Yousra est partie en maraude avec l’association La Rue Tourne et a rencontré Mourad, un SDF qui a installé son abri de fortune dans le Xème arrondissement de Paris…

Le rendez-vous est pris. 14h, au métro Strasbourg Saint-Denis. Je m’apprête à rencontrer Agy, membre de l’association la Rue Tourne et coordinatrice des maraudes, toujours souriante.  On arrive chez Mourad, près du Lidl, installé là, en tailleur, en train de parler à une passante le café en main.

Déconstruire les stéréotypes visant les personnes vivant dans la précarité est le rôle de La Rue Tourne. Leur travail est de mettre en lien les sans-abri et ceux dont la vie a souri plus rapidement. Le danger de l’exclusion, de la discrimination et de la solitude est commun à tous. À travers de nombreuses initiatives, collectes, maraudes, actions de sensibilisation dans des écoles, La Rue Tourne veut dépeindre la réalité du terrain. Leur engagement réel, que l’on mesure sans difficulté, avec l’un des bénéficiaires, fait la différence.

Courte présentation. Nous nous prenons une claque. « Tu sais pourquoi les Portugaises ont toutes des poils aux jambes ? Quand elles s’assoient, elles nettoient sous la table ». Des blagues, il en a plein son bonnet. On lui a même dit d’aller au Jamel Comedy Club. « J’aime rire. J’aime ça. J’aime la solidarité. Je peux me moquer de qui je veux tant qu’il n’y a pas de propos racistes ».

Nous continuons de parler du rire. « Le rire, c’est la meilleure des thérapies. Les coups partent mais les paroles restent. On essaye vraiment de me piquer à l’adrénaline de l’humour ! ». Nous ne pouvons qu’acquiescer.

Les chiens du quartier, les «  watous watous », sont ses amis. Il n’a pas de chien avec lui mais il est toujours bien entouré. Il avait trois chiens et un rat. L’un de ses chiens s’appelle Pikachu. En revanche, il ne cache pas sa détestation du le pigeon sauvage.

Son niveau d’étude : « little little little » : bac +2, informatique. Il a beaucoup de connaissances. Je suis étonnée par son savoir poussé. Quand je lui demande qu’est-ce qu’il l’intéresse : « La bouffe ». Il fait ses plats lui-même. Avec l’aide de son réseau de solidarité, il innove. Fait ses propres recettes. « T’as vu le dernier Star Wars. Il a battu tous les records ! Mais  comment ça se fait que ce n’est pas George Lucas qui le produit ? ». Il est au courant de tout.

Son territoire, il le surveille sans relâche. Vu qu’il maîtrise les arts martiaux, ça l’aide. Puis il nous donne une leçon de vie. «  Avant de respecter l’autre, qu’est-ce qu’il faut ? Il faut se respecter soi-même. C’est l’échange d’équivalence. Et il ne vaut mieux pas que je m’énerve ». Il le dit avec le sourire, sans peine. Il remarque cependant un comportement particulier : « Quand je n’aime pas, je n’aime pas. Tu vois un jour, l’une des caissières du Franprix donna tous les matins un euro, une cigarette et de quoi manger. Le remerciement c’était un doigt d’honneur… Je n’arrive pas à comprendre le manque de respect des gens qui dorment dehors ». Il raconte ses histoires, les histoires des autres et celle du quartier. Il occupe au mieux son temps entre ses blagues, ses amis à qui il fait tous les jours un « big up ». Il reste uniquement dans le Xème. Il ne peut pas bouger du quartier. « Je ne connais personne. C’est les gens qui me connaissent. Jean Michel, alias « Globo », me connait bien. Ça fait 7 ans. Je connais le terrain. Je les respecte » lance-t-il. Sa fille l’appelle tous les jours. Son autre fille de treize ans : « pas de téléphone, trop jeune ». Elle ne sort pas dehors toute seule. Ils habitent au Portugal. Round contrôle : c’est pour sa sécurité. Il reste un père avant tout.

Quand il ne parle pas avec les passants, il lit. Son œil gauche est malade. Il lit Charlemagne. 577 pages. « L’un de mes yeux a déclaré forfait. Il a pris l’avion et s’est barré. C’est ma faute aussi si je l’ai perdu. J’ai jeté un œil. Non, c’est à force d’avoir trop bu. Je ne bois pas d’alcool. Je m’alcoolise ».

Et quand il ne lit pas, il écoute Skyrock, sa radio colocataire, qu’il retrouve après une longue recherche dans sa caverne. Il écoute aussi Rire et chansons. « J’ai tout mon patelin à sécuriser. Après je me sécurise moi-même ».

Le soir du Réveillon, il doit se déplacer à 15 mètres. Il se fiche pas mal de cette fête, mais il ne dormira pas. Il n’a pas le choix. En fin d’année, lors de la saison des fêtes, il confie : « Moi je dis plutôt ‘passe une bonne journée’, ‘une bonne soirée’ et ‘une bonne nuit’. Et puis les anniversaires, ça fait grandir d’un an ce truc ! Je n’aime pas les fêtes. Pourquoi faire des cadeaux pour les anniversaires ? C’est idiot. Pourquoi ne pas faire ça toute l’année ?» Il a 49 ans… Et non 11 ans comme il le prétend.

Il vanne les passants : « Oh Gilbert Montagnier ! J’aime rire et personne m’enlèvera ça, c’est impossible. Jamais je ne  passerai pour une victime. Je respecte les gens. Il me semble que le respect va à double sens ». Il s’arrête : «  Oulala mademoiselle vous avez perdu votre sourire. Il faut aller le récupérer !… Mes conneries ». Agy reçoit un appel et il l’a perturbe. «  Oui, allo, affirmatif, jet reçois, j’envoie le drone ».

Je voyage dans son passé. « Depuis le décès de mon épouse en 2005, y’a dix ans, je suis dans la rue. Un mec l’a explosée avec son camion. Il n’a pris que onze ans de prison. Il aurait dû prendre perpète d’entrée. Elle était médecin urgentiste, Isabelle… Je me suis ruiné pour sa mémoire. Je l’aime encore éperdument et personne n’enlèvera l’amour que j’ai pour elle. Je m’appelle Mourad, elle s’appelait Isabelle. Roméo et Juliette. Ça m’a coûté de l’argent pour le mariage ! Mais elle le méritait. Et j’ai tout vendu pour l’enterrer dignement en Algérie. J’ai tout vendu. Sauf la voiture qu’elle m’a offerte. Je l’ai offerte à mon fils. C’était elle ma préoccupation ».

C’est donc dans le rire et la bonne humeur que Mourad se trouve là, au pied de la bâtisse, tout plein de blagues farfelues et d’histoires surprenantes. Une dernière blague pour la route : « Ça m’énerve les gens qui disent ‘à demain’. N’oublie pas tes deux pieds parce que tu auras du mal à me voir ».

Yousra Gouja

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