« Puisque je vous dis qu’il n’y a pas de connotation raciste dans cette affiche. De toute façon, nous avons le droit de vendre ces réclames. Elles ne sont pas interdites et ce n‘est plus le produit Banania qui est ici vanté. Elles ne représentent qu’un homme en chocolat. On ne les retirera pas », m’assure Monsieur Montès, le directeur du Bricorama de Bondy.

En me rendant la veille dans ce magasin, j’étais tombé sur une réclame qui ressemblait furieusement à la marque de chocolat en poudre. Le slogan avait disparu, mais le logo était toujours visible ainsi que l’ensemble des éléments de la charte graphique. C’est bien simple, face à ce « visuel », comme disent les publicitaires, on a envie de dire « Y a bon Banania ».

Pendant des années, des amis se sont amusés à éventrer ces pots de chocolat en poudre dans les supermarchés pour marquer leur opposition à « l’image stéréotypée du Noir que cette marque véhicule ». On y voyait un homme d’un noir sombre et à la peau luisante affublé d’un chapeau rouge et d’un pompon bleu. Au milieu, les dents d’un blanc éclatant du personnage vous sautaient à la gueule autant que ses lèvres lourdement lippues qui partaient dans un rire éclatant.

C’était un tirailleur sénégalais. « De toute façon, c’est une campagne nationale qui a débuté le 3 juin et qui doit finir au mois de septembre. Nous n’avons eu aucun souci et les gens ne voient pas le mal comme vous. C’est une publicité innocente qui s’adresse aux enfants », reprend le directeur. Quelques jours plus tard, je suis retourné dans ce magasin.

A l’entrée, des vigiles commentent le match perdu par l’Algérie en faisant de grands gestes de désolation. Je parle à l’un d’eux des affiches Banania. Il m’apprend qu’il est sénégalais, ne travaille que deux jours pas semaine dans ce commerce et qu’il est doctorant en littérature. « On m’a parlé de cela il y a peu, dit-il, dans un coin un peu tranquille au fond du magasin. Quand j’ai vu cela, j’ai été atterré. Mais je pense que ceux qui ne sont pas africains ne peuvent pas comprendre. Même si je n’ai pas eu de tirailleur sénégalais dans ma famille, je ne peux pas voir cela sans gêne. Pour moi, une telle image est une façon de confirmer les stéréotypes de l’Africain qui serait un enfant joyeux. Mais ce qui est dommage, c’est peut-être la banalité du racisme ordinaire en face des idéaux d’égalité et de fraternité de la France. Regardez par exemple tout le débat autour des vuvuzelas à la coupe du monde en Afrique (petites cornes bruyantes utilisées par les supporters d’Afrique du Sud). Les Français ont peut-être du mal à accepter la différence. »

Un autre employé également de couleur, abonde. « Il y a toujours eu des produits comme cela. C’était même pire avant. J’ai plutôt l’impression que ça s’arrange. Quand j’ai commencé à travailler dans un autre magasin, toutes les différentes enseignes vendaient une peinture qui s’appelait « tête de nègre » (brun foncé). Comme je refusais de la vendre, je ne les mettais pas en rayon. Si l’on m’en demandait, je disais que nous n’en avions pas. Dans les boulangeries et les confiseries, on voyait aussi des gâteaux ou des bonbons qui portaient ce nom. »

Dans le rayon, des cadres de photos en bambou sont posés en tête de gondole bien en hauteur. Une quarantaine de portraits avec le rieur nègre tirailleur apparaissent en dessous dans des petites rangées superposées. Une vieille dame aux cheveux blancs passe devant nous accompagnée d’un Yorkshire qu’elle tient en laisse. Elle pousse difficilement une tondeuse à gazon sur laquelle apparaît le prix de vente. Elle s’arrête devant les affiches vendues comme décoration, en regarde une représentant un joli coin de Paris, « Rue Mozart, 16e arrondissement, Avenue Foch ».

Un homme arrive à son tour dans l’allée. Il lève les yeux et s’arrête devant la photo des bambous. « C’est vrai que c’est plutôt joli », commente-t-il à voix haute. Son regard descend des bambous au bamboula. « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Je pensais que ces trucs avaient disparu, me dit cet Antillais, professeur de gymnastique et de fitness. « Cette image nous ressert la caricature d’un Noir qu’on associe au chocolat et à la banane. Je ne pourrai pas acheter un truc comme ça, car je ne voudrais pas que mes quatre enfants le voient chez moi ou des amis. C’est comme Tintin, j’adore certaines de ces BD. Mais « Tintin au Congo » c’est vraiment particulier. Mais encore dans ce cas, il y a encore une œuvre artistique, un message sur lequel on peut discuter, nuancer. Mais dans le cas de ce truc… (il montre le portrait du tirailleur). On est tellement blasé par ce genre de choses qu’on n’a pas l’habitude de s’en plaindre. Mais ce que je me demande c’est ce qu’ont voulu faire ceux qui, à Bricorama, ont commandé cela ! »

Deux clients en short, un père et son fils. J’interpelle le père pour lui demander son avis. Son fils s’amuse à faire des glissades dans les allées. « Mais ce n’est pas du racisme, une affiche comme celle-là, dit le paternel. Je n’en voudrais pas chez moi, car ça ne correspond pas à mon style. Pour moi, ce n’est qu’une affiche qui joue sur la nostalgie de notre enfance. Je me rappelle leur chocolat, il est excellent. J’en donne parfois à mon fils, sinon, on achète plutôt une autre marque. »

Une femme d’une trentaine d’années portant la blouse grise et jaune aux couleurs de l’enseigne du magasin se dirige vers nous en conduisant un chariot élévateur. Elle commande la machine qui émet une petite sonnerie. Elle s’arrête devant nous, descend du chariot. Elle se penche pour mettre en tas les cadres de nègres exposés. « Le directeur du magasin m’a dit de les retirer, car on a eu quelques plaintes. Quelqu’un qui les a vus, vient de sortir du magasin en disant que c’était inadmissible d’exposer cela », raconte-t-elle.

Voici les explications du directeur : « Il y a des fanatiques et je préfère les retirer pour éviter tout souci avant qu’il n’en survienne. De toute façon, nous n’en avions vendu aucun », manière de dire, sans doute, que seuls des gens excessifs sont mal à l’aise avec ce type d’image et que cette réclame est innocente. Et vous, chers lecteurs, accrocheriez-vous un tel cadre dans votre intérieur ?

Axel Ardès

Axel Ardes

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