Depuis plusieurs mois et encore plus avec les récents attentats, le gouvernement étudie la possibilité de fermer certaines mosquées, dans le viseur principalement, les lieux de culte salafistes.

Il fallait une réponse. Pour rassurer une population traumatisée par les attentats de Paris, le gouvernement a montré les muscles. Un vocabulaire guerrier employé à outrance, une communication à tout va et une action tous azimuts pour prouver à l’opinion que, oui, l’État prenait à bras le corps le fléau du terrorisme.
Résultat ? À peine plus d’une semaine après les attentats et la déclaration de l’état d’urgence, le gouvernement a réalisé et fièrement revendiqué 786 perquisitions et 150 assignations à résidence. Communiqués, déclarations publiques, saillies médiatiques : tout était bon pour participer à la surenchère de la réponse immédiate. De la construction d’un Guantanamo à la française à la fermeture de dizaines de lieux de culte en passant par la création d’un diplôme civique pour les imams, les hommes politiques ont rivalisé d’imagination pour montrer qu’eux aussi avaient leur mot à dire pour réformer l’islam. Une attitude regrettable, tant elle trahit, de la part des gouvernants, deux écueils regrettables : une méconnaissance profonde de la réalité de la religion musulmane, d’une part, et un électoralisme coupable d’autre part.
Lundi, la mosquée de la Fraternité, à Aubervilliers (93), était perquisitionnée à la tombée de la nuit par les policiers du renseignement. Plafonds détruits, livres religieux jetés au sol, portes cassées : l’opération valait au lieu de culte plusieurs milliers d’euros de réparations (que l’État a, depuis, promis de rembourser). De cette perquisition, les policiers n’ont rien tiré, ni document suspect, ni interpellation. La mosquée, elle, s’est retrouvée violemment pointée du doigt dans un contexte de lutte antiterroriste.
Depuis les attentats, l’action du gouvernement contre « l’islamisme » a donc visé, en grande partie, les mosquées françaises. Un choix qui trahit une méconnaissance terrible de la question de la part des plus hautes autorités de l’État. À Aubervilliers, la perquisition contre la mosquée de la Fraternité a surpris, tant il est connu que le lieu de culte est à mille lieues de l’idéologie djihadiste des partisans de l’EI. Plus globalement, qui peut croire que la radicalisation en France passe par les mosquées ?


Les travaux des chercheurs et la réalité de terrain l’ont prouvé : ce n’est pas dans les mosquées que des jeunes Français se sensibilisent aux thèses des partisans de l’EI. Quel lieu de culte en France ne condamne pas les attentats et le terrorisme ? Aucun, évidemment. Mais, face à la course indécente de la droite et de l’extrême droite à fermer et contrôler le plus de mosquées possible, la gauche ne pouvait rester insensible, à trois semaines des élections régionales.
Un mot-clé fut alors particulièrement prisé des discours politiques : le « salafisme ». En tête d’affiche des pourfendeurs du salafisme, Manuel Valls. « Les discours salafistes n’auront plus droit de cité en France », déclarait récemment le Premier ministre. Rebelote à l’Assemblée nationale. « Nous avons un ennemi, a-t-il poursuivi, et il faut le nommer : c’est l’islamisme radical. Et un des éléments de l’islamisme radical, c’est le salafisme. »
Ce postulat, partagé par l’ensemble de la classe politique et relayé par les médias, repose pourtant sur une confusion malheureuse. En France, les salafistes rejettent en bloc l’idéologie de l’État islamique, qui le lui rend bien par ailleurs. Plus globalement, tous les courants de l’islam français sont critiqués de toutes parts par les partisans de l’EI, qui n’y voient que traîtres et religieux laxistes.


D’ailleurs, les djihadistes français de l’EI sont fréquemment décrits comme n’ayant que très peu fréquenté les mosquées. Pour beaucoup, ils étaient très peu pratiquants jusqu’à quelques jours, semaines ou mois avant leur passage à l’acte. Nombreux sont également ceux qui étaient plus connus pour leur consommation d’alcool et de shit que pour leur dévotion et leur piété. Bref, contrairement à une idée véhiculée ces jours-ci, les musulmans pratiquants qui vivent en France ne sont pas par essence les djihadistes de demain.
« Les salafistes sont très critiques envers les djihadistes, ils les accusent de mélanger religion et politique », expliquait le chercheur Samir Amghar au Monde cette semaine. Les services de renseignement, qui surveillent depuis des années les quelques dizaines de lieux de culte salafistes sur le territoire, le savent pertinemment. Les pouvoirs publics, avides de solutions rapides et spectaculaires, avaient pourtant besoin de résultats probants.
« Aucune relation de causalité »
Une centaine d’individus se sont donc vus assignés à résidence ces derniers jours. Beaucoup d’entre eux étaient des musulmans très pratiquants, certains salafistes quiétistes. Suivis et fichés depuis des années, ils n’avaient jamais été inquiétés, au motif que leur pratique de la religion n’avait rien d’illégale. Pourtant, parce que celle-ci est « radicale » et que, disons-le, il fallait bien punir quelqu’un pour montrer aux yeux du peuple que le gouvernement agit, l’Etat a choisi de les sanctionner, sans procès ni enquête.
Quatre fois par jour, ceux-ci devront pointer au commissariat de leur ville, avec l’interdiction de s’en éloigner. Prison en plein air, l’assignation à résidence empêche évidemment toute perspective d’emploi, de formation et, in fine, de participation à la société. Pour justifier cette mise à l’index, les pouvoirs publics font de l’islam « rigoriste » (ou « radical », termes fourre-tout désignant peu ou prou tous ceux dont la pratique de l’islam est autre que celle prônée par le CFCM et Hassen Chalghoumi) une passerelle vers le djihadisme, sorte de centre de formation des idées pro-EI.
Une idée réfutée par les spécialistes. « Les observations de terrain montrent qu’il n’y a aucune relation de causalité », rappelait Samir Amghar dans Le Monde. Vendredi, dans les mosquées visées par l’État, les imams « rigoristes » ont, tous, condamné sans équivoque les attentats commis vendredi 13 novembre. Demain, pourtant, eux, leurs fidèles et les proches de ceux-ci se réveilleront peut-être avec une perquisition, une assignation à résidence ou une convocation au commissariat.
Cette offensive agressive du gouvernement contre l’islam pose deux problèmes majeurs. Celui, d’abord, du climat à l’égard de la religion musulmane du pays. Ces confusions savamment entretenues, cette stigmatisation déjà insupportable après moult reportages fourre-tout sur l’islam ne disparaîtront pas une fois l’état d’urgence levé. Ils marqueront, ils diviseront, ils opposeront bien au-delà. Le gouvernement aurait pu faire le choix de la pédagogie et de la mesure. La droite l’aurait probablement taxée de laxiste, l’opinion n’aurait peut-être pas compris tout de suite. Mais cela aurait été terriblement plus utile pour lutter contre la tentation pro-EI chez certains jeunes musulmans. Là encore, la gauche a privilégié au courage politique et aux valeurs le gain court-termiste et électoraliste d’une opération de communication de petite envergure. Elle le regrettera probablement dans quelques années.
L’autre problème a trait, directement, au rapport entre la France et l’islam. En faisant ces choix, le gouvernement tente-t-il d’imposer une manière unique de pratiquer l’islam ? Plus clairement, a-t-on le droit d’être musulman orthodoxe dans ce pays, de ne pas serrer la main à une femme, de se laisser pousser la barbe, de ne pas porter des jeans patte d’éléphant ? Longtemps, cette pratique de la religion musulmane a été mal perçue, mal vécue. Demain, ne sera-t-elle même plus tolérée ?
Ilyes Ramdani et Latifa Oulkhouir

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