Pas de carte bleue, pas d’emmerdes : telle est la devise de certains habitants de banlieue. L’angoisse du découvert, ils ne connaissent pas. Ils ne vivent plus dans la spirale infernale des prélèvements rejetés (loyer, téléphone, EDF…), des frais de tenue de compte, etc. Les appels du banquier tous les quatre matins pour leur fourguer des placements plus que douteux, non plus. Les crédits revolving, itou. La banque, c’est comme une relation amoureuse : loin des yeux, loin du cœur.

Manu, 37 ans : « L’avantage de ne pas avoir un compte bancaire, je le répète tout le temps à ma compagne, c’est que quand tu n’as pas d’argent, eh bien, tu n’achètes pas. Ça va faire plus de trois ans que je n’ai plus de carte bleue et tout le tralala, on s’habitue à tout. Et c’est très bien ainsi. »

La carte bleue ne fait plus partie de la vie de Manu depuis qu’un litige l’a opposé à son banquier : « J’étais à découvert, et j’ai dû le combler dare-dare. En plus de me coller des agios et des frais, qu’est-ce qu’il a fait, cet imbécile ? Il m’a désactivé ma carte bleue, sans m’avertir. Or à ce moment-là, j’étais en déplacement. Je me suis retrouvé loin de chez moi sans aucun moyen de paiement. J’ai vécu pendant 24 heures comme un SDF. Un traumatisme. Je me suis dit : plus jamais. J’ai fermé mes comptes. Toutefois, je suis parti à la Poste pour y ouvrir un Livret A. J’y suis obligé pour percevoir mon salaire. »

Pour Cherifa, 28 ans, c’est une autre histoire. Son smic ne survit pas deux jours sur son compte bancaire. Au troisième jour, elle entame déjà son découvert : « C’est clair, je n’ai pas d’oursin dans mon porte-monnaie. Et quand j’avais ma carte Gold, elle chauffait tout le temps. A force d’être constamment dans le rouge, je me suis retrouvée interdite bancaire. » Elle était pareille à une junkie : « J’étais comme une folle, une vraie accro. J’ai pleuré devant mon banquier pour qu’il me rende ma carte. Mais rien n’y a fait. Il ma dit qu’il n’était pas là pour faire du social et que j’étais une insouciante. C’était très dur. »

En revanche, pour Ismaël, 31 ans, c’est une question de principe : « Je ne supporte pas que la banque me facture des frais alors qu’elle utilise déjà mon argent. Ils doivent s’estimer heureux de vivre de mon pécule. » 

Dans un pays où avoir une carte bleue est une question de survie pour la plupart des gens, comment font ces résistants pour ne plus y avoir recours ? Pour Manu, c’est simple : « L’employeur verse une partie du salaire en espèces et l’autre en chèque. Je fais ça car il faut un minimum de 15 jours pour avoir l’argent sur son livret A après l’encaissement du chèque. Et si j’ai besoin de faire un gros achat, la Poste me délivre un chèque pré-rempli avec la somme, après les vérifications d’usages. Pour l’EDF, il faut s’adresser à une agence d’encaissement », dit-il, tout sourire.

Ismaël, lui, ne sourit pas du tout : « Au bled (Algérie), pour payer une voiture neuve, les gens payent en cash, ils vont mettre dans des vieux sacs poubelle l’équivalent de 17 000 euros en billets. Les gens là-bas n’ont pas encore le réflexe bancaire, les salaires en général, c’est par chèque qu’on les encaisse tout de suite au guichet. En France, tu épargnes à la banque, la banque en dispose pour se faire des profits sur ton dos et tu n’as même pas un accès rapide a ton argent.

» De plus, poursuit Ismaël, ils veulent tout automatiser avec leur DAB (distributeurs) à deux balles. Maintenant, je fais tout pour ne pas avoir de contact avec la banque, je n’ai pas de chéquier, ni de carte bleue. Si je suis vraiment contraint, je file le cash à un pote et il me fait l’achat avec sa carte bleue. J’évite au maximum tout ce qui est prélèvement. Car quand les problèmes commencent, ce n’est plus un cercle vicieux, c’est un cercle d’incompétents, pour ne pas dire de boulets. »

Retour à notre ex-addict de la carte Gold, Cherifa : « Quand j’étais en situation d’interdit bancaire, c’était l’horreur. Il fallait aller à la banque chaque semaine pour retirer son cash. En cas de dépense imprévue, même manège. Ça dépend aussi pas mal de l’endroit où tu habites, parce que les horaires d’ouverture, ce n’est pas évident. Et puis, ils n’ont jamais de liquide, ils te dirigent vers un DAB pour retirer tes billets. Et moi qui adore le shopping, le cash, ce n’est pas toujours apprécié des commerçants, surtout quand tu fais un gros achat. Certes, ils n’ont pas le droit de refuser des paiements en liquide, je crois, mais au-delà d’une certaine somme, t’as tous les regards qui se tournent vers toi. »

Cherifa a quand même fait une entorse à ses principes. Elle n’a plus la Gold, mais elle a pris la Visa Electron. Elle n’a pas pu s’en empêcher. « Au début, j’avais honte d’utiliser cette carte. T’attends une plombe aux caisses avec cette peur au ventre que le paiement ne passe pas. Mais à la longue, l’Electron, c’est une bonne chose pour moi. Plus de risques de découverts. Je m’en sors mieux maintenant, quoique parfois, les tentations, c’est comme les pellicules, même si tu ne les vois pas elles sont toujours là. »

Nicolas Fassouli

Nicolas Fassouli

Articles liés

  • Jeux Olympiques, Grand Paris : sur les chantiers, « les profits avant les vies »

    Précarité du travail, négligence de la formation, recours massif à une main d’œuvre sous-traitante ou intérimaire… Sur les chantiers du Grand Paris et des Jeux Olympiques, l’organisation du travail met en danger les ouvriers. À l’approche des JO, les cadences s’accélèrent et avec elles les risques encourus par les travailleurs. Matthieu Lépine, auteur de L’hécatombe invisible, revient pour le Bondy Blog sur les conditions de travail sur ces chantiers.

    Par Névil Gagnepain
    Le 25/05/2023
  • Langue(s) et origine(s) : « Le Lingala et moi »

    Pourquoi en France un certain nombre de parents n'ont pas ou peu transmis leur langue maternelle à leurs enfants ? Pour tenter de répondre à cette question, nos blogueuses et nos blogueurs explorent leur histoire familiale. Hadrien nous parle, ici, de son rapport au Lingala.

    Par Hadrien Akanati-Urbanet
    Le 24/05/2023
  • À Saint-Denis, le lycée Paul Éluard prend l’eau

    Fuites d’eau, plafond qui s’écroule… Au lycée Paul Éluard à Saint-Denis, les enseignants se mobilisent pour alerter sur le délabrement de leur établissement. Lundi 22 mai, une réunion s’est tenue entre la direction de l’établissement et des membres du conseil régional. Reportage.

    Par Aissata Soumare
    Le 23/05/2023