Un hommage à un adolescent en plein Paris. Autour des bougies allumées en sa mémoire et des quelques fleurs déposées, aucun membre de sa famille n’a pu faire le déplacement. Il y a bien un grand frère, coincé en Serbie disent certains, mais sa famille est au pays, à 8 000 kilomètres d’ici.

Ce mercredi 21 mars vers 18 heures, ils sont une centaine à quelques mètres du parvis de l’Hôtel de Ville de Paris pour rendre un dernier hommage à Nour : des anonymes, des amis, des militants, des membres d’associations et d’ONG comme la Ligue des Droits de l’Homme, le Gisti (Groupement d’information et de soutien des immigrées) ou le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), des collectifs d’aide aux réfugiés et aux sans abris, des militants syndicaux, quelques élus aussi, et des jeunes exilés comme lui. Lui, s’appelait Malik Nurulain Khan, surnommé Nour. Il avait 17 ans. Le jeune Pakistanais s’est suicidé, retrouvé noyé dans la Seine, le 14 février 2018. Dans le froid de l’hiver, tous sont venus dire leur colère et leur chagrin, leur désarroi aussi. Des photos de Nour ont été accrochées au mur de l’immeuble situé en face de la mairie, des tracts distribués retracent les treize mois que Nour a passés dans la capitale.  

Protection de l’enfance défaillante

Le rassemblement est calme et digne, le cordon de sécurité déployé par la préfecture de police est, lui, assez impressionnant au vu de la petite foule. Il y a là des policiers et une dizaine de camions de CRS. Objectif du rassemblement : attirer l’attention sur la situation des exilés mineurs et isolés que les autorités doivent légalement protéger par le biais de l’Aide sociale à l’enfance, gérée par les départements. « Protection de l’enfance défaillante », peut-on lire sur l’une des banderoles tendues. « Nous dénonçons l’inaction de l’Aide sociale à l’enfance de Paris« . Tous pointent du doigt celle qu’on appelle dans le jargon, l’ASE, dans la cause de la disparition de Nour.

Nour avait fui son pays le Pakistan où il subissait des tortures, selon les informations relayées par le Gisti. Arrivé à Paris en décembre 2016 pour trouver refuge, il était sous la responsabilité de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et bénéficiait depuis peu, selon le Gisti, de la protection subsidiaire accordée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Le Gisti réfléchit à une plainte pour non assistance à personne en danger

Selon le Gisti, l’adolescent était livré à lui-même dans l’hôtel où il était hébergé depuis cinq mois sans encadrement et en grande détresse. Selon un communiqué du groupe, « Nour avait déjà été pris en charge à deux reprises en hôpital psychiatrique avant que l’Aide sociale à l’enfance ne décide de le mettre à l’hôtel faute de place adaptée en foyer ». Quelques mois après son placement à l’hôtel, « il est sauvé d’une première tentative de suicide dans la Seine et pris en charge pour la troisième fois en hôpital psychiatrique. À sa sortie, il est à nouveau relogé à l’hôtel, seul face à ses traumatismes. Son corps inerte est repêché sept jours après sa sortie de l’hôpital ». Le Gisti accuse l’Aide sociale à l’enfance de l’avoir « maintenu à l’hôtel, dans un environnement manifestement inadapté pour assurer sa protection et ce, malgré les risques avérés de suicide et les signalements répétés de l’entourage » et dénonce « l’inaction de l’Aide sociale à l’enfance de Paris qui relève d’une situation manifeste de non assistance à personne en danger (…) L’ASE a failli à son obligation de protection ».

Selon le Gisti, « le signalement de la disparition à la Brigade des mineurs ne sera fait que douze jours après sa sortie de l’hôpital et au moment du signalement de sa disparition par l’Aide sociale à l’enfance, il était déjà mort depuis cinq jours ». Le Gisti nous indique qu’il réfléchit à une plainte pour non assistance à personne en danger.

Interrogée, la Mairie de Paris n’a pas souhaité nous faire part des éléments en sa possession quant au parcours de Nour indiquant « que la plupart des éléments relatifs à sa prise en charge amènent à évoquer son parcours de soin protégé par le secret médical ». Elle indique toutefois que « toutes les étapes de prise en charge ont été validées ou demandées par des professionnels de santé ». 

La mort de Nour doit interpeller tout le monde

« C’était un garçon très fragile mais très combatif. Il avait envie de s’en sortir. Il était scolarisé dans un lycée du 18e arrondissement. C’était un garçon qui souffrait énormément de tout ce qui l’avait vécu. Il était, malgré lui, rattrapé par ses traumatismes, avait besoin d’être entouré, d’être accompagné, se rappelle Pauline Mouton, bénévole à Emmaüs, qui l’a rencontré et suivi. Nour était toujours en demande, nous appelait « ses amis », ne supportait pas d’être seul. Imaginez la solitude de rester plusieurs mois dans une hôtel pour un jeune garçon et de se confronter à tout ce qu’il a vécu. Une première tentative de suicide était un appel à l’aide. Il avait envie de vivre. C’est ça que nous dénonçons », ajoute-t-elle, les larmes aux yeux.

Les manifestants se sont recueillis devant cette plaque symbolique de marbre blanc installée en hommage à Malik Nurulain Khan

Alice*, 21 ans, est étudiante pour devenir éducatrice spécialisée. Dans ses mains, quelques bougies. Stagiaire dans un foyer de jeunes majeurs isolés, elle regrette l’absence de volonté de la part des autorités d’accompagner ces jeunes. « On ne se projette pas dans leur futur. Dans les prochaines années, on aura une grande vague de migrations venue d’Afrique ou du Moyen Orient. Il serait important de mettre en place des structures pour les accueillir dignement, pour éviter d’avoir à faire face à ce que Nour a connu. Cela ne donne vraiment pas une belle image de notre pays en Europe et partout dans le monde ». 

« La mort de Nour doit interpeller tout le monde », s’indigne Paul, 27 ans, salarié de l’insertion. Les migrants et les réfugiés ne sont pas seulement des nombres, ils doivent être accueillis. Il faut leur donner des conditions de vie dignes, humaines ». Parmi les manifestants, quelques politiques avec leurs écharpes d’élus comme Danièle Obono, députée de la France Insoumise. « Je suis venue en tant qu’être humain, en tant qu’élue touchée par l’histoire de Nour. Et responsable de ce qui se passe parce que c’est malheureusement le produit d’une politique ou d’un manque de politique qui a amené ce jeune isolé à faire face à toutes ces souffrances. C’est cette responsabilité politique qui m’a amenée ici pour lui rendre hommage. Il faut exiger que justice soit faite ».

Il est 19 heures quand tous les manifestants se figent pour une minute de silence à la mémoire de Nour. Peu à peu, le silence du recueillement se dissipe. Selon Pauline Mouton, le corps de l’adolescent a été rapatrié la semaine dernière au Pakistan, aux frais des associations et à la demande de sa famille.

Kab NIANG avec Nassira El Moaddem

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