Ce lundi 15 mai, le footballeur Moussa Sissoko est allé à la rencontre de jeunes entrepreneurs issus de quartiers populaires, formés par l’association Les Déterminés. À la fin de cette rencontre organisée à La Défense, l’international français nous a accordé quelques minutes pour un entretien. Au programme : son rapport avec Aulnay-sous-Bois dont il est originaire, l’affaire Théo et la montée du Front national en France.

Bondy Blog : Dans les quartiers, notamment à Aulnay-sous-Bois d’où vous êtes originaire, vous êtes considéré comme un modèle de réussite. Qu’est-ce que vous répondez aux jeunes qui viennent vous voir en vous disant « Je veux devenir footballeur » ?

Moussa Sissoko : Avant tout, je leur parle de respect, de la relation qu’on a avec ses parents, ses proches. Et puis, je leur dis “Battez-vous !” pour mettre toutes les chances de leur côté. Avant de devenir footballeur, il faut devenir un homme ou une femme avec des valeurs. Et après, je suis franc avec eux, je leur dis que c’est difficile. Je leur répète souvent qu’il faut avoir quelque chose à côté, grâce à l’école. On n’est jamais à l’abri d’un échec, d’une blessure…

Je parle beaucoup de l’école parce que, c’est pour moi, un moyen de s’affirmer, de savoir qui on est, de s’émanciper. Moi, au niveau de l’école, je n’étais pas un modèle mais j’ai toujours été sérieux, j’ai essayé de faire de mon mieux. L’école, c’est primordial. On n’est à l’abri de rien. On se doit d’y prêter attention.

Bondy Blog : Être issu d’un quartier populaire, est-ce que ça vous a apporté un plus ?

Oui, bien sûr, ça m’a servi. Je sais que les quartiers ont toujours été associés à la délinquance, ils souvent stigmatisés. Mais moi, venir d’un quartier difficile, ça m’a donné encore plus la dalle. J’ai toujours su que je devais me surpasser pour sortir de la galère. Je voulais avoir une vie plus aisée, mettre mes parents à l’abri. Quand tu viens d’une cité, tu es en bas de l’échelle et tu veux arriver tout en haut. C’est quelque chose qui te pousse, forcément.

Moussa Sissoko face aux reporers du Bondy Blog, à La Défense.

Bondy Blog : Quel contact gardez-vous avec votre quartier d’origine, à Aulnay-sous-Bois ?

C’est simple : dès que j’ai deux jours “off”, je rentre à Aulnay-sous-Bois. Je vais voir ma famille, je passe leur dire bonjour. Ensuite, je descends voir mes amis. On va au grec, on va au restaurant, on fait des sorties, on va marcher sur les Champs-Élysées… Dernièrement, on a organisé un petit week-end à Barcelone avec mes potes. Je suis encore de près mon ancien club, aussi. Par exemple, je soutiens l’équipe première de l’Espérance aulnaysienne qui joue la montée ! Je sais aussi que beaucoup de choses sont organisées, structurées, au club pour accompagner les jeunes. Ce sont des choses qui me font kiffer.

Bondy Blog : Pourquoi est-ce important pour vous de garder ce lien avec Aulnay-sous-Bois ?

Ça me donne de la force. Je vois mes amis d’enfance. Je n’ai pas vraiment le droit mais ça m’arrive de taper le ballon avec eux. Et parfois, je prends plus de plaisir à jouer avec mes amis d’enfance (rires) ! Ça me rappelle mon enfance. Que tu gagnes 10-0 ou que tu perdes 10-0, ça n’a pas de conséquence. Tu joues pour rigoler, pour le plaisir. Quand je joue pour mon boulot, l’enjeu est énorme : il y a les points, le classement, la pression des supporters… Au quartier, je peux tout dire, je suis vraiment moi-même. C’est chez moi que je suis bien.

Bondy Blog : À Aulnay-sous-Bois, justement, votre papa joue un rôle social majeur auprès des plus jeunes, comme beaucoup de vos amis…

Aulnay, c’est une grande famille. La mère de mon voisin me considère comme son fils ; ma mère le considère comme son fils. Si j’ai un problème, je peux aller manger là-bas, la porte est ouverte. On est tous ensemble. Cette fraternité, ça vaut tout l’or du monde. Avec 10 euros, on peut acheter un petit truc et kiffer ensemble ! C’est pour ça que j’aime y retourner. Au quartier, tu n’as pas besoin d’avoir de voiture de luxe ou de grande maison pour être heureux.

Bondy Blog : L’argent, justement, c’est un des paramètres à gérer dans la carrière d’un footballeur. Est-ce que ça a déjà été un problème pour vous ?

Dieu merci, je n’ai jamais eu de difficulté à gérer cette question. Je n’ai pas la folie des grandeurs. Je pense être toujours resté assez simple. Ça m’est arrivé d’acheter une grosse voiture ou des habits de marque, mais j’essaie de ne jamais être dans l’excès, dans la flambe. J’achète ce dont j’ai besoin et ça me suffit. Je pense que c’est ça qui fait que les gens n’ont pas changé avec moi et m’apprécient toujours. Je suis devenu pro, ma vie a changé, je suis médiatisé, c’est vrai mais, au fond de moi, je suis resté le même et mes proches le savent. Par exemple, j’ai voulu faire déménager mes parents pour leur donner un peu plus d’espace, un peu plus de confort. Mais ils sont toujours à Aulnay-sous-Bois. Toute ma famille se sent bien à Aulnay et mes parents ne voulaient pas quitter cette ville. Ils vont toujours au marché, ils ont toujours les mêmes amis…  C’est important de garder des repères.

L’international français, Moussa Sissoko, à La Défense.

Bondy Blog : Qu’est-ce que vous a inspiré l’affaire Théo ?

Ça m’a beaucoup touché, beaucoup peiné. J’ai appris ce qui était arrivé à Théo par une de mes soeurs. Elle était à l’école avec Théo, elle a le même âge que lui. J’ai vu sur Snapchat qu’elle était à l’hôpital avec lui et je lui ai demandé ce qu’il se passait. Je connais Théo et toute sa famille, j’ai joué au foot avec son grand frère, il est de la même génération que moi. J’ai été choqué par ce qu’il s’est passé, c’est quelque chose de grave. Ce qui a pu être dit sur le petit m’a aussi étonné. Ce n’est pas du tout quelqu’un de violent, c’est un jeune tranquille qui ne cherche pas les problèmes, qui n’a jamais eu de souci. Maintenant, il faut laisser la justice faire son travail. En tout cas, tout ce qui s’est passé, ça a fait des gros dégâts. Il y a beaucoup de soucis à Aulnay avec la police, beaucoup de blessés… Ce n’est pas cette image-là d’Aulnay qu’on veut donner. J’espère que tout finira par s’apaiser.

Bondy Blog : En France plus de 10 millions de personnes ont voté pour le Front National lors de l’élection présidentielle. Vous qui vivez à Londres, comment percevez-vous cette montée du FN ?

J’ai eu la chance de ne pas subir le racisme dans ma vie. Mais je sens qu’il y a, en Angleterre, une relation différente aux étrangers, à la différence. J’ai l’impression qu’en Angleterre, les étrangers se sentent beaucoup plus libres et considérés qu’en France. Là-bas, on voit par exemple beaucoup de femmes voilées travailler dans des magasins de luxe, et ça ne choque personne. En France, ce sont encore des choses qui sont impossibles. Ici, il faut faire attention à ceci, à cela, à sa tenue…

Bondy Blog : Une dernière question sur l’équipe de France : pensez-vous que Didier Deschamps doit rappeler Karim Benzema chez les Bleus ?

Oh, ça… (rires). En tant que fan de football, je suis obligé de dire que Karim Benzema est un très grand joueur, un des meilleurs attaquants du monde. Mais quand le sélectionneur ne le prend pas, il a ses raisons et je ne cherche pas à m’en mêler. Il sait où il va. Moi, je me contente de souhaiter à Karim le meilleur au Real Madrid… et peut-être en équipe de France. L’équipe de France, c’est quelque chose d’énorme. On vit des moments fantastiques là-bas.

Propos recueillis par Kozi PASTAKIA et Ilyes RAMDANI

Crédit photo : Meritxell CORTES

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