans que j‘habite dans un immeuble HLM beaucoup plus petit. A l’ombre des quatre étages, des rosiers aux fleurs blanches diffusent un doux parfum. Ma mère dispose de sa propre place dans un parking fermé. Cependant depuis peu une sorte de nostalgie s’est emparée de moi. La gardienne qui logeait dans une maisonnette juste en face de notre bâtiment semblait plutôt agréable et souriante. D’après elle cet immeuble pouvait allier la convivialité d’un ensemble à la sécurité et propreté d’une résidence privée.

Cependant avec le temps ce ne pas le sentiment que j‘ai, cet immeuble parait comme vide. Il est vrai que je m’y sens en sécurité, je n’ai peur de rien, pas même de rentrer tard le soir. Mais l’endroit est très froid, il y a très peu d’habitants, et ici les gens ne discutent pas. Seuls de simples formalités sont échangées, un « bonjour » un « au revoir » et c’est fini. On ne connait pas la moitié des habitants qui vivent ici, ni de nom ni de vue. Ici c’est comme ça,  la vie est très individualiste. Il me serait impossible de demander un service, cela ne se fait pas ici.

Il m’est arrivé une fois depuis trois ans d’oublier mes clefs. J’ai alors gentiment demandé à l’un de mes voisins de m’ouvrir, il m’a ouvert et une fois que j’avais atteint le palier il m’a rétorqué « c’est la dernière fois, sinon la prochaine fois vous verrez !!! ». Je me suis senti très mal et suis vite rentrée chez moi.

Le seul moment d’échange entre voisin consiste à se dire : «  Il faut aller voir la gardienne. Parce que moi j’en ai marre y a des voisins qui jettent mal leur poubelle. Ils font mal le tri ça va pas le faire ça ! » Il m’arrive parfois de regretter mon ancienne cité ou les gens prenaient le temps de se rencontrer et de se parler. Malgré tous ses défauts, se sont surtout ses qualités qui me sont restées  et qui me font repousser l’endroit froid ou je vie aujourd’hui.

Inès Hamici

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