C’est l’histoire d’un crime sordide, qui en rappelle malheureusement d’autres. D’une relation abusive qui répète des schémas désormais documentés. Johanna Lazzari, malentendante, était en couple avec Jérôme C., sourd. Deux enfants, un pavillon à Saint-Germain-lès-Arpajon dans l’Essonne, et une vie s’arrête à 29 ans pour Johanna. Brûlée vive le 28 juillet 2016, alors qu’elle lui avait annoncé leur séparation.

Cette histoire c’est également l’histoire de ceux qui restent. D’une sœur qui envoie des SMS groupés pour prévenir la presse « parce que je ne veux pas que Johanna soit oubliée« , argue Mélanie Kruth-Lazzari, soeur de la victime.

Que l’on arrête de nous dire que les sourds sont inadaptés.

Lors du procès en appel, à la Cour d’Assise de l’Essonne, quatre interprètes en langue des signes se relaient pour rendre accessible les témoignages. La Cour s’est parée de masques inclusifs, et un échange en guise de démonstration survient entre l’avocat des Parties Civiles et le père de Johanna : en français, en alsacien, et même quelques mots d’allemand. « Que l’on arrête de nous dire que les sourds sont inadaptés« , tranche ainsi Me Bettcher, avocat des parties civiles. On ajouterait : que l’on arrête de dire que l’accessibilité est dur à mettre en place.

73ème femme à périr des mains de son compagnon en 2016, Johanna Lazzari est décédée au terme d’une agonie de 17 jours après que son conjoint l’ait brulée vive le 28 juillet 2016 dans leur pavillon à Saint-Germain-lès-Arpajon. En première instance, ce dernier a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle pour homicide volontaire sur conjoint – une circonstance aggravante passible de la perpétuité. Le 21 septembre 2021, il a une nouvelle fois été condamné à 30 ans de prison suivis d’une obligation de soin. Il a également été déchu de son autorité parentale sur ses deux enfants.

Un procès qui n’a pas été celui de la surdité

En juillet 2019, Jérôme C., sourd profond, avait fait appel du premier verdict. Ce second procès, qui s’est déroulé au Palais de Justice de Melun du 13 au 21 septembre 2021, n’a finalement pas été celui de la surdité comme désiré par la Défense, qui s’est efforcé malgré tout de dresser un portrait plus nuancé d’un accusé à l’enfance difficile, jadis aide-soignant, aujourd’hui auxiliaire de vie en prison auprès des détenus âgés.

Venus d’Alsace où ils résident, les membres de la famille de Johanna Lazzari, eux, espéraient des aveux en bonne et due forme de la part de celui qui, lors du premier procès, avait exposé la thèse d’un départ de feu involontaire.

Le cadet des enfants du couple, à présent âgé de bientôt onze ans, était le seul absent, sous les conseils du psychiatre qui le suit chaque semaine depuis le drame. « C’est comme une griffure sur laquelle on continue d’appuyer selon lui« , rapporte Mélanie Kruth-Lazzari, tutrice de ses neveux et nièces.

Il a eu un choc en revoyant son père. On ne veut pas qu’il rechute alors qu’il commence tout juste à aller mieux

Le procès en appel qui devait originellement avoir lieu en mai 2020 a été reporté faute de masques transparents dits « inclusifs » permettant aux différentes parties de lire sur les lèvres. La famille Lazzari avait à l’époque fait le déplacement au complet. « Il a eu un choc en revoyant son père. On ne veut pas qu’il rechute alors qu’il commence tout juste à aller mieux« , admet la tante Mélanie, également malentendante comme l’était sa sœur Johanna.

Franck, frère de la victime, a tout de même transmis une requête du petit garçon à la Cour ainsi qu’à l’accusé : « Il doit dire la vérité pour qu’il puisse grandir sans mensonge« . Dans le box des accusés, Jérôme C. acquiesce, et cherche du regard son ancien beau-frère pour le rassurer, en vain.

Johanna Lazzari est décédée au terme d’une « traque« 

Lors du dernier jour du débat avant le verdict, lundi 20 septembre 2021, la ligne de défense de Jérôme C. n’avait pourtant guère évolué depuis le premier procès, comme on peut le lire dans le compte-rendu du Parisien qui suit l’affaire depuis ses débuts. La famille de Johanna, doit encore une fois, trouver les termes adéquats pour décrire ce qu’a vécu Johanna avant le drame du 28 juillet 2016.

L’accusé, pourtant, esquisse : « Johanna était malentendante. Elle était privilégiée. Je me sentais dépendant d’elle (…). Elle faisait le pont entre l’extérieur et moi« . La famille de Johanna évoque au contraire une femme soumise, une « petite esclave » qui faisait tout pour son conjoint, rencontré lors de ses études en 2006. « Il est sourd profond mais l’on s’en fiche« , rétorque la sœur de la victime à la Cour. « Il est très intelligent, manipulateur« , décrit-t-elle.

Un portrait partagé par Franck, le frère de Johanna. Seul entendant de la famille Lazzari, il s’épanche à la barre sur les détails connus de la journée du 28 juillet 2016 : des coups qui pleuvent dans l’allée qui mène au pavillon du couple, Johanna aperçue par des voisins dans les bras de Jérôme C. inconsciente, l’escalier exiguë qui mène au sous-sol, son immolation dans un recoin du garage.

Une relation « électrique » dès le début de leur rencontre

« Il dit qu’il cherchait à lui faire simplement peur en l’aspergeant d’essence (…). Pour moi, c’est une traque« , expose Franck Lazzari. L’accusé a soutenu que Johanna était consciente lorsqu’il lui a renversé de l’essence sur le corps, et qu’il ne cherchait alors qu’à avoir une explication avec elle sur ses prétendues infidélités. Une hypothèse impensable selon quatre experts au vu des déclarations des policiers et pompiers qui ont retrouvé Johanna allongée sur le sol. Pour eux, si elle avait été consciente, Johanna se serait mise à courir dans tous les sens.

Johanna essayait de trouver le bon moment pour le quitter.

Comme souvent, le meurtre a eu lieu dans un contexte de séparation du couple, officialisée au début de l’été 2016. D’après l’accusation, Jérôme C. est resté insensible aux précédentes tentatives de rupture de Johanna, pourtant écrites depuis février 2016 par plusieurs SMS, ajoutés au dépôt d’une plainte qui n’aboutira qu’à un simple rappel à la Loi. Jérôme C., lui, convoque ses « espoirs déçus » de faire fonctionner son couple tout en avouant que la relation était « électrique » depuis leur rencontre.

Pour Mélanie, la « confidente » de Johanna, cette dernière « essayait de trouver le bon moment pour le quitter« , depuis plusieurs mois déjà. Sa soeur détaille les premiers coups en public lors d’un réveillon en famille, un code inventé entre soeurs pour pouvoir communiquer par SMS en déjouant la surveillance du conjoint, les cinq mains courantes déposées au commissariat, les menaces de mort ainsi que les « chantages au suicide » de l’accusé en cas de séparation.

Les enfants : les autres victimes des féminicides

« Pour Johanna, il était inconcevable que ses enfants n’aient pas de père”, explique la sœur de la victime. A quelques mètres, la fille de la victime, adolescente aux Converses néon, écoute dans un calme olympien les débats. Quand sa tante et tutrice ne témoigne pas à la barre, elle pose sa tête sur son épaule quelques instants.

Depuis la mort de leur mère, les enfants -âgés à l’époque de huit et cinq ans- vivent avec leur tante Mélanie et leurs cousins. « Elle a quatre enfants. Et en plus, elle bosse« , souffle admirativement son frère Franck. « Je rappelle à chaque fois que Johanna était là », précise l’enseignante.

Chaque année, au rythme des morts violentes au sein des couples, des enfants mineurs sont des victimes collatérales. En 2020, 14 enfants sont décédés d’un parent abusif, souvent pour atteindre l’un des conjoints. L’Espagne parle même de « violence vicariante » lorsque l’agresseur s’en prend aux enfants pour faire souffrir leur mère.

82 enfants sont devenus orphelins de père, ou de mère, ou des deux parents.

Toujours selon l’Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple en 2020 du Ministère de l’Intérieur, 14 enfants étaient présents sur les lieux du drame. En tout, « 82 enfants sont devenus orphelins de père, ou de mère, ou des deux parents ».

La fille de Johanna Lazzari est l’une d’entre eux, partagée « entre vouloir vivre, avancer, et mourir pour retrouver sa mère« , constate sa tante. « Il faudrait plus de soutien dans ces moments là », concède la femme à la barre qui jusque là n’a pas esquissé le début d’une complainte. L’Union nationale des familles de féminicide, la seule association présente lors du procès, milite également pour la création d’un statut spécifique pour les orphelins de féminicide. Les deux enfants de Johanna sont suivis par un psychiatre. Les consultations sont prises en charge par l’hôpital. Pour le reste, Mélanie Kruth-Lazzari se charge de tout.

L’adolescente a parfois des épisodes de violences mais suit une scolarité presque normale, accompagnée d’une interprète en langue des signes dix heures par semaine. Le garçon, élève dans un PEJS (une classe pour jeunes sourds au sein d’un établissement ordinaire), a plus de difficultés, notamment en lecture. « Je veux que l’accusé sorte le plus tard possible, pour que les enfants puissent se reconstruire« , lâche finalement Mélanie Kruth-Lazzari. La cour d’assise semble l’avoir entendu en maintenant la peine de 30 ans de réclusion pour l’homme à l’origine du féminicide. Une peine qui pourra permettre à la famille de tenter une reconstruction, « même si cela ne fera pas revenir [sa] sœur ».

Méline Escrihuela

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