Paris. Ses monuments sublimes, ses cafés mythiques, ses façades chics. Le monde entier en rêve. Les Parisiennes sont des icônes, des muses pour les artistes, des modèles pour les jeunes filles. De l’autre côté du périphérique, cet autre Paris qui n’est plus Paris et que les touristes ignorent ou font mine d’ignorer : la banlieue. Paris, banlieue, des mots, des univers qui vont très mal ensemble. Pour les « banlieusards » qui, comme moi, fréquentent un établissement scolaire à Paris mais vivent en banlieue, ce partage territorial et mental n’est pas chose facile. On ne sait jamais quelle attitude adopter. Alors, constamment, on joue à « être », on compose. On a recours à deux masques. Le masque parisien et le masque banlieusard.

Parce que ces deux milieux ne se côtoient pas, mais aussi parce qu’ils se méprisent, profondément m’a-t-il semblé, en raison, principalement, d’une accumulation de préjugés. A Paris, je suis Doria, étudiante en lettres à la Sorbonne, fille gâtée du côté de mon père, vu que je suis sa seule fille, née à Paris et aujourd’hui âgée de 18 ans. Je bois des chocolats chauds dans le Marais, en terrasse, et j’affiche cet air snob et arrogant dont les Parisiens ont fait leur marque de fabrique.

En banlieue, je suis Doria, ex-élève dans le lycée délabré du coin, habitante dans une banlieue, celle qui à osé mettre un perfecto en seconde. Alors que c’est trop rock et qu’on écoute « que du rap », ici. Je ne suis pas la seule à adopter la stratégie dite du « caméléon ». On n’a pas le choix. Enfin, si, on peut assumer. Mais le regard n’est jamais le même. En banlieue, on m’a déjà dit que je reniais mes origines, que je n’étais qu’une fille beaucoup trop ambitieuse pour sa condition. Que j’étais une vendue. Je ne suis vendue à personne, puisque je n’ai pas eu à choisir. Je dors en banlieue et passe ma journée à Paris. C’est un juste milieu. Certaines de mes copines choisissent de mentir sur leur lieu de résidence lorsqu’elles font la connaissance de Parisiens. Parce que faire partie de la banlieue, c’est la lose. C’est : ne pas avoir d’argent, vivre dans le Bronx, dans une famille nombreuse.

En banlieue, traîner avec des Parisiens, c’est traîner avec des « Jean-Charles », ou encore des « bolosses » (benêts). J’ai commis l’erreur une fois de tomber le masque. De dire à une « Parisienne » d’où je venais. Elle a ouvert la bouche comme un poisson, a essayé d’écarquiller au maximum ses yeux, dont l’un était apparemment victime de strabisme. Très comique, comme vision. Puis elle à sifflé entre ses dents : « Putain, je n’aime pas les banlieusards. » Susceptible, je ne savais pas trop comment prendre sa réaction. J’ai été diplomate, j’ai souri. Me suis-je écrasée ? C’est possible.

En banlieue, un jour, j’ai parlé de la burqa avec une fille. Je me suis sentie comme étrangère, voire méprisée. La question était beaucoup trop délicate à mes yeux, pour que je puisse donner un avis tranché. Mais pour mon interlocutrice, en tant que banlieusarde et arabe, il n’était pas normal que je ne défende pas le droit de porter la burqa, ou plutôt le niqab, pire encore, que je ne me prononce clairement pas sur ce sujet. Bien sûr, tous les Parisiens ne sont pas méprisants et arrogants. Pareil pour les banlieusards, ils ne sont pas tous obtus. Il n’en demeure pas moins que je connais un grand nombre de personnes qui, tout comme moi, se sentent obligées de travestir leur personnalité selon selon l’endroit et l’interlocuteur.

Si mes copines banlieusardes mentent sur leur lieu de résidence, c’est par prudence. Elles pensent, et peut-être pas à tort, que « traîner avec des Parisiens », des gens qui possèdent des réseaux, est le meilleur moyen de gravir les échelons. De monter d’un niveau. Quitter la cité est souvent une priorité. Leur but est souvent à double sens. Elles veulent montrer que ce n’est pas parce qu’on vient de banlieue qu’on ne peut pas réussir. Mais aussi, que ce n’est pas parce qu’on s’affiche avec des Parisiens qu’on est des « bolosses ». Pourquoi faudrait-il choisir ?

Doria Attia

Paru le 2 mai

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