Lundi soir, devant l’ambassade du Maroc à Paris, quelques 300 manifestants se sont rassemblés pour réclamer dignité et justice après la mort du jeune pêcheur Mohssine Fikri. Reportage.

Il n’est pas encore 19h, heure à laquelle était prévu le rassemblement, qu’ils sont déjà une centaine débordant sur la chaussée devant l’ambassade du Maroc à Paris, rue Le Tasse dans le très chic 16ème arrondissement parisien. La lumière de la tour Eiffel, toute proche, scintillante, éclaire presque le rassemblement. Tous réclament « liberté, justice et dignité » en mémoire de Mohssine Fikri un poissonnier de 31 ans, dont l’identité et l’histoire sont désormais connus partout au Maroc et au delà. L’homme, originaire du Rif, au nord du pays, est mort à Al Hoceima, broyé par la benne d’un camion-poubelle. Il tentait, dans un geste de désespoir, de récupérer le stock d’espadons, un poisson interdit à la pêche pendant cette saison, que venait de lui confisquer des officiers de police. La vidéo de sa mort atroce, largement diffusée sur les réseaux sociaux, a provoqué une vague de mobilisation dans plusieurs villes du Maroc. Le roi, Mohamed VI, a ordonné l’ouverture d’une enquête approfondie « pour que des poursuites soient engagées contre quiconque dont la responsabilité serait établie dans cet incident, avec une application rigoureuse de la loi à tous, pour servir d’exemple à toute personne qui aurait failli ou manqué à ses missions et responsabilités ».

« C’est le makhzen le problème »

Devant les grilles de l’ambassade du Maroc à Paris, les quelque 300 manifestants réunis entonnent, en marocain, des « Makhzen dehors » ou « Ecoutez les enfants du peuple« . Pour eux, la « hogra« , le mépris, ça suffit. Parmi eux, beaucoup de jeunes actifs ou étudiants venus travailler ou se former en France, comme Adnane H. , 27 ans, originaire de Fès, « une ville plutôt royaliste ». « Je suis venu ici pour que justice soit faite. Il y a un ras-le-bol. Ce n’est pas le premier cas. Au mois d’avril, une vendeuse de crêpes s’est immolée après qu’un policier lui a retiré sa marchandise. Pour ce qui s’est passé à Al Hoceima, j’espère que les résultats de l’enquête seront publics ». Quelques slogans très politiques sont scandés, certains appelant même à en finir avec la monarchie. « Il ne faut pas politiser l’affaire, rétorque Adnane. On demande juste la vérité ». Un peu plus loin, Mohammed L., 23 ans, partage ce point de vue. « C’est le makhzen le problème ». Le terme makhzen renvoie à l’administration, à l’appareil étatique marocain, à ses dysfonctionnements et à sa corruption. « Ce poissonnier a vu tout son capital, tout ce qu’il avait, partir sous ses yeux, il n’avait que ça. Il y a beaucoup d’inégalités et d’injustices au Maroc et j’ai fait l’effort de venir pour montrer qu’on est là et qu’on ne veut plus de ces inégalités. Il faut se lever pour lui. Ce qu’il faut, c’est créer des infrastructures pour ces marchands, pour qu’ils puissent vivre ». En face, sur le trottoir d’en face, 5 CRS sont présents.

L’histoire de Mohssine Fikri n’est pas sans rappeler celle de Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant tunisien, victime de la corruption et de la violence des autorités locales, mort le 4 janvier 2011 après s’être immolé. Son suicide avait été l’élément déclencheur d’une révolution qui a eu raison du régime de Ben Ali. Ce lundi soir à Paris, de nombreux Tunisiens se sont joints au rassemblement pour exprimer leur soutien. Les drapeaux tunisiens d’ailleurs sont nombreux, tout comme ceux de l’alliance de gauche tunisienne du Front populaire. Yamina Ben Ayed et Abdelwaheb Hammami en font partie. « A quelques détails près, il s’agit du même évènement qu’en Tunisie, explique Yamina Ben Ayed. Comme nous, les Marocains réclament dignité et justice sociale alors nous sommes ici par solidarité. Au delà de la vérité sur cette affaire, c’est la question du pouvoir au Maroc, de la corruption, de la fortune du roi alors que les Marocains sont très pauvres qui est fondamentale. Et puis, s’il y a un mouvement similaire au Maroc, cela nous renforce chez nous ». « Ce qui s’est passé est à l’image de ce pouvoir, un pouvoir qui se sent capable de tout faire », poursuit Abdelwaheb Hammami.

« Atteinte à la vie et à la dignité »

31 October 2016 - Protest against police violence and the death of Mohssin Fikri, a fisherman. Protesters gathered in front of the Moroccan embassy, Paris, France.

Ouadie El Hankouri le pointe du doigt aussi ce pouvoir. Président de la section parisienne de l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH), il fait partie des associations qui se sont joints à un groupe de citoyens pour appeler à ce rassemblement. La mort de Mohssine Fikri le touche personnellement : il est originaire du même village que Mohssine Fikri, Imzouren, à une quinzaine de kilomètres d’Al Hoceima. Aujourd’hui, il a même appris que le défunt était un cousin de sa belle-sœur. Pendant plus d’une heure, il a scandé ces fameux slogans repris par la foule. A la fin de la manifestation, ils sont nombreux à venir le saluer. Son discours est sans ambages. « Je n’ai pas confiance en la monarchie marocaine qui est le cœur du pouvoir autoritaire. La monarchie détient tous les pouvoirs. Nous souhaitons une modification de la constitution : plus de libertés, de démocratie, d’écoles, d’hôpitaux et une meilleure répartition des richesses ». Il tient à rappeler que le cas Mohssine Fikri n’est pas isolé. « Il rejoint tous ceux qui ont subi le même sort. On est là pour protester contre une atteinte à la vie et à la dignité ».

Tandis que le rassemblement prend fin, les CRS se sont faits plus nombreux : une dizaine désormais et deux camions stationnés.  En France, au Maroc ou sur les réseaux sociaux, nombreux sont les Marocains à avoir exprimer leur mécontentement, leur colère, leur rage. Beaucoup parmi les manifestants croisés ce lundi soir avaient filmé le rassemblement en direct sur Facebook. Par dessus tout, ils ont dit et crié leur besoin d’être entendus pour plus de dignité et de justice mais aussi pour connaître les circonstances exactes de la mort de Mohssine Fikri, celui que désormais tous considèrent comme un martyr.

Latifa OULKHOUIR

Crédit photo : June RODRIGO

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